Threads

Le 23 septembre 1984, BBC2 diffusait avec un succès intattendu Threads, un film de fiction qui présente de manière didactique les étapes d’une guerre nucléaire, vécue par des habitants de la ville de Sheffield, notamment un jeune couple qui attend un enfant. Ce téléfilm est disponible en intégralité sur Youtube.
Le scénario est désespérant et sordide : on commence par nous montrer de manière assez tranquille la petite vie des citoyens et le fonctionnement des institutions (l’officier municipal qui doit organiser les choses avant la guerre,…), mais très vite, aucune préparation ne semble suffisante, la société vole en éclat et les autorités en viennent même à tirer sur la foule affamée. Quinze ans après la catastrophe, il ne reste plus grand chose à sauver, le pays est retourné au moyen-âge et la petite fille dont le spectateur avait suivi l’histoire dès avant sa naissance donne le jour à un monstre.

Threads s’inscrit dans ce que certains nomment « la seconde guerre froide » : l’Iran était devenu une république islamique, les britanniques venaient de connaître un bref conflit avec l’Argentine, les États-Unis étaient dirigés par Ronald Reagan, un ultra-conservateur religieux qui disait volontiers être persuadé que la bataille d’Armageddon approchait et qui appelait les soviétiques « l’empire du mal », le tout sur fond de crise des Euromissiles : des deux côtés du mur, l’arsenal des deux camps ennemis était suffisant pour pulvériser plusieurs fois la planète.
Si les gens ne semblent pas se souvenir avoir été obsédés par la bombe à l’époque, les fictions de ce genre connaissaient un regain : The Day After, MalevilWargames, When the wind blows,… Quand à la musique pop, elle était tout aussi focalisée sur le sujet : 99 luftballons de Nena, Two Tribes de Frankie Goes to Hollywood, et des centaines d’autres titres ne parlaient de rien d’autre.

Ce contenu a été publié dans La Bombe. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

5 réponses à Threads

  1. Wood dit :

    Attention c’est fort déprimant et pessimiste. On s’y attend pour un film sur la guerre nucléaire, mais ça vaut le coup d’être précisé. Ne le regardez pas un jour de vague à l’âme.

    J’en ai entendu parler grâce à cette discussion sur le forum Whitechapel. L’un des commentaire dit fort justement :

    « It’s genuinely traumatising and not in a cathartic way that you can come out of a changed, better person.

    It might, however, explain a bit about Margaret Thatcher and how she came to power and where people thought the world was going at the time, and just how fucked Britain was in the 80s.

    There is that, if you need it.

    Don’t watch Threads. »

    Je ne l’aurais pas mieux dit.

  2. Jean-no dit :

    Oui c’est vrai que c’est du désespoir à l’état pur 🙂

  3. Rama dit :

    « Threads » est le seul film que je connaisse à envisager la guerre nucléaire sous l’angle social, et particulièrement à long terme. D’habitude, on voit soit les prémisses de la guerre, et quand les premières bombes explosent c’est « game over » (c’est le cas notamment avec « docteur Folamour »), soit on est plongé dans un monde post-apocalyptique où le passé est évoqué en passant (« 1000 ans se sont écoulés depuis les Sept Jours de Feu ») ; dans Threads, on voit que la vie continue pendant et après la guerre, et que c’est une vie merdique. C’est ça, le point crucial.

    Si vraiment une guerre nucléaire faisait disparaître la vie d’un seul coup, on se ramènerait à la question « pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? » (« pourquoi l’étant est-il arraché à la possibilité du non-être ? »). Mais en pratique, la vraie question est « guerre ou paix », « société ou chaos », « misère ou abondance (relative) ».

    Je pense que ce problème d’élipse se retrouve dans pas mal d’autres cas :
    – en politique : « ce n’est pas vraiment une dictature, la plupart des gens vivent très bien »; dans une dictature, la plupart des gens vivent très bien, tant qu’ils ne cassent pas activement les pieds du gouvernement. Les escadrons ne vont pas espionner chez les gens pour vérifier des trivialités, ils punissent des révoltes délibérées.
    – en écologie : « nous détruisons la planète ! » ; en fait la planète se porte très bien, et nous sommes juste en train de causer l’extinction d’espèces particulièrement idiosyncratiques à des environnements fragiles. Le point crucial, c’est que les humains sont eux-même assez fragiles et idiosyncratiques, et se préparent un avenir pénible à vivre : nous sommes en train de dé-terraformer notre propre planète (c’est l’idée derrière http://img5.joyreactor.com/pics/post/auto-332735.jpeg ). Sous-problème : le résultat de cette dé-terraformation n’est pas que l’Humanité disparait d’un coup, mais que la lutte pour les ressources se fait progressivement plus cruelle.

    • Jean-no dit :

      @Rama : il faut que je revoie Le jour d’après sorti plus ou moins en même temps que Threads mais américain. Je m’en rappelle comme d’une sorte de Raisins de la colère version hiver nucléaire. J’ai le DVD mais ma femme et mes enfants en ont marre des films horribles 🙂

      • Rama dit :

        Je trouve que Le jour d’après a un côté un peu pleurnichard, alors que Threads reste toujours froidement clinique et distant des personnages. Mais la comparaison avec Les Raisins de la colère est bien vue, et pour le coup, les scènes de dévastation urbaine de Threads ont un petit côté Dickens qui fait le pendant à la dévastation campagnarde du Jour d’après.

        Le truc qui me fait froid dans le dos, c’est que Le jour d’après aurait horrifié Reagan au point de le pousser à jouer la détente avec les Soviétiques. C’était peu après que l’excercice Able Archer avait tellement inquiété les Soviétiques qu’il avait mis le monde au bord de la guerre nucléaire sans même que les Américains ne s’en rendent compte. J’espère que c’est une façon de romancer un peu la reflexion de Reagan, parce que s’il a vraiment fallu un téléfilm pour qu’il prenne un peu conscience de ses responsabilités, c’est que le monde tient vraiment à peu de choses.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *