The Walking dead

Je me dois d’avouer d’emblée que je n’ai jamais lu les bandes dessinées de la série The Walking dead, je ne connais que la série télévisée qui en est inspirée, ainsi que son spin-off, Fear the Walking dead, dont je parlerai, je pense, dans un futur article1.
On m’a dit que le comic-book valait le détour et que la série s’en écarte progressivement2.

Les walkers. Il est recommandé d’aller dans l’autre sens.

Dans The Walking dead, le mot « zombie » n’est jamais prononcé. Les concernés se font appeler « walkers », « rotters », « biters », « eaters », « infected », « wasted », « dead », « empties », « has-beens », et autres noms imagés. C’est une chose assez bien vue, d’ailleurs : selon les lieux, selon les groupes de survivants, ce ne sont pas forcément les mêmes mots qui sont employés, ce qui semble plutôt logique puisque les survivants sont isolés les uns des autres, sans médias de masse, sans support pour faire circuler un vocabulaire.
On ne sait pas ce qui s’est produit exactement, mais le monde entier (semble-t-il) est victime d’une pandémie (microbe ? parasite ? champignon ?) qui ranime les morts récents et les transforme en prédateurs laborieux qui réagissent au son, au mouvement et aux odeurs, et qui aiment dévorer ce qui vit. Leur morsure cause une infection que rien ne guérit (quoiqu’il existe des cas d’amputations précoces ayant permis d’empêcher l’infection de s’étendre) et qui tue la personne mordue en quelques heures. On peut donc dire que la morsure d’un « walker » transformera la personne mordue en « walker » elle-même. Rien ne peut enlever leur « vie » rudimentaire à ces morts, si ce n’est de détruire leur cerveau.

La première chose que font les militaires face aux morts-vivants… C’est de massacrer les vivants. La peur ne rend pas très malin. Les autorités (État, Police, Armée) ne durent pas bien longtemps, dans la série.

Ma description peut suffire à vous en donner une idée : The Walking Dead n’hésite pas à se complaire visuellement dans l’épouvante, et le talent des maquilleurs, des cascadeurs, des acteurs et des créateurs d’effets spéciaux rend parfois la chose assez crédible. On finit néanmoins par oublier un peu l’aspect « gore » de l’ensemble. En tant que spectateur, je me surprends désormais à me sentir pour le moins insensibilisé aux visions de mutilations, morsures et autres violences sanguinolentes qui font l’ordinaire des survivants dont la série suit les aventures. La vraie souffrance, pour le spectateur, est psychologique et elle est le fruit de l’injustice, de la cruauté ou de la bêtise qui sont parfois à l’œuvre.
D’un point de vue cinématographique, je remarque que les réalisateurs ne s’interdisent pas certaines facilités, comme de faire subitement apparaître un mort-vivant dans le champ à l’instant où le héros est montré en plan rapproché, alors qu’en toute logique, nous aurions dû voir la menace lorsque le plan était plus large, et alors que le héros lui-même n’aurait pas dû pouvoir ignorer sa présence. La manière dont un lieu se remplit subitement de morts-vivants et le manque de jugeote des vivants (qui ne sont pas toujours attentifs ou tacticiens, qui oublient parfois qu’ils savent courir, qui oublient que les morts-vivants ne sont pas très agiles face à des obstacles aussi banals que de simples escaliers) sont d’autres éléments qui, au début de mon visionnage de la série, m’ont un peu agacé, ou du moins, m’ont fait vivre certaines séquences de manière moins intense.
Mais après tout, c’est peut-être aussi bien.

Quand les survivants espéraient encore comprendre et guérir l’épidémie…

Le propos de The Walking Dead n’est de toute façon pas d’être un film d’horreur réaliste puisque l’épidémie zombie n’est pas ici le sujet mais juste le cadre. Dans les premières saisons de la série sont évoqués un laboratoire de recherche, qui dispose peut-être de clefs permettant de guérir le monde, et plus tard des informations secrètes sur l’épidémie dont affirme disposer un prétendu scientifique qui exige à ce titre de se faire escorter jusqu’à Washington… Les deux pistes se révèlent décevantes et les protagonistes renoncent finalement à toute forme d’espérance : rien ne s’arrangera, il faut survivre malgré tout. Si par deux fois on nous a fait croire qu’il existait peut-être une solution scientifique à l’épidémie, c’était précisément pour mieux nous décevoir et nous faire abandonner tout espoir sur ce plan.
Certains survivants ont tenté de conserver avec eux les morts qu’ils ont aimés de leur vivant, certains ont tenté de les comprendre, de communiquer avec eux ou de les utiliser, mais pour la plupart, les vivants cessent assez vite d’étudier le fonctionnement de Walkers. Une fois connue la manière de les neutraliser, et une fois admis que les tuer ne constitue pas un véritable meurtre, pas un problème moral — car rien de l’humain qu’ils ont été de leur vivant ne subsiste —, ils ne sont plus traités que comme une espèce nuisible.
L’enjeu de la série devient alors la survie non seulement parmi les morts, mais surtout parmi les survivants, qui sont systématiquement des menaces.

L’action se déroule aux États-Unis et chaque personne que l’on croise est un danger, soit parce qu’elle est clairement mal intentionnée, soit parce qu’elle redoute que les inconnus qu’elle rencontre le soient. Je trouve étonnant de voir à quel point l’ensemble des protagonistes du récit semble dès le début juger logique, naturel, qu’au lieu de créer spontanément une sympathie parmi les vivants et un sens de la coopération, la nouvelle situation du Monde transforme tout autre humain en menace, prête à tirer à vue non seulement pour se défendre, non seulement pour détrousser ceux qui ont des vivres ou de l’eau, mais simplement par peur de l’autre. Il faut dire que quand chacun est susceptible d’être armé, on apprend vite à faire des phrases courtes, voire pas de phrases du tout. Je suis curieux de ce que donnerait une série issue de l’univers de The Walking Dead qui se passerait dans un pays où les armes à feu ne prolifèrent pas actuellement.

Comme dans toute fiction de zombies, le point de départ est une hypothèse absurde (qu’elle soit traitée de manière fantastique ou pseudo-scientifique, peu importe), et ce qui compte c’est ce que ce postulat permet de faire apparaître.
Dans The Walking Dead, la première victime de l’Apocalypse, c’est le lien social.
Bien entendu l’État a disparu, et les seules autorités tentant de réguler la société, de créer et de maintenir des communautés (le gouverneur, les gens de Terminus, l’Hôpital d’Atlanta, Negan, Alpha), sont des monstres ou des despotes mégalomanes qui semblent convaincus que seules bénéficieront au groupe les décisions les plus cruelles, les « tough call », comme on dit. Et la plupart de ces groupes ne semblent pouvoir être soudés que par l’abaissement des libertés individuelles, par l’absence de démocratie, par les décisions arbitraires, des sacrifices, et souvent aussi par le massacre d’autres groupes : ceux qui ont ensemble commis un crime sont liés pour toujours.

On remarquera que le scénario punit souvent la confiance, laquelle ne parvient à exister qu’au niveau de la famille, ou plutôt la tribu : des gens qui ne se sont pas forcément choisis mais qui sont suffisamment habitués les uns aux autres pour être solidaires. Souvent, ce qui lie des personnes est d’avoir combattu ensemble, de s’être retrouvés, parfois complètement par hasard, parfois après avoir été ennemis mortels, en position de frères (ou sœurs) d’armes : liés par le sang qu’ils ont fait couler ensemble. Je n’ai jamais vécu de guerre, de tragédie, j’ignore si tout cela se tient d’un point de vue psychologique, mais la fiction rend la chose plutôt crédible. Un aspect intéressant ici c’est qu’il n’est jamais ou quasiment jamais question de racisme ou de questions nationalistes, sociales, et même le sexisme ou l’homophobie sont en grande partie évacués par la situation : plus vraiment le loisir de se haïr artificiellement lorsqu’on doit ensemble résister à des périls concrets. Ce n’est pas du tout le cas avec la série dérivée Fear the Walking Dead, où les questions nationalistes ou racistes (le mépris des Étasuniens envers les Mexicains, par exemple), sexistes, sociales, sont le cœur même du récit, qui se construit à mon sens avant tout comme une critique saignante des États-Unis d’Amérique.


Daryl (à gauche), un des deux seuls protagoniste à avoir survécu de la première à la dixième saison de la série. À droite, Judith, dont les parents biologiques sont morts, dont le père officiel a disparu, et dont la mère adoptive n’existe plus que comme voix dans un wakie-talkie. Elle a appris assez tôt à survivre et même à tuer, mais elle amène souvent les adultes à conserver un peu de leur humanité et aussi, à se rappeler qu’il reste encore des choses à sauver dans ce monde de désespoir.

Dans The Walking dead, La confiance en l’autre est souvent sanctionnée, mais avec le temps, le groupe que nous suivons, dont il ne reste plus que deux survivants des tout premiers épisodes — un peu secondaires au départ —, et qui a régulièrement gagné ou perdu des membres, tente de construire quelque chose, et, non sans difficultés ni sans défiance, accueille régulièrement de nouvelles personnes voire de nouveaux groupes, de nouvelles communautés. Je remarque que le très relatif assouplissement des comportements, cet abandon partiel de la méfiance, qui ne supprime pas les menaces mortelles, loin de là, va de pair avec la progressive disparition des armes à feu, des munitions ou des véhicules motorisés. Peu à peu se construit une organisation politique rudimentaire où les personnalités les plus respectées pour leurs faits d’arme, généralement, tiennent conseil, prennent des décisions collectives. Plusieurs groupes se fédèrent afin de mener des projets en commun, d’essayer d’offrir un monde viable aux enfants. Ceux-ci apprennent bien trop tôt que la vie est courte et cruelle. Le spectateur accepte la même chose, d’ailleurs : la mort arrive, la violence existe, et toutes les injustices ne peuvent pas se réparer ou être vengées. Vivre, survivre, c’est aussi accepter de mourir, de voir d’autres mourir, de souffrir et d’être frustré.

Le dépit de Lisa Mandel… (image utilisée avec l’autorisation de son autrice)

À l’heure où j’écris cet article, la diffusion de l’ultime épisode de la dixième saison de la série a été reportée à une date inconnue, pour cause de pandémie de coronavirus, car la postproduction n’a pas pu être achevée à temps ! Belle mise en abîme3.
Je dois dire que je suis assez impatient de voir comment va évoluer la série, qui est censée continuer pendant des années je crois, car, au delà des enjeux philosophiques ou politiques que l’on trouve dans toute série de zombies, celle-ci développe sur la longueur quelques personnages vraiment marquants, et la palpitante autant qu’angoissante sensation que toutes les péripéties sont possibles, même et surtout les plus tragiques.

  1. Mise à jour octobre 2020 : une autre série dérivée, The Walking dead: World Beyond vient de commencer à être diffusée sur Amazon Prime. Extrêmement prometteuse, elle commence en opposant une République de savants qui peut rappeler la base alpha de la série Cosmos 1999 à son allié de circonstance, un gouvernement autoritaire et cruel. Comme souvent dans l’univers de The Walking Dead, la confiance et la bonne volonté ne sont pas forcément récompensées. []
  2. Amusant : je me rends compte que je choisis le dimanche de Pâques, en pleine pandémie de Coronavirus, pour parler d’une série où une épidémie résurrectionne les morts… []
  3. Anecdote toute personnelle, dans le même registre : le 14 mars j’étais programmé comme conférencier dans le cadre des Carrefours de la pensée, au Mans, pour parler de fin du monde… Séance annulée in extremis pour cause de fin du monde, deux jours avant que la France entière ne soit confinée. []
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