Nicolas Nova (1977-2024)
janvier 10th, 2025 Posted in Design, Parti, Personnel | 3 Comments »Tard, dimanche, j’ai vu apparaître sur le fil Instagram d’Emanuele Quinz une photographie de Nicolas Nova, accompagnée d’un mystérieux message d’au revoir et suivi de commentaires du même type. Le genre de choses qu’on écrit quand quelqu’un est mort, mais quoi, Nicolas n’a vraiment pas l’âge de mourir, il a dix ans de moins que moi, il semble en pleine santé et il vient de sortir un livre.
Mon incrédulité a vite été anéantie par la découverte d’autres publications sur les réseaux sociaux, par Olivier Ertzscheid, Étienne Mineur, Alex Nikolavitch, Nicolas Tilly, Stéphane Vial, Nicolas Maigret…
Donc, oui, Nicolas Nova est bien mort, le trente-et-un décembre deux-mille vingt-quatre, ainsi qu’on allait l’apprendre plus tard, d’une crise cardiaque alors qu’il effectuait une randonnée sportive (trekking) dans le sultanat d’Oman. Il avait quarante-sept ans. Stupéfiant et absurde.
Pour comprendre la singularité de l’œuvre (conséquente) de Nicolas Nova, et mesurer le vide qu’il laisse, il faut lire l’article de son ami Frédéric Kaplan pour le quotidien suisse Le Temps. Je retiens une formule parmi celles employées pour le décrire : (…) enquêteur qui repère et résout les énigmes de l’infra-ordinaire.
Je me souviens parfaitement du jour où j’ai rencontré Nicolas Nova. Sa signature, repérée dans la revue Amusement, pour laquelle j’écrivais aussi au même moment, m’avait déjà interpellé, peut-être moins pour l’article lui-même (sans aucun doute très bon) que pour ce patronyme incroyable (y’a que moi ?) : Nova.
C’est quelques mois plus tard que j’ai pu écouter Nicolas dans le cadre des troisièmes Entretiens du nouveau monde industriel, au Cnam. Je me souviens qu’il avait à un moment mentionné un sujet qui me tenait précisément à cœur, celui de l’absurde prolifération des écrans inutiles (qui se bornent à afficher qu’ils sont hors-service, notamment) dans l’espace public. À la fin de la séance, Jean-Louis Fréchin nous a présentés l’un à l’autre. Je pense qu’il ne me situait pas vraiment à ce moment-là, mais on a commencé à échanger ensuite.
Je n’ai recroisé Nicolas en chair et en os que cinq ans plus tard, au biohacklab La Paillasse, où il était invité par Sylvia Fredriksson pour parler de son excellent livre Futurs ?, ouvrage qui aurait pu rencontrer un énorme succès, je crois, si son tirage avait été un peu mieux dimensionné, car il a été rapidement épuisé mais, à ma connaissance, pas réimprimé. Là encore, c’est un livre dont le sujet (le futur désirable, la panne des imaginaires) m’a toujours touché1. En fait, à part la montagne et les Alpes, dont je ne sais pas grand chose, et qui tiennent une place importante dans l’œuvre de Nicolas, je crois que tous ses sujets ont été des sujets qui me touchent aussi.
Depuis quelques jours, je fais l’archéologie de nos échanges virtuels (éclatés entre e-mail et réseaux sociaux) et je me rends compte que Nicolas m’a envoyé plusieurs de ses tapuscrits (dont celui de Futurs ?, justement), pour que je lui fasse un retour. Et je constate qu’à chaque fois je lui ai répondu un peu bêtement que je trouvais son propos passionnant et que je n’avais au fond ni objection ni suggestion utile à faire. Une chose qui m’a souvent marqué à la lecture des textes de Nicolas, c’est que dès que je me disais « tiens, il a oublié de parler de… », la page suivante me donnait tort : il n’avait rien oublié du tout. Mes remarques n’ont pas été bien utiles, mais comme Nicolas était un garçon poli, il m’a inclus aux remerciements de Futurs ?, aux côtés de Bruce Sterling, d’Alexandra Midal et Warren Ellis, excusez du peu !
De mon côté je lui ai envoyé plusieurs de mes livres, mais je ne sais pas vraiment ce qu’il en a pensé, je ne trouve pas de commentaires ou de retours particuliers en dehors des remerciements d’usage.
La dernière fois que j’ai vu Nicolas, c’était pendant le colloque sur le design viral qu’avait organisé Caroline Bernard à Genève, en 2019. Il y parlait des mèmes2.
2009, 2014, 2019… Je n’aurai donc vu Nicolas que trois fois en tout3, une fois tous les cinq ans précisément, et toujours dans des contextes professionnels. La logique des nombres aurait voulu qu’on se voie en 2024. Et il y a eu une occasion puisqu’en novembre dernier, il est venu à Paris présenter son nouveau livre, Persistance du merveilleux, chez Premier Parallèle, qui affirme que le petit peuple des démons, fées, magiciens, fantômes, elfes et lutins a quitté les sous-bois pour investir nos ordinateurs. Le sujet est superbe, et puis je connais bien l’éditrice, Amélie Petit, alors j’avais caressé le projet de m’y rendre, mais le lendemain, je devais animer une table-ronde au Havre, et puis il faisait un peu froid, peut-être, alors je ne suis finalement pas sorti. À présent, aussi absurde que ce soit (qu’est-ce que ça aurait changé ?), je m’en veux d’avoir été fainéant. Ce n’est qu’après avoir appris la mort de Nicolas que j’ai finalement acheté le livre.
Ironie triste, ce livre, qui a été couvert par des médias importants (Le Monde ; Le Temps ; France Inter ;…) sera peut-être enfin celui qui élargira le public de Nicolas au delà du petit monde — car c’est un petit monde — des observateurs du monde numérique et du design.
Je ne suis jamais allé au bistro avec Nicolas Nova, je ne sais rien de sa vie personnelle si ce n’est que nous avions des dizaines d’amis communs4. De lui, je connaissais les livres, les blogs5, la lettre Lagniappe,6 et la réputation de l’enseignant qu’il était aussi.
En me replongeant dans nos quinze ans d’échanges amicaux, je constate qu’ils sont plutôt épars et décousus, toujours sympathiques, mais ils ressemblent aux prémisses d’une conversation qui attendait sereinement son jour pour démarrer réellement.
Mais voilà, la vie est courte, et dans mon ordinateur, il y a un nouveau fantôme.
J’adresse toutes mes condoléances aux proches de Nicolas.
- Depuis deux ans, j’anime un atelier sur le sujet du futur désirable à l’école nationale supérieure de design industriel et à l’école supérieure d’art et design du Havre. J’avais à Nicolas que j’avais ressorti son livre, pour l’occasion, et il m’avait dit qu’il n’osait pas l’ouvrir, de peur qu’il ait vieilli. Je sais qu’il avait un temps caressé le projet d’écrire un second tome.
Le hasard des parutions (Chamonix sentinelles chez Volumique ou la réédition anniversaire du TBD Catalog font que j’ai pas mal mentionné Nicolas cette année, et plusieurs des rendus de mes étudiant·e·s auraient pu constituer autant d’hommages… [↩] - Avec Frédéric Kaplan, Nicolas Nova est l’auteur d’un des premiers écrits consacrés au mème : La Culture Internet des mèmes, éd. Presses polytechniques et universitaires romandes, 2016. [↩]
- Nicolas m’a vu une fois de plus : de loin il m’a aperçu chez Gibert à Saint-Michel. Trop tard pour se manifester, mais il m’avait écrit pour me le raconter. Veuillez noter que je suis absolument conscient du manque total d’intérêt de cette anecdote ! [↩]
- Nous avions tellement de connaissances communes que j’ai fini par être surpris quand quelqu’un me dit ne pas le connaître ou ne le connaître que de nom. [↩]
- Pasta & Vinegar en anglais, et Carnet en français. [↩]
- Il a fallu la mort tragique de Nicolas pour que je me demande ce que signifie ce mot Lagniappe. Il s’agit d’un mot d’origine cadienne qui signifie Petit cadeau donné au client par un vendeur lors d’un achat. [↩]