Je me retiens depuis des mois de faire ce jeu de mot, mais allez, je me lance :
Saint-Malachie ne profite jamais.
Oui, je sais, c’est très mauvais. C’est le principe des calembours, s’ils ne sont pas navrants, ils ne sont pas drôles. En tout cas ça rappellera à ceux qui ont des doutes, et je sais qu’ils sont nombreux, que Malachie se dit « Ma-la-ki » et non « ma-la-shi ».
Si je parle de Saint-Malachie aujourd’hui, c’est bien sûr à cause de la surprenante démission du pape Benoît 16, qui sera effective à la fin du mois et qui provoquera l’élection d’un nouveau pape, qui sera, si l’on en croit la prophétie, l’ultime pape.
Le texte attribué à Malachie est une liste de 112 papes, tous affublés d’un surnom sybillin. Le 112e et dernier pape de la liste est nommé Petrus Romanus (« Pierre le romain ») et il est ajouté à son sujet :
« Dans la dernière persécution de la sainte Eglise romaine siégera Pierre le Romain qui fera paître ses brebis à travers de nombreuses tribulations. Celles-ci terminées, la cité aux sept collines sera détruite, et le Juge redoutable jugera son peuple »
Les tribulations, c’est le moment de trouble et de catastrophes qui précède la fin des temps dans l’Apocalypse de Jean. La cité aux sept collines, c’est bien entendu Rome. Quand au juge redoutable, c’est Dieu, et le jugement, c’est le dernier, la fin des temps.
La dernière persécution, j’imagine que l’on trouvera facilement quelque chose qui fait l’affaire, comme la loi sur le mariage pour tous, les scandales liés aux affaires de pédophilie ou encore les effets des livres de Gianluigi Nuzzi1 qui étalent au grand jour les anomalies du Vatican en matière de mœurs ou encore de rapport à l’argent. Si on cherche des « persécutions » et des « tribulations », évidemment, on n’aura aucun mal à en trouver. Par ailleurs le mot latin pour « persécutions » est mal orthographié et ambigu, certains pensent qu’il fallait en fait lire « prosecutione » (dans la suite des temps).
Les prophéties n’engagent que ceux qui veulent y croire, et l’Église catholique apostolique et romaine n’a aucune envie de croire à celle-ci, qui prédit sa fin imminente. On peut imaginer que les évêques du prochain conclave éviteront d’élire un dénommé Pierre venu de Rome, mais ça ne suffira sans doute pas : tous les papes étant les successeurs de Simon Pierre (ci-dessus : la crucifixion de Saint-Pierre, par le Caravage) et étant amenés à régner à Rome, le nom « Pierre le Romain » peut s’appliquer à n’importe qui.
Qui était Saint-Malachie ? A-t-il écrit ses prophéties ?
Malachie d’Armagh était un religieux irlandais du XIIe siècle. Très populaire, il a été le premier irlandais à être canonisé, avant même Saint-Patrick, que la tradition considère comme l’évangélisateur du pays.
Il semble qu’il ne soit absolument pas l’auteur des prophéties qui lui sont attribuées, lesquelles n’ont été « découvertes » qu’à la fin du XVIe siècle, soit plus de quatre cent ans après sa mort, par un dénommé Arnold de Wyon, et l’on pense que leur but était de favoriser la candidature d’un évêque précis lors du conclave (l’élection du pape) de 1590. La ficelle était un peu grosse, peut-être, et la stratégie a échoué, mais Arnold de Wyon a persisté à affirmer que le texte était authentique.
En fait, la liste des papes jusqu’à cette époque est assez juste2 dans ses références aux armes, aux biographies et aux destins des papes cités, ce qui accrédite l’idée que la prophétie a été écrite après ce qu’elle est censée prophétiser. Pour les papes ultérieurs, les locutions fonctionnent moins bien, mais beaucoup se sont amusés à trouver des explications tirées par les cheveux pour les justifier. Comme chaque fois que l’on veut croire à quelque chose, on néglige les échecs flagrants ou les cas complexes (lorsqu’il y a eu plusieurs papes en même temps) et on se focalise sur les presque-réussites, comme le cas du 109e pape dont le nom Malachien est De mediate lunae (qu’on peut traduire par « le temps d’une Lune », selon certains), or le pape en question, Jean-Paul 1er, n’a effectivement régné sur le Vatican qu’un mois, c’est à dire à peu près le temps qui sépare deux pleine-lunes.
On peut trouver la liste complète des prophéties sur Wikipédia.
- Vatican S.A : Les archives secrètes du Vatican, éd. Hugo et Compagnie 2011, et Sa Sainteté : Scandale au Vatican, éd. Privé 2012, deux livres qui s’appuient sur des archives fournies par le majordome de Benoît 16. À ne pas confondre avec l’inoffensif beau-livre intitulé Les archives secrètes du Vatican, éd. Michel Lafon 2012, qui contient des reproductions de la correspondance de papes morts et béatifiés depuis longtemps. [↩]
- Les références aux papes antérieurs à 1590 sont assez justes mais sont aussi tributaires des erreurs et des mauvaises interprétations de l’histoire que l’on faisait à l’époque, ce qui conforte l’hypothèse d’un document forgé en 1590. [↩]