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French connexion

septembre 13th, 2022 Posted in Non classé

(la faute du titre est, bien évidemment, intentionnelle)

Bertrand (Denis Podalydès) dans Effacer l’historique

Le cinéma français du XXe siècle a proposé peu de films liés aux questions numériques, même sous forme d’allusion. Je peux citer des exemples un peu épars tels qu’Alphaville1, l’Ordinateur des pompes funèbres, Le Passage, et quelques films dont une séquence met en scène un ordinateur (Les sous-doués 1 et 2, par exemple). Si je devais dégager un point commun à tous ces films, c’est que l’informatique y tient un rôle assez négatif, elle est présentée sans doute un peu naïvement comme ou outil de destruction de la poésie, de l’amour, ou de la vie.
Au XXIe siècle, je peux citer au moins deux fictions qui se déroulent dans le monde du jeu vidéo (G@mer et Elle, de Paul Verhoeven). Au delà, on ne peut en tout cas pas dire que chaque grand sujet de l’Histoire de l’informatique (l’emploi ; le hacking ; l’informatique personnelle ; l’Intelligence artificielle ; etc.) ait donné lieu à une foule de productions cinématographiques en France. N’hésitez pas à me signaler en commentaire des références qui me manqueraient à ce sujet.

La harcèlement scolaire en ligne, dans Effacer l’Historique.

Le réseau, et notamment les possibilités sociales et politiques amenées par Internet ont en revanche suscité plusieurs fictions2. Dans la série SœurThérèse.com (2002-2011), une religieuse utilise Internet pour échapper à la vie conventuelle puisque c’est par l’entremise de son site web qu’elle est contactée pour mener d’improbables enquêtes policières. Beaucoup moins anecdotique, le visionnaire 8th Wonderland, sorti en salles en 2010 (mais présenté en festival deux ans plus tôt) prédisait le mouvement Anonymous, l’épopée Wikileaks, ou les formes de mobilisation en ligne que nous connaissons à présent3. Le Minitel, enfin, a été évoqué par plusieurs fictions : 3615 père Noël en 1989, Des lendemains qui chantent en 2014 et la récente série 3615 Monique, mais n’ayant à ce jour rien vu de tout ça, je n’ai rien à en dire. Toujours au chapitre des fictions récentes, je peux citer le film Connectés, un thriller qui se tient pendant un apéro en visio-conférence, mais qui ne va pas plus loin que son prétexte et que je ne mentionne que pour l’anecdote4. Je peux en revanche citer Big Bug, de Jean-Pierre Jeunet, ou encore Virtual Revolution, de Guy-Roger Duvert, qui auront des articles dédiés.

En deux ans sont sorties de belles satires où le réseau, le téléphone mobile, les plate-formes numériques de services, etc., constituent un sujet central :

Selfie, sorti au début de l’année 2020, est un film à sketchs réalisé par Thomas Bidegain, Marc Fitoussi, Tristan Aurouet, Cyril Gelblat et Vianney Lebasque. Les différentes séquences se recoupent et nous offrent un portrait à peine forcé du monde connecté : Une famille dont le cadet souffre d’une maladie grave est propulsée dans le monde des influenceurs et ne vit pas très bien les hauts et bas de sa célébrité ; une professeure de français qui s’acharne sur un youtubeur qu’elle juge ignorant, et finit par développer une forme d’amitié à son égard ; un homme qui, face à la pertinence des prescriptions de l’algorithme d’un site de vente par correspondance développe un respect superstitieux des recommandations qui lui y sont faites ; un jeune homme qui enchaîne les rencontres par Internet en espérant voir sa note monter suffisamment pour que la collègue de bureau dont il est amoureux daigne porter les yeux sur lui ; enfin, les convives d’un mariage, isolés et sans connexion, qui apprennent néanmoins qu’il est désormais possible de savoir tout ce que l’on veut sur qui l’on veut, pourvu que les secrets de la personne soient cachés en ligne, et qui paniquent bien avant que leurs secrets soient dévoilés5.

Dans Selfie, Fred (Maxence Tual) et Stéphanie (Blanche Gardin) n’arrivent pas à apprécier la guérison de miraculeuse de leur fils depuis que les internautes se désintéressent de leur famille.

Effacer l’historique, sorti pendant l’été 2020. Réalisé par Benoît Delépine et Gustave Kervern, le film met en scène trois amis, qui se sont rencontrés sur des ronds-points lors de l’épisode des gilets-jaunes, et qui sont complètement démunis face au tour kafkaïen que prend leur existence numérique. Une femme est victime de chantage à la sex-tape ; une seconde cherche à assurer la survie de son activité de transport (de type Uber/Lyft) : elle a besoin d’effectuer des courses pour voir sa note remonter, mais ses faibles évaluations l’empêchent d’avoir des clients pour améliorer les choses ; Enfin, un père surendetté dont la fille est victime de harcèlement tombe amoureux d’une téléconseillère.

Marie (Blanche Gardin), victime d’un maître-chanteur (Vincent Lacoste), dans Effacer l’Historique.

Le trio décide de se défendre, en allant plaider sa cause à la source, et en se faisant aider d’un pirate informatique qui vit caché dans une éolienne (Bouli Lanners).
Au passage, on croise notamment Jackie Berroyer, Benoît Poelvoorde et Michel Houellebecq.

Les deux Alfred, sorti en juin 2021. Réalisé par Bruno Podalydès, le film avance de quelques pas dans le futur pour nous dépeindre une société « startupisée » et « ubérisée », où les salariés font du trampoline et se font offrir « des bombecs » au bureau mais n’ont pas le droit d’avoir d’enfants, et où les les gens qui se veulent « leurs propres patrons » sont les esclaves prolétarisés des services qui organisent leur activité.

Séverine (Sandrine Kimberain), aidée par Arcimboldo (Bruno Podalydès), essaye désespérément d’être identifiée par son véhicule autonome.

On notera un petit jeu de marabout-bout-de-ficelle entre ces trois films qui entretiennent non seulement un lien thématique évident — l’aliénation permise par les technologies dites « sociales » —, mais ont aussi des acteurs en commun, puisque Blanche Gardin figure aux génériques de Selfie et d’Effacer l’Historique6, et que Denis Podalydès tient un rôle principal dans Effacer l’Historique et dans Les deux Alfred. Ces trois films forment en tout cas un bel ensemble, un condensé d’époque et une réflexion pertinente sur les dérives qui se mettent en place, mais aussi sur l’état d’égarement, d’absence totale de contrôle, de ceux qui en sont victimes. On retrouve ici le double-sens du « net » de Internet : c’est le réseau qui relie les gens, mais aussi le filet qui enserre.
Si Selfie s’en tient à un constat grinçant, Les deux Alfred et Effacer l’Historique nous offrent une solution, en nous rappelant cette évidence : ce sont les liens sociaux forts (amis, amours, famille) qui peuvent nous aider à surmonter notre détresse face à un monde où l’on se trouve facilement victime des systèmes et des personnes qui donnent un prix (et un coût) à tout.

Je n’ai pas grand chose de plus à dire de ces films, si ce n’est qu’ils méritent tous les trois d’être vus.

Des protagonistes de la série Détox s’inscrivent dans un camp de déconnexion, où elles fréquentent des youtubeurs, des Instagrameurs, etc. On les électrocute lorsque leur main cherche machinalement un téléphone dont on entend la sonnerie et une des épreuves qu’on leur impose est une course de cross au cours de laquelle des personnages en forme d’icônes de services web les agressent.

Mue par les mêmes intentions, la série Détox (Netflix) est moins convaincante, le sujet (s’imposer de renoncer très temporairement à son téléphone mobile) devient rapidement un simple prétexte à une comédie familiale, et si propos il y a, celui-ci se perd dans un ensemble un peu brouillon.

  1. J’apprends le décès de Jean-Luc Godard le jour de la publication de cet article ! []
  2. Je note au passage des productions non pas françaises mais francophones assez originales, où le réseau joue un rôle important : Thomas est amoureux (Belgique, 2000), dont le héros est un agoraphobe confiné dont les rares fréquentations se font en visioconférence, et Bedwin Hacker (Tunisie, 2002), improbable thriller saharien tournant autour de l’hacktivisme. []
  3. 8th Wonderland n’invente cependant pas tout, on pensera notamment aux actions du duo d’artistes The Yes Men et avant cela, du collectif RTMark. []
  4. Les films Adieu les cons (Albert Dupontel, 2020) et 8, rue de l’Humanité (Danny Boon, 2022) font référence au hacking pour le premier, et à la vidéo en ligne pour le second, j’aurais pu les citer aussi, pour une scène ou deux plutôt que pour le propos général. []
  5. À rapprocher du roman Simili-Love, où les données universelles sont d’abord commercialisées, puis totalement libérées, aboutissant à un effondrement généralisé des structures sociales et politiques, au profit d’un consortium de services numériques, ou, plus ancien, à la nouvelle Un Logic nommé Joe, par Murray Leinster, où la société est détruite par la disponibilité absolue et universelle de l’information. []
  6. Toujours avec Blanche Gardin, je suis curieux du film #Jesuislà, sorti en 2020, qui évoque apparemment Instagram. []

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