Le déluge

Le plus ancien mythe du déluge connu est le Poème du Supersage, qui se rattache à l’épopée de Gilgamesh, texte antique très important1 qui a inspiré la mythologie grecque et la Bible, notamment. On y trouve l’histoire d’un dénommé Atrahasis (ou Uta-Napishtim, ou encore Ziusudra), prévenu en rêve que les dieux, fatigués du vacarme humain, s’apprêtaient à les submerger et qu’il fallait qu’il construise un navire étanchéifié au bitume dans lequel il emporterait son clan et des spécimens de tous les animaux. L’histoire de l’Arche de Noé, rédigée de nombreux siècles plus tard, prend de nombreux éléments à l’histoire d’Atrhasis, y compris l’épisode de l’arrivée sur un mont, celui des oiseaux envoyés chercher la terre ferme ou encore la décision, par les dieux, de limiter l’espérance de vie des humains à l’issue de cet épisode.
La plus grande différence entre le poème du Supersage et l’histoire de Noé, finalement, c’est la réduction du nombre de dieux, ramenés à un seul et unique dans la Bible.

Dans la tradition védique de l’hindouisme, on connaît aussi un mythe similaire, celui de l’homme Manu, prévenu du déluge à temps pour construire une arche et échapper au désastre. On trouve plusieurs textes comparables chez les grecs  (déluge d’Ogygès, déluge de Deucalion, sans parler du mythe de l’Atlantide). Pour certains, la multiplicité des textes atteste de la réalité historique de l’évènement, tandis que d’autres y voient le manque d’originalité de mythes qui s’inspirent les uns des autres.

Le mythe du déluge a souvent été un enjeu dans l’établissement de l’historicité de la Bible, et on a cherché des traces de sa réalité à diverses époques. Certains ont pensé que la présence de fossiles de coquillages dans les pierres sédimentaires extraites de lieux éloignés de toutes mers étaient la preuve du déluge. On a souvent proposé des hypothèses d’un engloutissement de toutes les terres (fonte massive des glaces, chute d’un objet céleste dans l’océan provoquant un tsunami,…) ou des hypothèses plus locales (débordements simultanés du Tigre et de l’Euphrate, de la Mer Noire, séisme,…).

On ne compte pas le nombre d’expéditions archéologiques parties à la recherche des vestiges de l’arche de Noé sur le mont Ararat, en Turquie. Mais ce même mythe a aussi servi à décrédibiliser la Bible, soit en montrant que le texte n’était pas original et avait été emprunté à des traditions préexistantes, soit en pointant du doigt sa profonde aberration technique, comme l’Abbé Mallet, qui, dans l’Encyclopédie Diderot-d’Alembert, avait établi des calculs pragmatiques : combien de stalles pour les animaux ? Comment stocker la nourriture nécessaire à leur survie ? Les coudées mesurées par la Bible étaient-elles plus longues que celles du 18e siècle ? Comment était-il possible que trois ou quatre hommes aient pu réaliser un tel ouvrage à eux seuls ? En lisant l’article, on doute que l’arche ait pu flotter, mais il est loin d’être certain qu’une telle conclusion ait été intentionnelle de la part de l’auteur2.

Quoi qu’il en soit, les inondations ne sont pas des phénomènes imaginaires, l’actualité le rappelle assez fréquemment, et les textes antiques peuvent tout à fait être nés du souvenir lointain de débordements aquatiques véritables. Je pense pour ma part qu’il ne faut pas exclure, en lien avec l’article précédent, que la popularité de l’idée de déluge vienne de l’envie (théorique) de tout voir disparaître, de voir le monde entier lavé à grande eau, nettoyé de tout ce qu’il a été, nettoyé de la complexité acquise, et donc apte à repartir sur une base neuve.

(illustrations : Thomas Cole, The Subsiding of the Waters of the Deluge, 1829, Smithsonian American Art Museum ; L’arche « grandeur nature » construite par l’entrepreneur Johan Huibers, à Sneek, aux Pays-Bas, en prévision de l’engloutissement de son pays, photos par bobba_dwj/FlickR CC BY-SA 2.0 ; Une boite du jeu Playmobil)

  1. L’épopée de Gilgamesh est le plus vieux récit fictionel connu, on pense qu’il a près de cinq mille ans, même si les plus anciennes tablettes conservées ont un peu moins de quatre millénaires. []
  2. Edme Mallet (1713-1755) avait été assigné à la rédaction d’articles aux thèmes historiques, littéraires et surtout théologiques pour l’Encyclopédie par les autorités, qui craignaient que cette entreprise ne nuise à la religion. Mallet était plutôt traditionaliste et réactionnaire, en général.  []
Ce contenu a été publié dans Déluge. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

2 réponses à Le déluge

  1. Nathalie dit :

    Arche de Noé Playmobil = appauvrissement dramatique de la biodiversité 🙂

  2. r dit :

    Au début du Timée, Solon, dans un récit de Critas, se fait remettre à sa place sur la thématique du déluge. J’ai plus trop le détail de l’histoire en tête (je viens de tricher pour retrouver le nom des personnages) mais son explication m’a toujours semblé très moderne. Comme quoi on invente rien mais on oublie bien vite.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *