Fail-Safe

L’acteur Larry Hagman, connu du public pour son rôle de « J.R. » dans la série Dallas, est mort hier. Le public connaît assez mal sa carrière hors de son personnage de millionnaire texan cynique et cruel, mais il est est apparu dans des rôles très divers au cinéma, et a même réalisé un film, Attention au blob ! (1972), dans lequel l’humanité fait face à un monstre informe et gluant qui engloutit tout sur son passage. Il est, en tout cas, l’un des acteurs principaux du film Fail Safe (Point Limite, 1964),  de Sidney Lumet, où figurent aussi Henry Fonda et Walter Matthau.

Fail-Safe est un peu le jumeau triste du Docteur Folamour de Stanley Kubrick, puisque la trame des deux films est presque strictement identique : une erreur aboutit à ce que la bombe atomique soit lancée sur l’URSS. Avant que l’explosion ait lieu, le président des États-Unis (ici Henry Fonda) tente tout ce qu’il peut pour rappeler ou pour neutraliser ses bombardiers, puis pour convaincre son homologue soviétique qu’il s’agit d’une tragique erreur. Buck, l’interprète, est personnifié par Larry Hagman, qui effectue une belle prestation dans un rôle qui réclame intensité et sobriété.

Chacun, dans le scénario, est à sa place, dans son rôle, et fait ce qu’il est censé faire. Un seul personnage souhaite véritablement la guerre, le professeur Groeteschele, un anti-communiste enragé inspiré de plusieurs personnages historiques, tels que le calculateur Herman Kahn ou le mathématicien John Von Neuman. Mais la mécanique implacable des évènements, l’absurdité et la lenteur de certaines procédures aboutit au pire : Moscou sera bel et bien détruite.

Pour que les soviétiques ne répliquent pas, le président propose de faire bombarder la ville de New York, faisant le même nombre de morts et prouvant sa bonne foi au président de l’URSS. Ce dernier accepte puis change d’avis : à quoi bon doubler le nombre de morts ? Mais New York est bien détruite, dans une scène habile : un décompte est prononcé pendant que des photographies de la vie new-yorkaise défilent. Cette image fait écho au célèbre spot de la campagne qui a abouti à l’élection de Lyndon Johnson un mois plus tard, où on voyait une petite fille effeuillant une fleur pendant un décompte et avant l’explosion de la bombe.

Le film a souffert de nombreuses contingences désagréables : tout d’abord, un procès intenté aux auteurs du livre qui avait servi de base au film par l’auteur de celui qui a écrit le roman qui a donné Docteur Folamour, qui jugeait la trame des deux récits passablement identique — ce qui est exact, bien que les deux films n’aient rien à voir, puisque celui de Kubrick relève de l’humour noir, tandis que Fail-Safe est une pure tragédie. Le succès de Docteur Folamour, sorti dix mois plus tôt, sera aussi un handicap. Et ce n’est pas tout : l’armée américaine a, à l’époque, refusé toute coopération avec la production et aurait même fait pression sur des loueurs pour empêcher que Sidney Lumet accède à des accessoires militaires.

Le récit est si désespérant que le distributeur du film, Columbia Pictures, a imposé au générique de fin une déclaration lénifiante qui assure le spectateur que non seulement la trame du film est tout à fait imaginaire, mais que ce qui est raconté ne pourrait en aucun cas se produire. Deux ans plus tôt, pourtant, la Crise des missiles de Cuba avait pourtant amené le monde au bord de la catastrophe, et on sait depuis peu que, contrairement aux soviétiques et aux américains, les dirigeants cubains envisageaient et même espéraient la destruction atomique de New York1.

Malgré d’excellentes critiques à sa sortie, ce film très réussi ne rencontrera pas son public. Il aura néanmoins une influence sur de nombreux films ultérieurs, notamment Wargames (1983), qui emprunte son esthétique à la « war room » de Fail-Safe.

  1. Lire : Quand le Che voulait anéantir New York, par Vincent Jauvert, le nouvel Observateur, 22/10/2012. []
Ce contenu a été publié dans La Bombe. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

2 réponses à Fail-Safe

  1. Luk dit :

    Je me demande si j’ai vu ce film sur arte, ou un remake… Je me souviens de la trame, mais pas de l’esthétique du film…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *