Les sous-doués en vacances
mai 20th, 2009 Posted in Ordinateur au cinémaCette fois, je touche le fond.
Si on pouvait sauver Les Sous-doués pour la mise en perspective sociologique et historique que permettent ses thèmes principaux — l’enseignement et les aspirations de la jeunesse —, ou si l’on pouvait y apprécier une certaine fraîcheur, on est forcé de constater que ces qualités n’ont pas survécu à la suite, les Sous-doués en vacances (1982), qui se contente d’être un film gentillement consternant, dans la tradition de Max Pécas et de Jean Girault (la malédiction de Saint-Tropez ?).
On remarque cependant qu’il s’est passé des choses entre les deux films. En effet, si en 1980, avoir le baccalauréat est censé être l’assurance d’obtenir une bonne situation professionnelle, ce n’est plus le cas deux ans plus tard. Une employée de l’ANPE explique au héros que cela constitue même «plutôt un handicap».
Le protagoniste principal, Bébel (Daniel Auteuil), cherche l’amour et s’intéresse notamment à une dénommée Claudine (Grace de Capitani, pin-up über eighties), ce qui l’entraîne sur les plages de Saint-Tropez, où il subit la concurrence de Paul Memphis (Guy Marchand), un chanteur de charme et animateur d’un jeu-spectacle dont nous allons parler plus loin. Détail amusant, le personnage de Paul Memphis est introduit par un petit rap sans doute inspiré de la chanson Chacun Fait (c’qu’il lui plait). Pour le public de 1982, le rap n’existe pas ou quasiment pas.
Je vous épargne le détail du scénario : des blagues homophobes franchement affligeantes, des camoufflages, une arnaque aux fausses Brigitte Bardot, des erreurs médicales, une tentative de suicide, des batailles d’oursins, une fausse voyante, une affaire de jumelles interchangeables (Hélène, la sœur de Claudine, qui est taquine et délurée…), un faux requin qui sème la terreur sur les plages, des quiproquos amoureux divers…
Au passage, quelques personnalités de la musique et des médias font une apparition : Philippe Adler, Jacques Rouland, Gérard Lenorman et Vladimir Cosma.
Un élément technologique court tout au long du film : le love computer.
Le chanteur Paul Memphis utilise un ordinateur pour tester l’effet de ses chansons sur leurs auditeurs. La machine, construite par un chercheur en blouse blanche aux cheveux fous, est un assemblage d’éléments divers : moniteurs, panneaux clignottants. Comme dans le film précédent — Les sous-doués — l’ordinateur est une machine aux dimensions imposantes. Peu de progrès depuis Desk Set, sorti en 1957, si ce n’est que le format de l’ordinateur dans Desk Set correspondait à celui des ordinateurs industriels de son temps, tandis que le love computer et la machine à apprendre de la série des «sous-doués» sont en décalage avec l’éclosion de la micro-informatique qui leur est contemporaine.
Le chercheur créateur du love computer fanfaronne : «J’affirme que nous sommes capables de composer scientifiquement le tube de l’été en le testant son par son mot par mot sur des cobayes humains».
Obtenir l’œuvre parfaite en ayant recours à l’outil informatique ? Voilà qui nous rappellera le système Acquine, évoqué dans un article précédent.
Ici, un graphique de type « électrogramme » fait état de la synchronisation entre deux personnes et, lorsque l’accord semble spécialement réussi, affiche de petits cœurs en pagaille sur l’écran.
Le love computer ne se contente pas de mesurer la réception d’une oeuvre, il sert aussi à mesurer l’amour, ou plutôt il mesure l’accord affectif qui lie deux personnes soumises à une même chanson. Cette idée de l’art (la musique) qui s’apprécie par la relation avec une personne ou de la personne que l’on aime au travers de l’art n’est pas inintéressante.
La première démonstration faite dans le film montre qu’il n’y a pas d’amour entre un chat et une souris, mais qu’il y a en revanche de l’amour entre un chat et une chatte qui, je cite, «ont eu plusieurs portées ensemble». Je ne connais pas bien les rapports entre les chats et les souris, mais pour les chats entre eux, je ne sais pas trop si l’on peut parler de grand amour.
Transformé en accessoire scénique, le love computer est inclus au spectacle de Paul Memphis qui s’en sert pour effectuer des démonstrations. Tandis qu’il chante, la qualité d’un couple venu danser sur scène est évaluée par l’ordinateur : «êtes-vous certains d’être amoureux ?»
À la fin du film, le crooner Paul Memphis fait croire à la jolie Claudine qu’elle est amoureuse de lui — puisque l’ordinateur le dit, c’est que c’est vrai. Incrédule, déconfite, effondrée, elle murmure : «c’est pas possible !…», mais coup de théâtre, c’était une blague, en réalité Bébel se tenait en fait derrière le rideau, c’est de lui qu’elle était amoureuse (ainsi qu’elle le pensait avant que la mise en scène informatique ne la fasse douter), et non de Paul Memphis. L’ordinateur le prouve.
La figure l’ordinateur-oracle et de l’ordinateur-entremetteur n’est pas une nouveauté… Je citais Desk Set, plus haut, tourné trente ans avant les Sous-doués en vacances et qui se finit justement par une histoire (bien plus intéressante du reste) d’ordinateur-oracle/entremetteur. Il existe bien d’autres exemples, dans les fictions comme dans le monde réel. Dans les fictions, on aime confronter «ordinateur» et «amour» car les deux termes semblent oxymoriques : électronique/chair, logique/sentiment, cerveau/cœur, numérique/inquantifiable, raison/enchantement1.
Dans le monde réel, on ne compte pas les systèmes logiciels en rapport avec le sentiment amoureux : numéros de SMS surtaxés qui proposent de répondre par oui ou par non à des «love-test» (pour savoir s’il t’aime, envoie « love » au 926…), les agences de rencontre qui composent les couples en fonction de leurs affinités (Meetic et Match aujourd’hui, mais le principe remonte au moins au milieu des années 1970), mais aussi à présent des méthodes, basées sur des capteurs divers (mais assez traditionnels : cardiogrammes, capteurs de pression, etc.), qui permettent d’évaluer des sensations telles que la réponse à des sollicitations sexuelles, le désir, ou le plaisir.
- Je rappelle cependant l’étymologie du terme glamour (charme) qui est aussi celle du mot grammar (art de la lettre, écriture, grammaire). [↩]
5 Responses to “Les sous-doués en vacances”
By Hobopok on Mai 21, 2009
Quoi ? Et pas un mot sur l’impérissable tube de Guy Marchand « Destinée » ?
By Jean-no on Mai 22, 2009
Eh bien je ne savais pas trop quoi en dire.
By Hobopok on Mai 22, 2009
Alors mentionnons seulement qu’il fut réutilisé (un hommage ?) dans Le père Noël est une ordure, mais que bien des spectateurs de ce dernier film ignorent son origine honteuse…
By Jean-no on Mai 22, 2009
Même en connaissant les deux films je crois que je ne me l’étais jamais dit !
By Pashupati on Avr 25, 2010
On trouve une machine du même genre dans le Graphique de Boscop.