Je n’ai pas lu le roman Malevil (1972), de Robert Merle, et j’ignore donc ce que l’auteur a reproché à l’adaptation cinématographique de son roman, réalisée par Christian de Chalonge en 1981. Reste que Robert Merle a exigé que son nom n’apparaisse pas au générique de ce film que je trouve pour ma part assez réussi et doté d’une distribution intéressante, avec notamment Michel Serrault, Jacques Dutronc, Jean-Louis Trintignant et Jacques Villeret.
L’histoire débute dans une cave où le maire du village de Malevil et quelques uns de ses administrés discutent de l’emplacement des futurs éclairages publics en buvant un coup. Et puis subitement, une lumière intense perce sous la porte, suivie de bruit, de souffle,… On ignore quel genre de catastrophe vient de se produire, on pense à une explosion atomique. Lorsqu’ils sortent, c’est pour trouver un paysage dévasté, où neige de la cendre. La configuration particulière du lieu, un petit château à flanc de rocher, fait que toute vie n’a pas disparu : un métayer a survécu, mais aussi une truie, ses gorets, une vache et une jument.
Aussitôt, chacun se met au travail : enterrer les morts calcinés, retourner la terre,… Peu à peu d’autres survivants se font connaître, notamment une jeune fille devenue aveugle à cause de l’explosion, et des vagabonds affamés. Au fil des mois, la vie s’organise et l’espoir revient : le blé pousse, notamment. Le vrai problème de survie devient la confrontation aux autres : les affamés qu’il faut faire fuir, mais aussi un groupe d’hommes et de femmes qui ont survécu à la catastrophe car ils se trouvaient dans un train, sous un tunnel, au moment de l’explosion. Ceux-ci sont dirigés par un illuminé, qui se fait appeler « le directeur » et par son bras-droit, qui se fait appeler « le commandant », deux hommes autoritaires qui abusent de leur pouvoir, notamment au détriment des femmes.
Sans raconter toute l’histoire, la réussite du film tient peut-être dans sa toute fin : des hélicoptères bruyants dans lesquels se trouvent des hommes en combinaison anti-radioactive apparaissent subitement dans le ciel. Il s’agit d’un groupe d’intervention venu récolter les survivants pour les emmener dans un lieu de décontamination. On apprend au passage que les zones contaminées sont déclarées inhabitables et serviront désormais de lieu d’expérimentation scientifique. Sauf trois d’entre eux qui partent sur un radeau, les survivants sont forcés d’abandonner sur place tout ce qu’ils ont construit, mais aussi leurs bêtes. On sent que l’aventure de ces hommes et de ces femmes qui ont lutté pour conserver leur humanité est terminée et que les survivants sont désormais des sujets administratifs, placés sous la protection (ou à la merci) des militaires, lesquels sont sans doute aussi les responsables de la catastrophe.
Les décors sont très réussis. Le contraste entre un Sud-Ouest riant et vert avant l’explosion, et un tas de ruines et de cendres après l’explosion, est assez frappant. Les acteurs sont plutôt à leur place, notamment Michel Serrault, en maire sage, et Jean-Louis Trintignant, en gourou autoritaire, qui incarnent deux figures opposées du pouvoir, l’une légitime, et l’autre illégitime. Les scènes d’action (le maire de Malevil rampant dans sa cave,…) fonctionnent un peu moins bien mais l’ensemble donne un film à l’ambiance oppressante, parfaitement en phase avec les angoisses de son époque. Curieusement, ce classique du genre post-catastrophe n’a pas été édité en DVD en France, j’ai du m’en procurer une édition allemande.
Dans le roman, il n’y a pas d’hélicoptères à la fin : la fin du monde c’est pour de bon et partout, à priori.
Il y a aussi une bande dessinée de la série des Lefranc, Les portes de l’Enfer, qui reprend ce thème mais avec un twist fantastique vers la fin (par ailleurs pas le meilleur de la série, à mon avis).
J’ai lu le roman, et même plusieurs fois (tu sais, ces romans de l’adolescence qui marquent et qu’on relit adulte), et je n’ai regardé le film que lorsque tu en as parlé sur Twitter.
Sans m’avancer trop, à mon avis ce que Robert Merle a reproché au film, c’est probablement d’une part la fin (dans le roman on ne sait pas ce qu’il advient de la communauté, on est amenés à imaginer quel type de société peut se reconstruire), d’autre part le fait que le film s’avance finalement assez peu sur la question de la reconstruction d’une société post-catastrophe. C’est logique pour un film nécessairement court, mais le roman fait une part beaucoup plus grande à l’organisation sociale qui se remet en place à Malevil, notamment avec la question de la possession des femmes (qui déclenche des luttes de pouvoir), et aussi aux relations avec la communauté dirigée par le « directeur », qui ressemble à un archétype du dictateur naissant tirant parti d’une situation de détresse.
Le roman est beaucoup plus social qu’apocalyptique, en fait.