Profitez-en, après celui là c'est fini

Les sous-doués

mai 18th, 2009 Posted in Ordinateur au cinéma

sousdoues_dvdParfois en achetant un livre, un magazine ou un film on a envie d’expliquer au vendeur pourquoi, on ressent le besoin impérieux de se justifier. Enfin ça m’arrive à moi en tout cas. Et c’est ce qui m’est arrivé en achetant Les Sous-Doués et Les Sous-Doués en vacances, de Claude Zidi. J’ai eu envie de dire au vendeur que non, ce n’était pas ce qu’il croyait, que j’achetais ces deux films (2,99 euros chaque) dans un but plutôt sérieux, que je voulais les revoir pour étudier l’utilisation qui y est faite de l’informatique et pour en déduire les clichés que ces films expriment, véhiculent, cristalisent ou amplifient. Mais je n’ai rien dit de ce genre, je me suis contenté de sortir six euros et je suis parti sans demander mon reste un peu comme un client de sex-shop.

Car il faut le dire, ces deux comédies ne sont pas les chefs d’oeuvre de Claude Zidi qui lui-même n’a rien d’un Jean Renoir ou d’un Orson Welles.

Les Sous-Doués est une comédie très 1980 qui présente une bande de jeunes gens recalés à l’examen du baccalauréat et acculés à étudier dans une «boite à bac», le cours Louis XIV, à Versailles. L’établissement qui se trouve en queue du classement des écoles de ce genre affiche un taux de réussite particulièrement déplorable : zéro. Il faut dire que les élèves, pour la plupart, ne viennent là que pour s’amuser, entraînés par Bébel, un multi-redoublant qui s’est même aménagé une chambre dans les combles à l’insu de tous. On n’a pas de difficultés à concevoir que Bébel soit redoublant car Daniel Auteuil, qui interprète le rôle, était déjà trentenaire au moment du tournage.
On remarque que le titre du film s’inscrit pendant le générique avec des caractères de type « Led », popularisés par les montres à quartz et les radio-réveils. 

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La directrice du «cours Louis XIV», bien décidée à faire de cette nouvelle année un succès change radicalement ses méthodes. Elle impose une discipline et un code vestimentaire très stricts à ses élèves  et remplace la charmante professeur d’éducation physique par un géant patibulaire à la main leste. La force comme substitut à la pédagogie, le recours à l’autorité, le retour aux «bonnes vieilles méthodes», voilà des solutions que l’on nous vendait encore récemment. Un réseau de vidéosurveillance est aussi installé dans l’établissement.
Dans le film en tout cas, ces solutions ne fonctionnent pas très bien, les élèves se radicalisent et transforment leurs potacheries en blagues plutôt dangereuses.

En désespoir de cause, l’école acquiert une machine à apprendre, un ordinateur pédagogique qui, nous précise-on, vient des États-Unis. Son fonctionnement est le suivant : le lycéen entre dans une boite et s’assied face à un écran. Là, une voix lui pose des questions auxquelles il doit répondre, parfois en appuyant sur des boutons, parfois vocalement. 

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Au moment exact du tournage des Sous-Doués, l’Éducation Nationale lançait le premier plan d’envergure dans le domaine de l’introduction de l’ordinateur à l’école, en équipant les lycées français de 10 000 postes informatiques. Cette opération a été un peu éclipsée dans les mémoires par le célèbre plan Informatique pour tous (1985) décidé par François Mitterrand et Laurent Fabius : 120 000 ordinateurs livrés, 110 000 enseignants formés1. Une grande partie de cette éducation par ordinateur était consacrée à l’apprentissage de la programmation informatique : songez que rien de ce que l’on fait sur ordinateur aujourd’hui n’existait, ou quasiment. Voici le bilan que faisait à l’époque Science & Vie des premières expériences d’introduction de l’ordinateur à l’école : «individualisation du travail ; pouvoir de cheminer à son rythme et à son niveau ; responsabilité et droit à l’erreur (pouvoir se tromper sans être sanctionné) ; sentiment d’apprendre en s’amusant (…) On a pu constater que l’ordinateur (même utilisé en mode tutoriel) favorisait plus spécialement l’apprentissage dans tous les cas où la relation entre le maître et l’élève était fortement conflictuelle. Cela tient au fait que la relation élève-machine n’est pas pénalisante et qu’elle met l’élève en position d’exercer un pouvoir»2.
Dans le film, les choses se déroulent de manière moins heureuse et plus brutale, car si les bonnes réponses des élèves sont récompensées par une sucrerie, les mauvaises sont sanctionnées par des claques. L’ordinateur pose et repose les mêmes questions en boucle en variant leur formulation. Le programme semble parfois animé par une forme de cruauté : «répètez ! répètez ! Vous ne voulez vraiment pas répondre ?» Paf !
La scène rappelle (et c’est évidemment voulu) la machine à nourrir les ouvriers que teste Charlie Chaplin dans le film Les Temps Modernes. La machine à apprendre s’avère est ici une angoissante et impitoyable mécanique. Les pires cancres sont dressés plutôt qu’éduqués.  

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À la fin du film, tous les lycéens sont reçus au baccalauréat — par triche ! On les retrouve quelques années plus tard, dotés de bonnes situations tandis que le commissaire de police qui voulait les envoyer en prison (ils ont pulvérisé leur école) a été rétrogradé au rang de gardien de la paix.  En 1980, on pouvait parler du baccalauréat comme étant le début d’une bonne carrière professionnelle, le taux de réussite à l’examen était de 60% (contre 80% à présent) et le taux de jeunes d’une génération atteignant le bac était de 20% contre 60% actuellement. Ce film un peu médiocre contient quelques scènes marquantes ou même amusantes, mais il constitue surtout  un concentré de l’esprit de l’époque marquée me semble-t-il par un appétit de facilité et de jouissance, qui, à la différence du mouvement de la décennie précédente, ne semble pas soutenu par un discours politique ou social très sérieux. Le film évoque par ailleurs, avec une grande désinvolture, la question des méthodes d’apprentissage : le lycéen a si peu envie de travailler et le professeur si peu de courage pour l’y forcer, qu’il faut recourir à un système informatique dont la patience est infinie, jusque dans l’application de sévices corporels.

L’éducation par ordinateur est un sujet assez passionnant et que l’on est loin d’avoir suffisamment creusé : pourquoi est-ce qu’un enfant connaît mieux la géorgraphie des contrées imaginaires où il se promène dans des jeux en ligne que la géographie de l’Europe ? Pourquoi s’intéresse-t-il plus à Mao Tse Toung dans le jeu Civilization que dans les livres d’histoire ? Le jeu vidéo est un outil pédagogique extrèmement puissant qui n’est pour l’instant utilisé que (ou presque que) dans un but d’apprentissage… du jeu vidéo.
Je n’aurai pas la prétention d’épuiser la question ici mais il me semble que beaucoup reste à inventer dans le domaine de l’éducation par ordinateur.

  1. Lire à ce sujet : Une histoire de l’introduction de T.I.C. dans le système éducatif français, par Jean-Pierre Archambault, Médialog n°54, juin 2005  []
  2. Science & Vie hors-série : La révolution télématique, septembre 1979, p.83 []
  1. 2 Responses to “Les sous-doués”

  2. By Hobopok on Mai 18, 2009

    Pat Hibulaire, c’est un reste de Super Picsou géant, non ?

  3. By Jean-no on Mai 19, 2009

    oui, carrément. Bon, j’apprends que Patibulaire ne prend pas de « h » donc ;-)

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