Directement inspiré par La Jetée de Chris Marker, L’Armée des douze singes (1995), par Terry Gilliam1, raconte l’histoire d’un homme hanté par une image, Jack Cole (Bruce Willis). Enfant, il a vu un homme se faire abattre dans un aéroport, et une femme en être bouleversée.
Attention, je raconte le film. Si vous ne l’avez pas vu, ne lisez pas tout l’article.
En 1996, explique l’introduction, un virus a tué cinq milliards d’êtres humains de manière foudroyante. En 2035, seul 1% de la population est saine et sauve, réfugiée sous terre. On ne connaît pas le fonctionnement exact du gouvernement des survivants, mais il semble que ce soient des scientifiques qui dirigent, assistés par un service d’ordre brutal. La plupart des autres personnes que l’on voit sont des prisonniers qui vivent dans des cages entassées.
Jack Cole est de temps en temps sorti de sa cellule et envoyé à l’extérieur, en surface, protégé par une combinaison étanche. Il est prévenu que s’il était infecté, il n’aurait pas le droit de revenir. Sa tache est d’enquêter, d’observer, de trouver notamment des indices permettant de remonter au tout début de l’épidémie.
Dehors, Cole croise un ours et un lion : les animaux n’ont pas été affectés par le virus.
Un jour, Cole est amené devant une commission de scientifiques qui lui propose une remise de peine s’il accepte de participer à une expérience de voyage dans le temps. Il doit se rendre dans le passé pour continuer l’enquête sur l’épidémie : quand et où a-t-elle commencé ? Qui l’a déclenché ?
Envoyé par erreur en 1990, six ans avant le déclenchement de l’épidémie, en pleine confusion mentale, Cole est interné. Une psychiatre, Kathryn Railly, est émue par son cas et accepte de l’écouter, sans pour autant le croire. Plus tard, elle tirera de cette rencontre toute une théorie sur le « complexe de Cassandre » : les gens qui annoncent une catastrophe à l’humanité mais que personne n’écoute.
À l’hôpital, Cole rencontre Jeffrey Goines (Brad Pitt), le fils du directeur d’un grand laboratoire de recherche en biologie ou en pharmacie, qui souffre apparemment de schizophrénie. Sans rien lui révéler de précis, Cole parle à Goines, qui est très concerné par les expérimentations sur les animaux, de « l’armée des douze singes », que les survivants, en 2035, pensent responsables du virus qui ravagé l’espèce humaine.
Après une tentative d’évasion, Cole est placé en isolement. Puis il disparaît totalement, sans que personne puisse l’expliquer. Rappelé en 2035, où il explique qu’on l’avait envoyé trop tôt, il est renvoyé dans le passé, encore plus loin cette fois, puisqu’il atterrit, nu comme un ver, dans les tranchées de la grande guerre. Il y reçoit une balle dans la cuisse.
De retour dans les années 1990, il enlève Kathryn, la seule personne qu’il connaisse, pour aller sur la trace de l’armée des douze singes. Celle-ci a peur mais voit bien qu’elle ne court pas de vrai danger et, lorsqu’elle aurait pu s’enfuir, choisit finalement de rester avec Jack et d’écouter son histoire. Elle extrait la balle de la cuisse de son ravisseur.
Cole est un peu perdu et ne sait pas s’il doit rester dans le passé et profiter de la vie tant qu’elle existe ou s’il veut sauver le futur. D’une époque à l’autre, de nombreuses situations semblent similaires et Cole se demande s’il n’est pas lui-même fou.
Kathryn et Jack rencontrent un groupe d’écologistes activistes et comprennent que ce sont eux, l’armée des douze singes, et que le chef de la bande n’est autres que Jeffrey Goines, officiellement guéri, mais dont l’instabilité mentale persiste, bien qu’il soit libre et qu’il a pris des responsabilités dans la société de son père. L’histoire est donc claire : le virus a été intentionnellement disséminé par l’armée des douze singes, au nom de leur engagement envers les animaux.
Apprenant que la balle extraite de la cuisse de Cole date bien de la guerre de 1914-1918, Kathryn commence à croire son histoire, qui est corroborée par d’autres détails. Pourtant, l’homme du futur et sa psychiatre sont soulagés en découvrant que l’action de l’Armée des douze singes, bien que spectaculaire, est totalement inoffensive. Alors qu’ils fuient (Cole est recherché pour l’enlèvement de Kathryn) vers la Floride, Kathryn et Jack comprennent que le virus a été diffusé par un employé du laboratoire du père de Jeffrey.
En tentant d’arrêter l’homme, Jack Cole est abattu dans l’aéroport : c’est le spectacle auquel il avait assisté enfant. Le temps ne se modifie pas, il ne se déroule qu’une fois et l’on ne peut en visiter que ce qui a déjà existe. Dans l’avion, une des scientifiques attend le Dr Peeters, on comprend que le problème du virus est désormais géré.
Moins poétique et servi par une forme assez sobre, Twelve Monkeys conserve la plupart des éléments de La Jetée et y ajoute des détails très pertinents, comme une référence à Vertigo, ou le remplacement de la guerre nucléaire par l’activisme bioterroriste2.
Le film profite de l’interprétation des acteurs, notamment Bruce Willis et Brad Pitt, au meilleur de leur talent.
- Terry Gilliam, ancien Monty Python, auteur de Brazil, venait de connaître le succès avec Fisher King, un film à tout petit budget qui lui a permis de revenir au cinéma après l’échec terrible du Baron de Münchhausen (1988). [↩]
- La question du bioterrorisme était parfaitement en phase avec l’époque car peu avant la sortie du film, le public a découvert les projets de la secte millénariste Aum, qui avait tenté quelques années plus tôt de disséminer du botulinium, puis de l’anthrax dans Tokyo, avant de réussir à diffuser du gaz Sarin dans le métro, faisant douze mort et plus de cinq mille blessés. [↩]
Le problème du virus n’est pas totalement géré : Peeters en a fait respirer à l’agent de sécurité qui fouillait ses bagages. La diffusion a donc commencé.
@Wood : oui, mais ce que je pense c’est que la scientifique va pouvoir récupérer la souche ou des informations qui permettront de régler les problèmes du futur (mais pas ceux de 1996, qui reste condamné)
Je vais te faire un aveu : j’ai vu ce film 2 ou 3 fois, et je n’avais jamais réalisé que la passagère de l’avion était une des scientifiques du futur. Ce qui fait que pour moi la fin du film était 100% pessimiste.
« Dans l’avion, une des scientifiques attend le Dr Peeters, on comprend que le problème du virus est désormais géré. » Alors là c’est étrange mais je n’ai vu le film qu’à sa sortie et je n’ai pas du tout compris comme cela. Pour moi le virus va être propagé et la présence de la scientifique à ses côté (du moins celle qu’elle était dans les années 90, et qui donc ne sait rien de se qui se prépare) est une ironie du sort. Mais j’ai peut-être loupé un détail…
A plusieurs reprises, les « scientifiques » indiquent bien qu’il est trop tard pour éviter la catastrophe, il faut juste la souche pour préparer un sérum/vaccin et sauver l’avenir.
D’accord avec Wood. Je remarque que la scientifique y apparait plus jeune. Probablement est-ce une simple rencontre fortuite?
Je ne sais pas si elle fait vraiment plus jeune…
Je complete. De mon point de vue elle recherche, en envoyant Cole et les autres dans le passé, l’origine du virus. Elle et ses confrères recherchent l’origine (géographique, les acteurs, l’horaire) sans se douter qu’elle a côtoyé l’évenement.
Ah, donc je vois les choses différemment en ce qui concerne la fin (que de prises de tête avec @Glaspla d’ailleurs à chaque visionnage…).
Au vu de l’attitude de la dame dans l’avion, je pense qu’il s’agit d’un pur hasard qu’elle se trouve juste à côté du gars au virus, et que, bien au contraire, on a beau vouloir changer le cours des choses en voyageant dans le temps, c’est peine perdue parce que ça arrivera à nouveau, le virus a bel et bien commencé à se propager.
C’est la même « leçon » que dans BSG et Lost, » whatever happened, happened ».
@Tous : Je suppose que c’est ouvert à l’interprétation… Pour moi, l’attitude de la scientifique est curieuse, elle est inamicale mais elle sert une flûte de champagne au Dr Peeters, j’en déduis qu’elle sait parfaitement qui il est. Mais je peux me tromper, il faudrait trouver une interview de Gilliam…
Dans La Jetée, l’humanité est bien sauvée, mais pas l’homme qu’on a envoyé dans le passé.
Autre théorie mentionnée ici : http://www.philipcoppens.com/12monkeys.html
La scientifique serait là pour s’assurer de la bonne dispersion du virus, étant donné que c’est grâce à l’épidémie dévastatrice qu’elle et son équipe se retrouvent au pouvoir… leur but n’ayant jamais été d’empêcher la virus de se propager mais juste d’en trouver un échantillon pour fabriquer l’antidote… why not…
Pas mal !
Moi aussi j’ai toujours vu la présence de la scientifique dans l’avion comme une coïncidence, l’ironie du sort, et pour poser un peu le personnage (sa remarque comme quoi l’humanité court à sa perte − si je me souviens bien − renforce son rôle de leader dans le futur). On nous présente côte à côté celui qui détruira l’humanité et celle qui tentera de la faire se relever, à l’endroit et au moment où tout se joue.
Je ne sais plus si c’est elle ou l’hôtesse qui sert une flûte de champagne au Dr Peeters mais ils en boivent tout simplement parce qu’ils sont en classe affaire, non ? Je vois ça comme un moment partagé entre gens privilégiés, du même niveau social.
@abelthorne c’est bien la scientifique qui fait passer la flûte. Par ailleurs elle dit qu’elle travaille dans les assurances, ce qui peut être jugé étrange.
Pour la fin du film, je me souviens d’une interview/making of qui abordait spécifiquement ce point, si ma mémoire est bonne il y a eu des hésitations sur l’orientation optimiste/pessimiste/ouverte qu’ils comptaient choisir. Par contre, je ne me souviens plus avec précision de ce que disait Gilliam.
Peut-être dans les bonus d’un DVD du film… ?
@Shadows44 : mon édition DVD est antique (des débuts du DVD) et je crois qu’il n’y a rien du tout comme bonus dessus, mais je vérifierai.
Illumination en me replongeant dans IMDB : je suis certain à 99% que la source, c’est ça : http://www.imdb.com/title/tt0116479/
« The Hamster Factor and Other Tales of Twelve Monkeys », un doc sur le film et le tournage.
Ah ben moi je l’ai pas vu non plus comme ça. [Bon en même temps je déforme allégrement les histoires. J’ai souvent dormi dans les salles obscures, spécialement pendant les films que j’appriéçais. Alors l’histoire, le rêve, ma perception, mon imagination, tout cela m’emporte et se mélange souvent, pour mon plus grand bonheur. Pour le coup, sur ce film, je n’avais pas dormi, les scènes d’hôpital psychiatrique m’avaient bien marqué ; particulièrement un plan sur le crâne de Cole] .
J’avais compris qu’en se rencontrant et qu’en trinquant ensemble ils allaient « faire de grandes choses ensemble », genre essayer de détruire l’humanité. Et comme celle qui aurait alors contribué à provoquer la catastrophe se trouverait être une des personnes chargée de trouver dans le futur les causes du mal qui a ravagé l’espèce humaine, j’y ai vu que cette recherche dans le futur n’était plus qu’un prétexte pour maintenir un état d’oppression. Ces scientifiques ont un pouvoir absolu ; trouver un remède marquerait la fin de leur règne.
Mais sinon c’est surtout un détail me fait percevoir le film très différemment. L’employé de la boîte de Jeffrey qui s’en va répandre le virus de par le monde est présent dans une ou deux autres scènes. Et dans mon souvenir il est présent quand Jack Cole raconte qu’un virus va détruire l’humanité et que c’est ainsi celui-ci qui à ce moment lui donne l’idée de ce qu’il va entreprendre.
Ainsi Cassandre provoque la catastrophe qu’elle annonce.
J’ai du inventé, mais l’idée me plaît et je la garde.
@Benoit : Peeters apparaît au moment où la psychiatre fait une signature de son livre en tout cas. Plusieurs fois dans le film des flashbacks ou des visions sont permutés : un gardien regarde Cole, le plan change, on revient sur le gardien et ce n’est plus le même… Et dans « l’image d’enfance », à un moment l’homme qui court n’est plus le Dr Peeters mais Jeffrey Goines, roux et avec la même queue de cheval.
Oh là là ça va bien compliquer mon souvenir ça.
On voit bien la scène de la signature dans une des vignettes. J’avais oublié le détail de Goines qui court à la place de Peeters.
Finalement on a l’impression que ces permutations, ces changements et ces récurrences évoquent la mécanique onirique, comme si le film était aussi une forme de rêve. Dès lors lui donner un sens comme on tente de le faire ici devient une mission aussi plaisante qu’impossible.