Le numéro « spécial fin du monde » de La Tour de garde — organe d’information et de prosélytisme des Témoins de Jéhovah — n’est pas daté de décembre 2012, comme les numéros que Science et Vie, Ciel et Espace ou encore Historia ont consacré au sujet, mais du 1er janvier 2013. Le message est clair : la fin du monde, pourquoi pas, mais plus tard.
Ces vieux professionnels de l’Apocalypse, dont ils ont si régulièrement annoncé la date (1878, 1881, 1914, 1918, 1925, 1975), voient sans doute d’un mauvais œil que leur fonds de commerce soit investi par un public qui leur échappe : ésotéristes, ufologues, new-ageux divers et variés. Ils ne peuvent pourtant pas en refuser le principe puisque celui-ci est au centre de leurs préoccupations.
Le numéro en question ne donne pas de date pour la fin des temps mais utilise quelques citation bibliques pour rassurer ses lecteurs : l’Apocalypse sera un moment tout à fait agréable pour ceux qui auront donné un pourcentage de leur salaire à la richissime Watchtower Society et qui auront diffusé ses publications (à leur frais) et informé les passants que le nom de Dieu est Jéhovah.
Un encart attendrissant et rusé fait le point sur les prédictions erronées, en se comparant aux météorologues qui, certes, peuvent se tromper en lançant de fausses alertes, mais peuvent aussi sauver des vies.
Je note une déclaration capitale : « (…) l’important n’est pas de savoir quand la fin viendra mais d’être convaincu qu’elle viendra et d’agir en conséquence ».
Croire en la fin du monde et agir en conséquence, c’est ce qu’on fait, en leur temps, les suiveurs de Gherardo Segarelli ou de Fra Dolcino, les Anabaptistes de Münster, et bien d’autres qui, persuadés de l’imminence de l’Apocalypse, ont réussi à se convaincre qu’ils avaient quelque chose à faire, une mission : remettre en cause l’ordre social, sexuel ou économique, mais aussi se suicider (Jonestown, Mouvement pour la Restauration des Dix Commandements de Dieu, Centre holistique Isis, Heaven’s Gate) ou commettre des meurtres eux-mêmes, comme la secte Aum qui se voit en instrument de l’Apocalypse et a préparé de nombreux attentats bactériologiques et chimiques, comme celui du métro de Tokyo en 1995. Notons que les suicides collectifs sectaires sont souvent plus des meurtres déguisés que des suicides volontaires et adviennent souvent lorsque le gourou et ses lieutenants sont acculés à dissoudre leur organisation (et à disparaître dans la nature en ayant tenté de laisser croire qu’ils avaient participé au suicide collectif) par la pression juridique ou fiscale.
Je vois trois menaces concrètes liées au fait d’être convaincu de la date de la fin du monde :
- L’escroquerie
Les sectes qui prophétisent la fin des temps ont invariablement de gros besoins financiers et ont un argument imparable pour se montrer gourmandes : puisque dans quelques jours, mois ou années, plus rien ne comptera, à quoi bon s’encombrer d’une vie matérielle ? On a vu des gens vendre leur maison ou s’endetter pour nourrir la secte à laquelle ils adhèrent. Les textes évangéliques soutiennent l’idée que les adeptes doivent se dépouiller de leurs biens… souvent au profit de l’organisation religieuse, comme dans l’incroyable épisode d’Ananias et Saphira, où Saint Pierre assassine un couple d’adeptes qui ne lui avaient donné qu’une partie de leurs biens après les avoir vendus1.
Moins grave : les gens qui investissent dans des bunkers et de la nourriture lyophilisée ou qui partent vivre à Bugarach, charmant village des Corbières dont on dit qu’il sera l’unique lieu épargné le 21 décembre 2012. - Les vagues de suicides
Une personne effectivement et sincèrement convaincue de l’imminence de la fin du monde peut être saisie par le désespoir et vouloir mourir avant que cela ne lui arrive. Et cela se retrouve même chez les groupes évangélistes qui, tout en annonçant une Apocalypse heureuse font une description terrible du destin de ceux qui ne seront pas « élus », qui seront abandonnés à leur sort, « left behind ». - Les meurtres
Il existe des gens qui ont tellement envie de voir la fin du monde tel que nous l’entendons qu’ils sont prêts à la provoquer, comme Hugo Drax, le milliardaire interprété par Michael Lonsdale dans James Bond: Moonraker, qui veut empoisonner la Terre entière avant de la repeupler à l’aide de gens jeunes et beaux sélectionnés dans ce but (par privilège, il est dispensé d’être jeune et beau). Les fous qui veulent provoquer la fin du monde n’existent malheureusement pas que dans les films de James Bond : il y a eu aussi Shōkō Asahara, le gourou de la secte Aum, mentionnée plus haut, mais aussi les organisateurs des attentats du 11 septembre 2001 qui espéraient sans aucun doute provoquer le chaos2.
Jusqu’ici, j’avais personnellement considéré l’échéance du 21 décembre 2012, inventée en 1987 par un artiste et écrivain, Jose Argüelles, comme un prétexte inoffensif pour méditer sur le thème de la fin des temps, et c’est d’ailleurs ainsi qu’elle est comprise par nombre de ceux qui y consacrent actuellement des ouvrages ou des dossiers journalistiques. Ce que je trouve intéressant avec cette date c’est qu’elle s’est diffusée assez spontanément, elle n’est soutenue ou promue par aucun groupe sectaire particulier, n’est associée à aucune menace vraiment précise (ou plutôt, à tant de menaces de nature totalement différentes qu’elle en est devenue comique), les gens n’y croient pas, ils croient juste que d’autres y croient, et s’en amusent — comme le font les chaînes de télévision qui diffusent des reportages rassurants et railleurs sur les illuminés des prédictions maya et sur ceux qui jurent qu’une planète nommée Nibiru va subitement apparaître dans le ciel3.
Même si je suis persuadé que pour la quasi totalité des gens, la fin du monde en 2012 n’est qu’un jeu, un motif de plaisanterie, il semble que quelques personnes aient fini par y croire vraiment et cela mérite évidemment un peu d’attention de la part des pouvoirs publics et des associations qui luttent contre les dérives sectaires, mais je doute qu’elles aient besoin de moi pour prendre leurs dispositions dans ce sens.
La Nasa fournit des réponses pédagogiques et scientifiques à toutes les questions que le public lui pose sur le sujet. Certains verront évidemment dans ce genre de propos rassurants une preuve qu’ils ont raison de s’inquiéter : pourquoi rassurer le public si la menace est imaginaire ? La théorie du complot est imparable sur ce point : puisque ce que les vérités qui comptent sont dissimulées au public, croire sans preuves à des choses absurdes est plus sensé que croire ce que l’on voit4.
ABC news cite une lettre envoyée par une personne âgée à David Morisson, le scientifique qui répond aux questions sur le 21 décembre sur le site de la Nasa, qui disait : « Mon meilleur ami est mon petit chien, s’il vous plaît dites-moi quand je devrais l’endormir pour qu’il ne souffre pas quand le monde finira ».
Alors en conclusion, et sans paniquer pour autant, oui, il y a lieu de s’inquiéter, non pas de la fin du monde, mais ceux qui y croient réellement, et qui peuvent se montrer dangereux pour eux-mêmes et pour les autres.
- Actes 5. 1-10 : « Mais un homme nommé Ananias, avec Saphira sa femme, vendit une propriété, et retint une partie du prix, sa femme le sachant; puis il apporta le reste, et le déposa aux pieds des apôtres. Pierre lui dit: Ananias, pourquoi Satan a-t-il rempli ton coeur, au point que tu mentes au Saint-Esprit, et que tu aies retenu une partie du prix du champ? S’il n’eût pas été vendu, ne te restait-il pas? Et, après qu’il a été vendu, le prix n’était-il pas à ta disposition? Comment as-tu pu mettre en ton coeur un pareil dessein? Ce n’est pas à des hommes que tu as menti, mais à Dieu. Ananias, entendant ces paroles, tomba, et expira. Une grande crainte saisit tous les auditeurs. Les jeunes gens, s’étant levés, l’enveloppèrent, l’emportèrent, et l’ensevelirent. Environ trois heures plus tard, sa femme entra, sans savoir ce qui était arrivé. Pierre lui adressa la parole: Dis-moi, est-ce à un tel prix que vous avez vendu le champ? Oui, répondit-elle, c’est à ce prix-là. Alors Pierre lui dit: Comment vous êtes-vous accordés pour tenter l’Esprit du Seigneur? Voici, ceux qui ont enseveli ton mari sont à la porte, et ils t’emporteront. Au même instant, elle tomba aux pieds de l’apôtre, et expira. Les jeunes gens, étant entrés, la trouvèrent morte; ils l’emportèrent, et l’ensevelirent auprès de son mari ». Officiellement, le meurtre n’est pas perpétré par Saint Pierre mais par Dieu. Je doute qu’un enquêteur de police accepterait cette version sans sourciller. [↩]
- Je ne dispose pas d’informations prouvant que les auteurs de ces attentats espéraient provoquer un désastre apocalyptique en s’en prenant au Pentagone et au World Trade Center, mais il me semble que ce n’est pas absurde de le supposer. [↩]
- La menace qui vient du ciel n’est pas une idée absurde, et ça arrivera un jour puisque cela est déjà arrivé, mais le choc avec un autre monde dans trois semaines est, pour le coup, totalement impossible : un astéroïde de taille véritablement menaçante peut être repéré et suivi des mois avant de croiser l’orbite de la Terre, alors une planète divaguante serait repérée années, ou sans doute des dizaines d’années avant de nous atteindre [↩]
- Croire que le vrai et l’important est ce qui sera éternellement impossible à prouver ou à infirmer est aussi, bien entendu, le fondement de la foi religieuse. [↩]
« La préfecture de l’Aude rappelle que pour des raisons de sécurité, du 19 au 23 décembre, le pic de Bugarach sera interdit à l’accès de la population et qu’une zone régulée, élargie au village et aux alentours du massif, sera mise en place dans cette même période. La circulation des + de 3,5 T sera interdite compte tenu de la faible capacité des routes, les véhicules légers étrangers à la vie locale seront autorisés dans la mesure de la capacité d’accueil du site. Ce qui veut dire, qu’à tout moment, les services de l’Etat, en fonction de l’affluence, pourront fermer l’accès à cette zone. Enfin, dans cette même période de 4 jours, tout rassemblement festif de type rave party ou apéro géant sera interdit par arrêté préfectoral dans la zone régulée. »