le rapport Meadows avec cent ans d’avance !

En 1972, à l’initiative du Club de Rome, était publié le rapport The Limits to Growth (Les limites à la croissance), souvent appelé Rapport Meadows, du nom de deux de ses auteurs proéminents, Donnella et Dennis Meadows. Construit dans une perspective scientifique, ce rapport établissait un constat assez simple : la dynamique exponentielle de nombreux indicateurs (consommation, production, population), amènera l’Humanité à se heurter à des limites pragmatiques et connaîtra un épuisement de ressources autant dans le domaine du vivant que dans le domaine des minerais, du pétrole, de l’eau, etc.

Five kinds of negative growth – The Earthbound Report

En son temps, ce rapport avait connu un grand retentissement populaire mais avait été conspué par des personnalités telles que le « Nobel » d’Économie1 Friedrich Hayek, et avait vu son contenu caricaturé par nombre de commentateurs qui l’ont décrit comme une prophétie farfelue. Les auteurs du rapport avaient pourtant prudemment proposé plusieurs scénarios, variant leurs prédictions selon que le monde ferait le choix d’accélérer sa combustion ou au contraire de rechercher la stabilité. Cinquante ans plus tard, les observations du rapport semblent mutatis mutandis assez proches du scénario « business as usual », selon lequel nous avançons tranquillement mais sûrement vers une catastrophe. Cette étude est une référence pour écologistes, notamment les collapsologues qui cherchant à anticiper les conséquences économiques, sociales et géopolitiques des pénuries annoncées, et (parfois les mêmes), les « décroissants » et autres partisans d’une « sobriété économique », qui préfèrent un changement de mode de vie qui soit choisi plutôt que subi.

Image dans Infobox.

Même s’il ne s’appuie pas sur une méthodologie scientifique chiffrée, on peut s’émerveiller de voir qu’Eugène Mouton (1823-1902) avait prédit les mêmes problèmes cent ans avant les scientifiques du MIT2. Il l’a fait en 1872, donc, dans un ouvrage signé de son pseudonyme « Mérinos » et intitulé Nouvelles et Fantaisies humoristiques. Eugène Mouton/Mérinos a été un écrivain humoriste, mais il a d’abord eu une carrière de magistrat, terminée avec une charge de procureur impérial dans la ville de Rodez. Le succès de ses pastiches et de ses textes légers lui a permis de démissionner et de quitter le service de la justice pour la seule littérature. Au cours de sa carrière d’auteur, il a aussi publié des ouvrages sérieux consacrés au droit ou à l’Histoire.

Le texte, qui s’intitule La Fin du Monde, rappelle en introduction que tout ce qui existe a un début et une fin et que ce sera le cas de la Terre. Mais l’auteur affirme : « [la Terre] ne mourra pas de vieillesse ; oui elle mourra de maladie ; Par suite d’excès ». Il développe en parlant de l’accélération du développement technique et démographique de l’Humanité, et de la manière dont l’activité humaine altère la nature :

En même temps on plante de tous les côtés; on défriche, on invente des assolements fécondants et des cultures intensives ; on compose des engrais artificiels qui doublent le rendement dos terres ; […] et puis on brûle des millions de tonnes de houille, sans compter qu’on perfectionne incessamment les appareils de chauffage, qu’on calfeutre de plus en plus les maisons, et qu’enfin on fabrique tous les jours à meilleur marché les étoffes de laine et de coton dont l’homme se sert pour se tenir chaud.

À ce tableau déjà suffisamment sombre il convient d’ajouter les développements insensés de l’instruction publique, qu’on peut considérer comme une source de lumière et de chaleur, car si elle n’en dégage pas par elle-même, elle on multiplie la production en donnant à l’homme les moyens de perfectionner et d’étendre son action sur la nature.

Il est intéressant qu’Eugène Mouton qualifie de « tableau déjà suffisamment sombre » ce que beaucoup à son époque, et beaucoup aujourd’hui encore nomment juste « le progrès » : produire plus, gagner en confort. La critique du progrès scientifique n’était pas rare à l’époque mais portait souvent sur les questions philosophiques, esthétiques, morales ou spirituelles en réaction aux idées matérialistes et positivistes. Il n’est sans doute pas abusif de dire que le Romantisme est une forme de réaction au progrès. Il existe des précédents à l’approche d’Eugène Mouton, comme La fin du monde par la science (1855), écrit par un avocat3 féru de sciences, Eugène Huzar, dont les écrits ont récemment été réédités. Eugène Huzar s’inquiétait de ce que les modifications de la nature par l’espèce humaine pouvaient ruiner l’atmosphère et autres ressources indispensables à la vie. Mais Huzar croyait tout de même au progrès pour remédier au progrès : une meilleure connaissance du monde et un effort international de régulation pouvaient à son sens pallier la catastrophe4.
Ce n’est pas le cas d’Eugène Mouton pour qui la catastrophe est irréversible et qui présente même le progrès de l’instruction publique comme une cause indirecte d’une exploitation toujours plus abusive de la nature.
Si la catastrophe est irréversible, elle n’en reste pas moins lointaine et nous ne la subirons, dit-il, que dans « une dizaine de siècles ». Nous sommes ici loin des alarmes (contre-productives, je pense) du type « Il ne reste plus que trois ans pour sauver le climat » :

Voici donc ce qui va se passer.
Pendant une dizaine de siècles, tout ira de mieux en mieux.
À ce moment-là il y aura sur la surface du globe environ un milliard de machines à vapeur de mille chevaux en moyenne, soit mille milliards de chevaux-vapeur fonctionnant nuit et jour.
Tout travail physique est fait par des machines ou par des animaux : l’homme ne le connaît plus que sous la forme d’une gymnastique savante, pratiquée uniquement comme hygiène. Mais tandis que ses machines lui vomissent incessamment des torrents de produits manufacturés, de ses usines agricoles sort à flots pressés une foule de plus en plus compacte de moutons, de poulets, de bœufs, de dindons, de porcs, de canards, de veaux et d’oies, tout cela crevant de graisse, bêlant, gloussant, mugissant, glougloutant, grognant, nasillant, beuglant, sifflant, et demandant à grands cris des consommateurs !
Les maisons s’élèvent étage par étage; on supprime d’abord les jardins, puis les cours. Los villes, puis les villages, commencent à projeter peu à peu des lignes de faubourgs dans toutes les directions ; bientôt des lignes transversales réunissent ces rayons. Le mouvement progresse ; les villes voisines viennent à se toucher. Paris annexe Saint-Germain, Versailles, puis Beauvais, puis Chalons, puis Orléans, puis Tours; Marseille annexe Toulon, Draguignan, Nice, Carpentras, Nîmes, Montpellier; Bordeaux, Lyon et Lille se partagent le reste, et Paris finit par annexer Marseille, Lyon, Lille et Bordeaux. Et de même dans toute l’Europe, de même dans les quatre autres parties du monde.

Ce qui est peut-être le plus remarquable ici, c’est le paradoxe exprimé par l’auteur que la préparation de la catastrophe aura toutes les apparences de l’abondance et du confort : « tout ira de mieux en mieux ». Nous ne sommes pas loin de l’idée actuelle d’un monde qui vit « à crédit ».
Dans sa description, ce qu’il reste de nature n’existe plus que pour nourrir les villes.

Alors commence à se former, sur l’écorce du globe, d’abord presque une pellicule, puis une couche appréciable de détritus irréductibles : la Terre est saturée de vie.
La fermentation commence.
Le thermomètre monte, le baromètre descend, l’hygromètre marche vers zéro. Les fleurs se fanent, les feuilles jaunissent, les parchemins se recroquevillent : tout sèche et devient cassant.

Les pénuries dues à la surpopulation, à l’extension du domaine urbain et à l’augmentation globale de la température rappellent des fictions emblématiques contemporaines de la publication du Rapport Meadows, telles que le roman Le Troupeau aveugle, par John Brunner ou des films tels que Z.P.G5 et, bien entendu, Soylent Green6.

L’eau devient un bien rare, ceux qui la détiennent font des fortunes ; la glace vaut vingt fois son prix en diamant ; le tiédissement des cours d’eau tue les poissons et les algues. Enfin, la Terre se dessèche et s’asphyxie sous les yeux des derniers humains. Elle s’embrase, se consume, puis devient un caillou céleste sans vie :

Morne et glacée, elle roule tristement dans les déserts silencieux de l’infini; et de tant de beauté, de tant de gloire, de tant de joies, de tant de larmes, de tant d’amours, il ne reste plus qu’une petite pierre calcinée, errant misérable à travers les sphères lumineuses des mondes nouveaux.

Ce texte fête ses cent-cinquante ans mais son contenu fait écho à des préoccupations bien actuelles et anticipe l’idée, bien installée dans les consciences depuis les premières explosions de bombes atomiques, puis avec la prise de conscience écologiste, que la fin du monde ne sera pas une opération divine mais que c’est l’Humain soi-même qui causera la perte de la planète qui l’a vu naître.
On peut lire une version intégrale de ce texte en cliquant sur ce lien.

  1. Je mets des guillemets à « Nobel » car si prestigieux qu’il soit, le prix d’Économie généralement appelé « Nobel » n’a pas été institué par Alfred Nobel. Son nom véritable est Prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel. []
  2. En décembre 1978, le journal Métal Hurlant titrait Avec 80 ans d’avance un article consacré à La Fin du Monde, texte que l’auteur de l’article datait, à tort, de 1892, soit huit décennies avec le Rapport Meadows. Je reprends le rapprochement fait par l’auteur (André-Clément Découflé) entre La Fin du Monde d’Eugène Mouton et le rapport Meadows, mais je rétablis les dates ! []
  3. Encore un homme de loi, et encore un Eugène, tiens ! []
  4. Pour résumer le contenu de La fin du monde par la science d’Eugène Huzar, je dois me fier à des recensions glanées sur le réseau, car j’avoue ne pas l’avoir lu. []
  5. Z.P.G. : Zero Population Growth. []
  6. Soylent Green / Soleil Vert, sorti en 1973, s’appuie sur un roman de 1966, Make Room ! Make Room ! (Harry Harrison), qui anticipait l’essai The P. Bomb (Paul Ehrlich), ouvrage qui a connu un grand retentissement en son temps et qui lançait l’alerte au sujet de la surpopulation à venir (le « P » est pour « popultaion ») et surtout, pour ses conséquences sur l’écosystème. []
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Codex de Predis

Cristoforo De Predis (1440-1486), miniatures des histoires de Saint Joachim, Sainte Anne, la Vierge Marie, Jésus, Baptiste et la fin du monde (1476). Bibliothèque nationale de Turin.

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The Walking dead

Je me dois d’avouer d’emblée que je n’ai jamais lu les bandes dessinées de la série The Walking dead, je ne connais que la série télévisée qui en est inspirée, ainsi que son spin-off, Fear the Walking dead, dont je parlerai, je pense, dans un futur article1.
On m’a dit que le comic-book valait le détour et que la série s’en écarte progressivement2.

Les walkers. Il est recommandé d’aller dans l’autre sens.

Dans The Walking dead, le mot « zombie » n’est jamais prononcé. Les concernés se font appeler « walkers », « rotters », « biters », « eaters », « infected », « wasted », « dead », « empties », « has-beens », et autres noms imagés. C’est une chose assez bien vue, d’ailleurs : selon les lieux, selon les groupes de survivants, ce ne sont pas forcément les mêmes mots qui sont employés, ce qui semble plutôt logique puisque les survivants sont isolés les uns des autres, sans médias de masse, sans support pour faire circuler un vocabulaire.
On ne sait pas ce qui s’est produit exactement, mais le monde entier (semble-t-il) est victime d’une pandémie (microbe ? parasite ? champignon ?) qui ranime les morts récents et les transforme en prédateurs laborieux qui réagissent au son, au mouvement et aux odeurs, et qui aiment dévorer ce qui vit. Leur morsure cause une infection que rien ne guérit (quoiqu’il existe des cas d’amputations précoces ayant permis d’empêcher l’infection de s’étendre) et qui tue la personne mordue en quelques heures. On peut donc dire que la morsure d’un « walker » transformera la personne mordue en « walker » elle-même. Rien ne peut enlever leur « vie » rudimentaire à ces morts, si ce n’est de détruire leur cerveau.

La première chose que font les militaires face aux morts-vivants… C’est de massacrer les vivants. La peur ne rend pas très malin. Les autorités (État, Police, Armée) ne durent pas bien longtemps, dans la série.

Ma description peut suffire à vous en donner une idée : The Walking Dead n’hésite pas à se complaire visuellement dans l’épouvante, et le talent des maquilleurs, des cascadeurs, des acteurs et des créateurs d’effets spéciaux rend parfois la chose assez crédible. On finit néanmoins par oublier un peu l’aspect « gore » de l’ensemble. En tant que spectateur, je me surprends désormais à me sentir pour le moins insensibilisé aux visions de mutilations, morsures et autres violences sanguinolentes qui font l’ordinaire des survivants dont la série suit les aventures. La vraie souffrance, pour le spectateur, est psychologique et elle est le fruit de l’injustice, de la cruauté ou de la bêtise qui sont parfois à l’œuvre.
D’un point de vue cinématographique, je remarque que les réalisateurs ne s’interdisent pas certaines facilités, comme de faire subitement apparaître un mort-vivant dans le champ à l’instant où le héros est montré en plan rapproché, alors qu’en toute logique, nous aurions dû voir la menace lorsque le plan était plus large, et alors que le héros lui-même n’aurait pas dû pouvoir ignorer sa présence. La manière dont un lieu se remplit subitement de morts-vivants et le manque de jugeote des vivants (qui ne sont pas toujours attentifs ou tacticiens, qui oublient parfois qu’ils savent courir, qui oublient que les morts-vivants ne sont pas très agiles face à des obstacles aussi banals que de simples escaliers) sont d’autres éléments qui, au début de mon visionnage de la série, m’ont un peu agacé, ou du moins, m’ont fait vivre certaines séquences de manière moins intense.
Mais après tout, c’est peut-être aussi bien.

Quand les survivants espéraient encore comprendre et guérir l’épidémie…

Le propos de The Walking Dead n’est de toute façon pas d’être un film d’horreur réaliste puisque l’épidémie zombie n’est pas ici le sujet mais juste le cadre. Dans les premières saisons de la série sont évoqués un laboratoire de recherche, qui dispose peut-être de clefs permettant de guérir le monde, et plus tard des informations secrètes sur l’épidémie dont affirme disposer un prétendu scientifique qui exige à ce titre de se faire escorter jusqu’à Washington… Les deux pistes se révèlent décevantes et les protagonistes renoncent finalement à toute forme d’espérance : rien ne s’arrangera, il faut survivre malgré tout. Si par deux fois on nous a fait croire qu’il existait peut-être une solution scientifique à l’épidémie, c’était précisément pour mieux nous décevoir et nous faire abandonner tout espoir sur ce plan.
Certains survivants ont tenté de conserver avec eux les morts qu’ils ont aimés de leur vivant, certains ont tenté de les comprendre, de communiquer avec eux ou de les utiliser, mais pour la plupart, les vivants cessent assez vite d’étudier le fonctionnement de Walkers. Une fois connue la manière de les neutraliser, et une fois admis que les tuer ne constitue pas un véritable meurtre, pas un problème moral — car rien de l’humain qu’ils ont été de leur vivant ne subsiste —, ils ne sont plus traités que comme une espèce nuisible.
L’enjeu de la série devient alors la survie non seulement parmi les morts, mais surtout parmi les survivants, qui sont systématiquement des menaces.

L’action se déroule aux États-Unis et chaque personne que l’on croise est un danger, soit parce qu’elle est clairement mal intentionnée, soit parce qu’elle redoute que les inconnus qu’elle rencontre le soient. Je trouve étonnant de voir à quel point l’ensemble des protagonistes du récit semble dès le début juger logique, naturel, qu’au lieu de créer spontanément une sympathie parmi les vivants et un sens de la coopération, la nouvelle situation du Monde transforme tout autre humain en menace, prête à tirer à vue non seulement pour se défendre, non seulement pour détrousser ceux qui ont des vivres ou de l’eau, mais simplement par peur de l’autre. Il faut dire que quand chacun est susceptible d’être armé, on apprend vite à faire des phrases courtes, voire pas de phrases du tout. Je suis curieux de ce que donnerait une série issue de l’univers de The Walking Dead qui se passerait dans un pays où les armes à feu ne prolifèrent pas actuellement.

Comme dans toute fiction de zombies, le point de départ est une hypothèse absurde (qu’elle soit traitée de manière fantastique ou pseudo-scientifique, peu importe), et ce qui compte c’est ce que ce postulat permet de faire apparaître.
Dans The Walking Dead, la première victime de l’Apocalypse, c’est le lien social.
Bien entendu l’État a disparu, et les seules autorités tentant de réguler la société, de créer et de maintenir des communautés (le gouverneur, les gens de Terminus, l’Hôpital d’Atlanta, Negan, Alpha), sont des monstres ou des despotes mégalomanes qui semblent convaincus que seules bénéficieront au groupe les décisions les plus cruelles, les « tough call », comme on dit. Et la plupart de ces groupes ne semblent pouvoir être soudés que par l’abaissement des libertés individuelles, par l’absence de démocratie, par les décisions arbitraires, des sacrifices, et souvent aussi par le massacre d’autres groupes : ceux qui ont ensemble commis un crime sont liés pour toujours.

On remarquera que le scénario punit souvent la confiance, laquelle ne parvient à exister qu’au niveau de la famille, ou plutôt la tribu : des gens qui ne se sont pas forcément choisis mais qui sont suffisamment habitués les uns aux autres pour être solidaires. Souvent, ce qui lie des personnes est d’avoir combattu ensemble, de s’être retrouvés, parfois complètement par hasard, parfois après avoir été ennemis mortels, en position de frères (ou sœurs) d’armes : liés par le sang qu’ils ont fait couler ensemble. Je n’ai jamais vécu de guerre, de tragédie, j’ignore si tout cela se tient d’un point de vue psychologique, mais la fiction rend la chose plutôt crédible. Un aspect intéressant ici c’est qu’il n’est jamais ou quasiment jamais question de racisme ou de questions nationalistes, sociales, et même le sexisme ou l’homophobie sont en grande partie évacués par la situation : plus vraiment le loisir de se haïr artificiellement lorsqu’on doit ensemble résister à des périls concrets. Ce n’est pas du tout le cas avec la série dérivée Fear the Walking Dead, où les questions nationalistes ou racistes (le mépris des Étasuniens envers les Mexicains, par exemple), sexistes, sociales, sont le cœur même du récit, qui se construit à mon sens avant tout comme une critique saignante des États-Unis d’Amérique.


Daryl (à gauche), un des deux seuls protagoniste à avoir survécu de la première à la dixième saison de la série. À droite, Judith, dont les parents biologiques sont morts, dont le père officiel a disparu, et dont la mère adoptive n’existe plus que comme voix dans un wakie-talkie. Elle a appris assez tôt à survivre et même à tuer, mais elle amène souvent les adultes à conserver un peu de leur humanité et aussi, à se rappeler qu’il reste encore des choses à sauver dans ce monde de désespoir.

Dans The Walking dead, La confiance en l’autre est souvent sanctionnée, mais avec le temps, le groupe que nous suivons, dont il ne reste plus que deux survivants des tout premiers épisodes — un peu secondaires au départ —, et qui a régulièrement gagné ou perdu des membres, tente de construire quelque chose, et, non sans difficultés ni sans défiance, accueille régulièrement de nouvelles personnes voire de nouveaux groupes, de nouvelles communautés. Je remarque que le très relatif assouplissement des comportements, cet abandon partiel de la méfiance, qui ne supprime pas les menaces mortelles, loin de là, va de pair avec la progressive disparition des armes à feu, des munitions ou des véhicules motorisés. Peu à peu se construit une organisation politique rudimentaire où les personnalités les plus respectées pour leurs faits d’arme, généralement, tiennent conseil, prennent des décisions collectives. Plusieurs groupes se fédèrent afin de mener des projets en commun, d’essayer d’offrir un monde viable aux enfants. Ceux-ci apprennent bien trop tôt que la vie est courte et cruelle. Le spectateur accepte la même chose, d’ailleurs : la mort arrive, la violence existe, et toutes les injustices ne peuvent pas se réparer ou être vengées. Vivre, survivre, c’est aussi accepter de mourir, de voir d’autres mourir, de souffrir et d’être frustré.

Le dépit de Lisa Mandel… (image utilisée avec l’autorisation de son autrice)

À l’heure où j’écris cet article, la diffusion de l’ultime épisode de la dixième saison de la série a été reportée à une date inconnue, pour cause de pandémie de coronavirus, car la postproduction n’a pas pu être achevée à temps ! Belle mise en abîme3.
Je dois dire que je suis assez impatient de voir comment va évoluer la série, qui est censée continuer pendant des années je crois, car, au delà des enjeux philosophiques ou politiques que l’on trouve dans toute série de zombies, celle-ci développe sur la longueur quelques personnages vraiment marquants, et la palpitante autant qu’angoissante sensation que toutes les péripéties sont possibles, même et surtout les plus tragiques.

  1. Mise à jour octobre 2020 : une autre série dérivée, The Walking dead: World Beyond vient de commencer à être diffusée sur Amazon Prime. Extrêmement prometteuse, elle commence en opposant une République de savants qui peut rappeler la base alpha de la série Cosmos 1999 à son allié de circonstance, un gouvernement autoritaire et cruel. Comme souvent dans l’univers de The Walking Dead, la confiance et la bonne volonté ne sont pas forcément récompensées. []
  2. Amusant : je me rends compte que je choisis le dimanche de Pâques, en pleine pandémie de Coronavirus, pour parler d’une série où une épidémie résurrectionne les morts… []
  3. Anecdote toute personnelle, dans le même registre : le 14 mars j’étais programmé comme conférencier dans le cadre des Carrefours de la pensée, au Mans, pour parler de fin du monde… Séance annulée in extremis pour cause de fin du monde, deux jours avant que la France entière ne soit confinée. []
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[Appel à textes] Anthropocène mon amour

On me contacte afin que je donne un écho à cet appel à contribution pour un recueil de fiction dans le registre utopie post-apocalyptoque/collapsologie.

La maison d’édition associative Le Chien à deux queues lance un appel à textes dont le titre est Anthropocène mon amour.
Les textes doivent être envoyés avant le 13 octobre 2019.
Ils doivent faire 40 000 signes au maximum, aux formats .doc, .docx, .pdf.
Corps de caractère : 12, interligne 1.5.

Voici le texte de l’appel :

La civilisation telle que nous la connaissons aujourd’hui s’est effondrée: plus d’Etat. Le capitalisme: pfouit! De petites communautés humaines se sont auto-organisées à l’échelle d’un village, d’un quartier, d’une ville. L’effondrement a laissé place à de nouveaux modes d’organisation politique. Dans ces communautés, la vie reprend. Tout doit être repensé : les relations humaines (entre voisins, avec nos enfants, nos amitiés, nos amours, etc), notre rapport à la terre, au monde animal, la place des techniques et technologies, la santé, l’éducation… et la gestion des conflits. Dans ce monde nouveau, où tout est à (ré)inventer, sur quels Récits nous appuierons-nous pour vivre, pour donner espoir et perspectives à nos semblables et à nous-mêmes ? Quelles anciennes mythologies nous aideront ? À quoi ressembleront celles qui émergeront du chaos ?

Nous ne voulons ni zombies ni dystopies définitives, un peu d’optimisme, que diable ! Mais attention, le Chien ne supporte pas la mièvrerie, un aspect sombre est bienvenu… On veut du dark-positif, de l’enthousiasme méfiant. C’est pourtant pas compliqué !
A vos plumes, et n’hésitez pas à nous surprendre!
L’équipe du Chien à deux Queues

Ce qu’on attend, ce qui vous attend :
Les textes sélectionnés seront publiés en recueil sur le site du Chien à deux queues. Un tirage papier, limité, sera également réalisé. Chaque auteur recevra un exemplaire.
Un texte comportant peu d’erreurs de langue et autres coquilles aura davantage de chances d’être retenu. Nous accordons de l’importance au style, qui devra être travaillé.
Chaque auteur pourra envoyer plusieurs textes, dans la limite de trois.

Les textes sont à envoyer à l’adresse e-mail : edition (chez) lechienadeuxqueues (point) fr

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Les zombies

Le nom « zombie » a été popularisé par des films tels que White Zombie (Victor Halperin 1932) ou le saisissant I Walked with a Zombie (Jacques Tourneur, 1943), qui faisaient explicitement référence à la culture Vaudou haïtienne et à son processus de zombification. Les zombies sont des personnes intentionnellement empoisonnées avec un neurotoxique extrait d’un tétraodon1. Plongées dans un état de catalepsie, elles sont tenues pour mortes et enterrées vives, puis clandestinement déterrées, ranimées, et maintenues par une privation totale de sel dans un état d’hébétement qui leur ôte toute capacité à quitter le statut d’esclave dans lequel ils sont ensuite gardés jusqu’à leur mort. Lentes, complètement abruties, ces personnes ne sont pas transformées en esclaves pour leur force de travail mais dans le cadre de vengeances familiales, par exemple. Aussi incroyable que cela paraisse, il ne s’agit pas d’une légende urbaine, les zombies existent bel et bien en Haïti, mais cela ne fait que quelques décennies qu’ils sont étudiés scientifiquement. La bande dessinée Les Zombies, par Philippe Charlier et Gérard Guérineau à la Petite bédéthèque des savoirs le raconte de manière passionnante.

À côté de ces zombies véritables, qui relèvent de l’anthropologie, le genre fantastique (notamment bande dessinée chez EC comics, puis cinéma de série Z) a proposé plusieurs versions du zombie, présenté comme un authentique mort-vivant capable d’agir tandis que ses chairs sont en pleine décomposition. Généralement, ces zombies récents sont capables de transmettre leur état à d’autres personnes en les mordant. Cette multiplication constitue un péril permanent pour les vivants qui, à chaque instant, savent qu’ils risquent de rejoindre la cohorte des morts-vivants, et qui savent aussi que les zombies peuvent finir par remplacer l’humanité toute entière. Virus, bactérie, champignon, contrôle mental opéré par des parasites extra-terrestres, comète qui passe dans le ciel, ondes ou substances capables de réveiller les morts, conséquences d’un accident sanitaire ou médical, les déclencheurs évoqués sont nombreux, mais il me semble qu’ils ne sont jamais faits pour être pris au sérieux, bien qu’ils puissent s’inspirer faits réels : la rage qui pousse certains mammifères infectés à changer de comportement et à en infecter d’autres ; la manipulation des foules par les régimes totalitaires ; les démonstrations de « lavage de cerveau » pendant la guerre de Corée puis avec le célèbre projet MK-Ultra ; les cas réels de parasites (des vers, notamment) capable de prendre le contrôle de leur hôte afin de les forcer à servir leurs intérêts ; et bien sûr l’effroi qu’ont de tout temps provoqué les personnes déclarées mortes qui reprennent subitement vie ou semblent le faire. Bien qu’il y ait de nombreux précédents, de l’antiquité à H.P. Lovecraft, on fait souvent du film Night of the living dead (George A. Romero, 1968) une sorte de point de départ d’un genre : les zombies modernes. La particularité de ce film, comme de beaucoup de ceux qui ont suivi, c’est que l’on peut considérer les zombies non comme le sujet mais comme un cadre, voire une contingence : ce n’est pas tant eux ou leur raison d’être qui compte, c’est la manière dont les non-zombies vont se comporter, c’est tout ce que l’existence des morts-vivants modifie ou révèle des rapports humains, du rapport au deuil, au groupe, à l’espoir,… On parle souvent d' »Apocalypse zombie », et la locution est bien choisie : le mot Apocalypse signifie littéralement « dévoilement », et on l’a traduit par « révélation ».
Cette « fin du monde » est donc avant tout l’occasion de faire apparaître une réalité.

Duane Jones dans Night of the living dead (1968)

Pris sous cet angle, le prétexte farfelu que constitue l’idée d’une invasion de morts-vivants se révèle d’une grande richesse. Dans le cas de La Nuit des morts vivants, certains ont cru percevoir un discours sur la guerre du Vietnam ou encore sur le racisme et la ségrégation. Même si l’auteur a toujours nié2 avoir voulu faire autre chose qu’un divertissement, on ne peut qu’être frappé par le fait que le héros, qui est le seul noir et aussi le seul survivant d’une nuit passée à lutter contre des zombies, finit abattu au petit matin par des policiers qui n’ont même pas cherché à vérifier s’il était devenu un zombie ou non.

J’ignore ce qui m’a poussé à passer l’année à le faire, mais j’ai visionné des milliers d’heures de films et de séries reposant sur le thème du zombie. Je compte désormais publier sur le présent blog les réflexions que ces œuvres ont suscité chez moi.

  1. Les tétraodons sont une famille de poissons à laquelle appartient notamment le célèbre fugu japonais. Ils sont connus pour leur capacité à se gonfler et pour le poison qu’ils contiennent. []
  2. Les auteurs américains de films de divertissement répugnent souvent à admettre que leurs œuvres ont un propos politique – pensons à James Cameron qui affirmait que son Avatar ne parlait ni de la politique extérieure américaine ni du complexe militaro-industriel, alors que ces thèmes sont flagrants dans le film. On peut supposer que le but de ce genre de dénégations est d’éviter de donner une vocation militante aux films, mais aussi d’éviter de s’aliéner le public non-acquis aux idées que l’on porte. Il vaut parfois mieux faire les choses que de dire qu’on les fait, et c’est ainsi que de nombreux auteurs d’œuvres dites « de masse » parviennent à faire passer des messages forts, avec le tact de ne pas expliquer par avance au public ce qu’il est censé comprendre. []
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How I met your mother, saison 7, épisode 5

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Second salon du survivalisme à Paris

Je n’avais pu assister à la première édition de Survival Expo, le salon du survivalisme à Paris. Cette année, j’ai fait le déplacement jusqu’à la Porte de la Villette, accompagné d’une amie qui elle était venue la première fois et pouvait comparer les deux éditions. Sa première remarque a été que le nombre d’exposants était bien plus important cette fois.
Ni aux alentours de l’entrée du salon ni à l’intérieur je n’ai vu de représentants de sectes apocalyptiques – il m’est arrivé plus d’une fois d’être en contact avec ce genre de personnes lorsque je faisais la promotion de mon livre Les Fins du Monde. On ne voit pas non plus de fédérations de scoutisme, qui auraient pourtant eu leur place ici. En revanche il y a des gens qui proposent des stages de survie dans les Vosges ou sur des îles lointaines, et des formations paramilitaires.

Le premier stand que nous avons visité proposait toute une panoplie d’objets pratiques : des scies de poche, des allume-feu, des purificateurs d’eau, des kits médicaux et même, un kit dentaire permettant aux néo-sauvages de réparer une dent fendue. C’est bête, mais j’avais envie de tout acheter. J’aime les gadgets. Je me suis retenu.
Le second stand était celui de la revue Survival, consacrée comme son nom l’indique aux techniques de survie. Avec parfois des articles inattendus, tels que celui-ci :

Au long des allées, on croise de nombreuses solutions pour être autonome : moulin à grain fait avec un ancien vélo, fours solaires (dont deux, exposés en extérieur, aux performances impressionnantes même avec un temps couvert), panneaux solaires, éoliennes pour recharger son portable, générateurs à essence, et enfin, des micro-fermes aquaponiques qui semblent réclamer une énergie et une infrastructure considérables juste pour produire trois laitues.

On entend vanter la fuite de Paris : « venez dans le Cantal ! », dit un trentenaire qui a quitté le développement de jeux vidéos pour vivre en prise avec la nature.
Plusieurs stands proposent de la nourriture, ou des solutions pour déshydrater ou conserver des aliments. Parmi les tendances, je note les insectes (incompréhensiblement mélangés à des épices ou du chocolat, ce qui donne un goût un peu chimique à des aliments qui auraient fait d’excellents apéritifs) et les flaques d’eau croupies dans lesquelles les visiteurs sont invités à boire, une fois l’eau purifiée par quelque appareil.

On voit aussi des vêtements (de pluie, de sécurité,…), des accessoires de couchage (matelas, hamacs), et des sacs. Presque tous ces objets sont hors de prix, mais 200 euros pour un sac à dos, s’il est assez solide pour permettre à son propriétaire de survivre à une apocalypse, c’est un investissement.
Les soins médicaux d’urgence sont un des grands thèmes que l’on croise dans les allées du salon, avec la présence d’associations dédiées (secourisme, pompiers volontaires pour exporter leur savoir-faire) et d’accessoires divers. On voit par exemple des mannequins mal en point :

Il n’est pas difficile d’imaginer pourquoi les urbains qui quittent le périphérique pour devenir hommes des bois risquent de se blesser quand on voit le nombre d’outils dangereux qui sont vendus, et surtout, le nombre d’armes : arcs et flèches, lance-pierres, et puis couteaux, couteaux, couteaux. Mais aussi matériel policier : matraques télescopiques, boucliers, gilets pare-balles, etc.
Il y a même plusieurs stands où le public est invité à apprendre à tirer à l’arc, au pistolet, ou encore à lancer des haches !

L’ambiance générale, il faut le dire, est un peu virile et régressive, on sent beaucoup le plaisir du petit garçon qui joue à la guerre, qui s’habille en treillis, qui exhibe son gros couteau. De grands types tatoués racontent que leur bouclier résiste à tant d’impacts de « kalach » et à du 9 millimètres, ce qui fait siffler d’admiration les connaisseurs.
Il y a des femmes dans les allées du salon, et sur les stands, mais on sent que, pour nombre de gens dans le petit milieu survivaliste, appartenir à la gent féminine est au minimum un handicap, comme dans cet article du magazine Survival, consacré au choix du couteau pour une femme :

Étourdie, la femme oublie régulièrement qu’elle a un couteau dans son sac et ne sait pas comment le plier, parce qu’elle ne l’utilise pas assez souvent. Dans un éclair de lucidité, la personne qui rédige l’article se fait la réflexion que toutes les femmes n’ont pas la même taille, la même corpulence ou des mains de même format. Eh oui, chez les femmes aussi il n’y a pas deux personnes identiques !

Si l’on met de côté l’ambiance « plein air » (le Vieux campeur ou Décathlon ont des stands), c’est la peur qui semble (assez logiquement ?) être le premier argument de nombreux exposants, et peut-être la première motivation du public. La peur d’un avenir incertain bien entendu, mais aussi la peur de l’autre. Dans un stand consacré aux armes, on pouvait par exemple entendre cette prédiction : « vous êtes autonome énergétiquement, vous avez vos conserves, vous avez tout prévu et là, paf, quelqu’un arrive avec un fusil et vous dit : merci, c’est pour moi tout ça, maintenant ».
Eh oui, si l’économie et l’ordre social s’effondrent, il ne suffira pas de pouvoir survivre aux éléments, il faudra encore survivre à ses congénères, et être suffisamment équipé pour que ce soient eux qui aient peur. Brrrr.

Je remarque une quasi totale-absence de livres — appareil de lecture pourtant bien pensé, solide et autonome énergétiquement —, bien que soient édités chaque année de nombreux ouvrages sur la collapsologie, l’écologie, l’autonomie, etc., ou des fictions post-apocalyptiques diverses et variées, qui auraient pu constituer une belle librairie spécialisée.

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Dix méthodes pour détruire la Terre par Mekon

Le personnage représenté est Mekon de Mekonta, ennemi juré de Dan Dare dans le magazine britannique 2000 AD. Le dessin est probablement de Dan Gibbons et date de la fin des années 1970 ou du début de la décennie suivante.

On retiendra tout particulièrement la dixième méthode proposée pour détruire le monde : laisser les humains se débrouiller avec leurs armes, leurs famines et leur pollution…

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Le testament de l’Humanité

Le New York Times a demandé à plusieurs personnalités (Jane Goodall, Mohsin Hamid, Oscar Murillo, James Dyson, Richard Dawkins, Kyung-sook Shin et Daniel Humm) quel dernier message celles-ci aimeraient envoyer à l’univers…

On peut lire leurs réponses en cliquant ici.
Et vous, quel serait votre dernier message ?

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La fin du monde en un court-métrage d’une minute

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The Last Day of Manhtattan (Winsor McCay)

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