1816, l’année sans été

En avril 1815, le mont Tambora, situé dans l’actuelle Indonésie, a connu une série d’éruptions très puissantes, entendues jusqu’à plus de 1200 kilomètres de distance. La première, le 5 avril, a produit une colonne éruptive de 33 km de haut. La seconde, cinq jours plus tard, une colonne de 44 km de haut.

Le 15 avril, cette séquence s’est interrompue. On pense à présent qu’elle a été huit fois plus violente que l’éruption du Vésuve en l’an 79 de notre ère, et plusieurs milliers de fois plus puissante que les explosions nucléaires qui ont ravagé Hiroshima et Nagasaki. Entre ses projections et les raz-de-marée qu’elle a provoqué, on pense que cette éruption a causé de manière directe la mort de 60 à 70 000 personnes.
En Grande-Bretagne au même moment, les sulfates et les poussières de l’atmosphère provoquaient des couchers de soleil d’une grande beauté dont William Turner a dit s’être souvenu dix ans plus tard en peignant son Canal de Chichester.

Les dégâts indirects de l’éruption (et de plusieurs autres à peu près contemporaines : la Soufrière de Saint-Vincent des Grenadines en 1812, notamment), ont été très spectaculaires aussi. Les cendres ont encombré la stratosphère et ont eu un effet sur le climat de la Terre entière. La Chine, l’Inde, l’Europe et l’Amérique du Nord ont été particulièrement affectées, jusqu’en 1817 au moins. L’année 1816 est retenue aujourd’hui sous le nom « d’année sans été » : on a vu des gelées, des rivières glacées et de la neige au début de l’été à New York, en Pennsylvanie ou au Québec. Aux États-Unis, les cultures ont été très médiocres, le prix du blé et du maïs a augmenté de manière importante, mais en Irlande ou au Pays de Galles, certaines récoltes n’ont pas pu avoir lieu du tout. Ce qui fut la pire famine généralisée du XIXe siècle a forcé de nombreuses familles de prendre la route et les villes de l’Europe entière ont connu des émeutes et des pillages. Les bêtes, notamment les chevaux, si importants dans l’économie de l’époque, ne pouvaient plus être nourries. Dans de nombreuses régions, la population a fortement décru.

Au mois de juillet 1816, une bande d’écrivains romantiques que les conditions météorologiques contraignait à rester cloîtrés dans la villa Diodati, sur le lac Léman, où ils passaient leurs vacances, s’est lancée dans une compétition amicale d’histoires terrifiantes. Lord Byron a écrit le poème Darkness, mais aussi Fragment of a novel, une histoire de vampire que son médecin personnel John Polidori reprendra trois ans après sous forme de nouvelle sous le titre The Vampyre, et qui inspirera trois quarts de siècles plus tard encore le Dracula de Bram Stoker. Mais l’œuvre la plus célèbre à avoir été écrite — ou en tout cas ébauchée — à cette époque, c’est le Frankenstein de Mary Shelley, sous titré le Promethée moderne, dans lequel un scientifique donne vie à un monstre composé de parties mécaniques et de morceaux de cadavres et animé par l’électricité.
Mary Shelley connaissait les théories en vogue sur le rapport entre l’électricité et la vie, et avait même été vivement impressionnée par les démonstrations inspirées par les travaux de Luigi Galvani, au siècle précédent, qui activait le muscle d’une grenouille disséquée grâce à de l’électricité.

Frankenstein est un peu le premier roman à faire état d’une méfiance envers les prodiges de la science dont il est contemporain. Il est plutôt ironique de savoir que la naissance de ce récit n’a pas été inspirée par une catastrophe technologique mais par un évènement géologique naturel situé de l’autre côté du globe. Certains pensent cependant que de nombreuses inventions relatives à la motricité sans chevaux ou au rendement agricole ont aussi été provoquées par cet épisode particulièrement traumatisant. Le second quart du XIXe siècle sera, il faut s’en rappeler, extrêmement fertile en invention.

En 1823, Mary Shelley publiera un roman dans lequel l’humanité entière s’éteint, The Last Man, inspirée par son deuil de Percy Shelley, son époux, et celui de Byron, leur meilleur ami, mais cela est une autre histoire.

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5 réponses à 1816, l’année sans été

  1. Rama dit :

    Psst ! Hiroshima et Nagasaki : nucléaires, pas thermonucléaires !

  2. Vauchez Michel dit :

    Bonjour. J’ai publié en janvier 2015 un ouvrage intitulé « 1816 L’année sans été » aux éditions Persée, dans lequel je rapporte le témoignage d’un vigneron jurassien sur cette sombre période dévastatrice par le manque d’ensoleillement et une froidure continuelle, par l’insuffisance des récoltes et la famine qui en résulta. Ce témoignage est exceptionnel par l’anomalie climatique de l’été 1916, par la qualité d’écriture et d’analyse du chroniqueur, tout paysan qu’il fut, par la cause déterminante que fut l’éruption du Tambora, par la conservation du manuscrit rédigé depuis 1697 par les membres d’une même famille. Les Archives départementales du Jura ont numérisé et homologué ce document et mon livre est disponible sur les sites comme la Fnac, Amazone, Leclerc, Cdiscount et quelques librairies jurassiennes. Je considère que le témoignage d’un homme du peuple est chose très rare et mérite d’être pris en considération d’autant qu’il est de qualité. Merci de le retenir comme tel.

  3. Vauchez Michel dit :

    Retenir comme émanant d’un homme du peuple ce qui est rarissime. Je remercie que le site publie mon commentaire.

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