(attention, je raconte toute l’histoire, mais je n’ai pas de scrupules à le faire car la fin est connue dès la séquence d’introduction)
Melancholia s’ouvre sur des images prémonitoires au ralenti : feux de saint-Elme, aurores boréales,… On ignore ce qu’il se passe précisément mais il se passe quelque chose, le temps est arrêté et rien ne semble normal.
Et puis on voit une planète entrer en collision avec une autre : voilà, c’est la fin du monde.
Le récit revient en arrière, avec une amusante séquence pendant laquelle une limousine géante ne parvient pas à circuler dans des chemins de campagne. Les époux doivent terminer leur route à pied et atteignent le château où les attendent leurs invités. L’action ne quittera jamais cette bâtisse et son parc, un terrain de golf.
La jeune mariée, Justine (Kirsten Dunst), n’arrive pas à profiter de la somptueuse fête de son mariage où tout le monde, à commencer par sa sœur Claire (Charlotte Gainsbourg) et son beau-frère John (Kiefer Sutherland), à qui appartient le château, semble plus attaché qu’elle à ce que tout se passe bien.
Les personnages sont tout de même agités de beaucoup d’arrières-pensées : argent, travail, vieux contentieux familiaux (les parents de Justine s’affrontent en public), on ne sait pas au juste pourquoi tout ce petit monde veut tant que Justine se marie, semble attendre tant de choses d’elle, d’autant que son époux, très épris mais un peu fade, ne semble inspirer d’intérêt à personne. Ce mariage de cauchemar occupe une moitié du film. Au cours de cette soirée, Justine a remarqué un astre étrange…
Un certain temps après, des semaines, peut-être des mois plus tard, Justine revient au manoir où vivent sa sœur, son beau-frère et son neveu. Elle est en pleine dépression au point qu’il semble presque miraculeux qu’elle soit parvenue à entrer dans un taxi. La terre entière sait à présent ce qu’est l’astre qu’elle avait aperçu la nuit de son mariage : il s’agit d’une planète, baptisée Melancholia, qui fonce en direction de la terre et dont l’arrivée dans le système solaire avait été longtemps masquée par le soleil.
Les astronomes jurent qu’aucune collision ne se produira et que l’objet se contentera de nous frôler, mais sur Internet, certains proposent d’autres hypothèses : et si après son passage à proximité de la terre Mélancholia, revenait comme un boomerang, attirée par sa masse ?
Tandis que Justine semble reprendre un peu de forces et sortir de son état dépressif (qui n’a aucun lien avec la planète à la dérive), c’est sa sœur Claire qui parait affectée par les rumeurs qui accompagnent le passage de Melancholia. Quand à John, le mari de Claire, qui semblait si bien contrôler son univers, il est celui qui réagit le plus mal.
Et elle a de bonnes raisons de l’être : effectivement, toute vie disparaîtra bientôt de la terre, ainsi que le spectateur en avait été averti d’emblée. Ici pas de vaisseau pour s’échapper, comme dans When Worlds Collide, pas de scientifiques-hommes-d’action pour trouver une parade astucieuse, l’évènement cosmique se déroulera sans pitié et la seule chose qui compte, finalement, c’est de voir de quelle manière et avec qui on peut vivre la fin du monde.
Le titre du film est un indice suffisant pour que nous sachions que la fin du monde n’est pas le vrai sujet du film : c’est bien l’état psychologique de dépression, la bile noire, la mélancolie, dont il est question. Melancholia fait partie de ces films qui se prêtent à une analyse assez poussée. Les plans sont très réfléchis, de même que les interactions entre les personnages, y compris secondaires, tel l’énigmatique « wedding planner » (Udo Kier), qui semble constamment éviter Justine.
De nombreuses références parsèment le film : musique (Wagner, omniprésent), peinture (Kasimir Malevitch, que Justine remplace par Pieter Brueghel, John Millais et Carravage) mais aussi cinéma (là j’ai cru voir des allusions visuelles à L’Année dernière à Marienbad, Festen, Marnie, Shining, 2001 ou même Contact, et certainement aussi à des réalisateurs tels que Tarkovski et Antonioni à qui Lars Von Trier se réfère souvent).
Enfin, les effets spéciaux sont d’une grande qualité plastique. Tout en se démarquant complètement de ceux des films catastrophe du moment, ils tirent parti des technologies les plus à la pointe et, comme dans District 9 ou Cloverfield, marient impeccablement la caméra à l’épaule et l’inclusion d’éléments numériques. On apprend dans les bonus que la plupart de ces effets ont été réalisés dans un esprit de vraisemblance assez poussé. Par exemple, le choc entre les deux mondes a été modélisé en 3D calculée en fonction de paramètres physiques (écrasement, mouvement des plaques tectoniques), et cette séquence qui ne dure que quelques secondes à l’écran a réclamé des mois de travail.
Puisqu’il s’agit d’un film de Lars Von Trier, on y trouve plusieurs des tics de l’auteur, comme son goût pour le casting incongru (Charlotte Gainsbourg et Kirsten Dunst en sœurs ne sont pas beaucoup plus crédibles que Catherine Deneuve en ouvrière américaine, dans Dancer in the Dark) et un mélange de réalisme (la caméra filme la scène comme si elle la découvrait) et de fausseté (dialogues, attitudes, situations,…).
L’ensemble fonctionne très bien.
Au passage, signalons que l’édition DVD contient en intégralité la conférence de presse scandaleuse où Lars Von Trier a déclaré « je comprends Hitler » et « je suis un nazi ». En visionnant cette séquence, on s’effraie de la malveillance des journalistes qui ont rapporté ces paroles au premier degré, car si l’auteur des propos s’embrouille et ne parvient pas à communiquer son propos à l’auditoire de manière très convaincante, il faut une sacrée dose de mauvaise foi pour y entendre un coming-out fasciste.
et si certains (nombreux) journalistes ne s’étaient pas acharnés à se taper LVT, pour avoir un peu de scandale et donc d’audience, Kirsten Dunst n’aurait pas eut un prix, mais le film la palme d’or. C’est le film de l’année. Le film de la crise. De la poésie, de l’espoir, de la folie.
Merci pour la critique !
Encore sur la conférence. Gilles Jacob avait demandé à LVT de faire la conférence, exercice qu’il déteste, parce que Terrence Malick avait déjà refusé de venir,…
@GD : ça se sent qu’il n’aime pas trop être là, Lars Von Trier.
Pas d’accord, the tree of life à largement mérité sa palme et il aurait mérité de gagner même sans la conférence de LVT