Profitez-en, après celui là c'est fini

Game Story, au Grand-Palais

novembre 11th, 2011 Posted in Interactivité, Mémoire, Vintage

Sur le carton d’invitation à la soirée de vernissage de l’exposition Game Story au Grand-Palais, il était écrit que Frédéric Mitterrand me priait de venir. Ce genre de mention signifie souvent que la visite risque d’être un peu contraignante, du fait de la présence du ministre de la Culture : pointage des invités, fouille minutieuse à l’entrée, et attente devant les portes de l’exposition car « le ministre n’est pas encore arrivé » (j’ai eu un peu peur que cela s’éternise, mais en fait il est arrivé rapidement). Dans la file d’attente se trouvaient des personnes apparemment importantes que l’on venait chercher en priorité en s’excusant de les avoir laissé frayer quelques minutes avec le petit peuple. Comme ces gens importants sont très bien élevés, ils prennent leur aventure avec le sourire, et peut-être raconteront-ils à leurs enfants et à leurs petits enfants qu’un jour, on leur a fait faire la queue comme tout le monde, et qu’ils ont même du passer sous une barrière.

En entrant, j’entends quelqu’un dire derrière moi : « lui, c’est le prince Emmanuel de Savoie, voyons » — « aaahhh bien sûr, bien sûr ». À quoi ressemble un prince de Savoie ? Je le cherche vaguement des yeux mais les seules personnes qui portent des couronnes et des capes, ce sont des personnages de jeu vidéo. Un instant, j’ai craint de me retrouver dans un cauchemar jet-set comme ceux qui fascinent les Pinçon-Charlot, mais le public du vernissage m’a semblé plutôt normal dans l’ensemble, et généralement à peine plus apprêté que moi qui ne l’étais pas du tout. Un nombre certain d’enfants (sages) faisait la visite, ce qui change un peu des vernissages protocolaires habituels.

Au contraire de Museo Games, présenté aux Arts et métiers il y a un an et demie, qui se parcourait dans le noir, le parti qui a été pris ici a été de laisser de la lumière au public, et j’avoue avoir trouvé ça plutôt agréable. L’exposition se situe dans une grande salle séparée en deux dans sa longueur par une cloison. Dans les allées sont disposées des bornes d’arcade, des consoles et des ordinateurs, que le public est invité à manipuler. Peut-être est-ce parce que c’était le jour du vernissage, mais tout fonctionnait, tous les jeux étaient accessibles dans des conditions tout à fait agréables. Enfin quand je dis que tout fonctionnait, j’exagère un peu : un Pong Atari presque quarantenaire avait dû être éteint car il chauffait trop, et deux jeux pour PC avaient eu un bug, notamment une version du jeu Doom qui a cessé de fonctionner au moment où j’en ai pris les commandes. Quelqu’un est ensuite prestement venu redémarrer la machine. Est-ce que le même souci de maintenance sera toujours présent dans deux mois ?
Il fallait évoquer toute l’histoire du jeu vidéo, depuis Pong en Arcade jusqu’à Angry Birds sur iPad en passant par une quantité de titres classiques. Mais puisque tous les jeux devaient être jouables, les jeux d’action étaient seuls représentés : pas de Civilization, pas de Sims, pas de Sim City, pas de Myst, pas d’Ultima, pas de Defender of the Crown, pas de Day of the tentacle, pas de Little big adventure (mais tout de même, Alone in the dark et Zelda), rien que des jeux auxquels on peut jouer immédiatement. Évidemment, aucune sélection de ce genre ne satisfera tout le monde, chacun a ses « classiques ». J’aurais aimé voir, par exemple, les jeux Lemmings et Joust. Je suis assez étonné de ne pas avoir croisé de Tétris. Je ne suis pas sûr d’avoir vu Wipeout.
Les jeux sont accompagné d’une documentation sous verre : boites d’origine, magazines d’époque, objets en rapport, œuvres se rapportant aux jeux de près ou de loin (notamment quelques estampes japonaises).

Ce que j’ai trouvé plutôt appréciable, c’est que l’exposition n’était pas un musée des vieilles consoles, mais bien un lieu destiné à expérimenter toutes sortes de jeux. Et ce qui est sans doute le plus appréciable c’est de constater que des jeux réalisés il y a trente ans, dont le programme n’occupait que quelques kilo-octets, tiennent toujours la route face à des jeux aux budgets pharaonesques et qui ont mobilisé des centaines de personnes.
Le petit frisson de la visite, pour moi, aura été de me retrouver devant un pac-man d’époque. L’écran cathodique bombé, les couleurs vives, la sensation de la manette, tout est revenu d’un coup. Plus de vingt-cinq ans après avoir vu cette borne pour la dernière fois — l’été 1983 à Loctudy en Bretagne, pour être très précis —, les sensations et les gestes me sont revenus instantanément. La lourdeur de la manette, la manière dont il fallait anticiper les virages, tout était là. Il ne me manquait, en fond sonore, que L’aventurier, par Indochine, Rosanna par Toto ou Let’s Dance, par David Bowie

J’ai fini par tomber sur le ministre de la Culture, que j’ai photographié en train de se faire photographier, et en train de se faire expliquer un jeu musical par un jeune homme tandis qu’une chaîne d’information filmait l’évènement et que les badauds immortalisaient l’instant avec leur iPhone. Ce genre d’exercice est toujours un peu bizarre, le ministre doit faire semblant de s’intéresser au jeu mais calcule ses mots, ses gestes et ses expressions pour qu’aucune photo désobligeante ou aucune vidéo bizarre ne soit diffusé par un média taquin. On m’a appris que Frédéric Mitterrand était très engagé envers le jeu vidéo, et la rumeur parle d’un projet de musée dédié au thème…

Je m’attendais à ce qu’on finisse par m’empêcher de prendre des photos, et ça n’a pas raté, mais beaucoup plus tard que je ne l’aurais cru. Le ministre était parti depuis longtemps, j’avais fait deux fois le tour de l’exposition et je me demandais si j’allais me rendre dans la partie VIP (je n’étais pas sûr que mon carton d’invitation, un e-mail imprimé, me le permette) quand une dame du service de communication de la Réunion des musées nationaux est venue me voir en me demandant à quoi allaient servir mes photographies. J’ai essayé de dire avec naturel : « c’est pour mon blog ! ». Avec une point de perversité, j’ai savouré les trois secondes d’intense réflexion qui ont été provoquées par ma réponse, j’avais presque l’impression de voir, derrière les yeux de cette dame, les rouages tourner à toute vitesse pour décider de ce qu’il était approprié qu’elle me rétorque à son tour : on sait quoi dire aux paparazzis, on sait quoi dire aux amateurs, on sait comment traiter les journalistes, mais que faire des blogueurs ? Et des blogueurs invités, donc ayant, peut-être, un public intéressé par le thème de l’exposition.
Sans surprise cependant, la dame a conclu qu’il allait falloir que je range mon appareil : pour ce soir, me dit-elle, il fallait être un journaliste accrédité, et si je veux prendre des photos, eh bien je n’ai qu’à revenir un autre jour. Discipliné, j’ai rangé mon appareil, sans avoir la présence d’esprit de protester contre le conseil fallacieux : évidemment, un autre jour, on ne me laissera pas plus photographier, sans doute moins.

Ce qui m’intéresserait, ce serait de savoir ce qui fait que l’on m’a identifié comme photographe non accrédité, sachant que les photographes « professionnels » présents n’étaient pas équipés d’un badge particulièrement voyant, et que les purs amateurs, qui prennent des photos avec leurs téléphones, n’étaient pas du tout inquiétés. Je vois de nombreuses différences entre les photographes sérieux et moi, mais je me demande lesquelles sont déterminantes. Mon reflex n’a pas un très gros objectif, ni un gros flash externe (du reste je n’utilise jamais le flash). Je ne fais pas non plus de gestes curieux comme les « pros », qui poursuivent les jolies filles d’un air de prédation autoritaire plutôt inquiétant, qui pointent le plafond avec leur coude lorsqu’ils photographient en biais, et qui s’appuient sur leurs jambes comme s’ils étaient des surfers en train de résister à une vague géante. Il y a, clairement, une gestuelle précise pour avoir l’air d’un photographe. Je n’ai jamais tenté de l’imiter pour me donner une contenance, il faudra que j’essaie un jour.
Peut-être aussi que les photographes professionnels se reconnaissent à ce qu’ils photographient. Juste avant que l’on vienne me tracasser, je photographiais les photographes en train de photographier et les écrans d’erreur des programmes qui avaient planté.

Interdit de photos, je commençais à me dire qu’il était temps de quitter l’exposition, lorsque je suis tombé sur Fabien Delpiano, de Pastagames, studio parisien qui a produit Maestro! Jump in music, excellent jeu musical pour Nintendo DS. Pastagames a réalisé une application pour l’exposition, pour Android et pour iPhone.

Fort de cette excellente compagnie, j’ai osé aller boire un verre dans l’espace dédié. Fabien me racontait que pour lui aussi, le choc de l’exposition, c’était de retrouver Pac-Man. Il y avait joué, enfant, c’était même le premier jeu auquel il ait joué, et il s’était juré que ce serait, un jour, ce métier-là qu’il ferait. Et c’est bien ce qui s’est produit. Nous nous sommes rappelés des Sinclair ZX81 et des Atari ST de nos adolescences respectives… Le thème de l’exposition se prête, évidemment, assez bien à ce genre d’épanchements nostalgiques.

À présent, le bilan : cette exposition vaut-elle la peine d’être visitée ? J’ai envie de répondre que oui, mais le visiteur éventuel doit avoir conscience que Game Story n’est rien d’autre qu’une grande salle d’arcade, propre et lumineuse, où l’on retrouve des sensations oubliées — si on les a éprouvées — et où l’on découvre ou redécouvre une sélection de jeux choisis parmi quatre décennies d’applications vidéoludiques. Si l’on espère faire des découvertes, si l’on pense apprendre des choses, ce n’est pas l’endroit. Est-ce que cela vaut le prix du ticket d’entrée (huit euros à partir de 13 ans) ? Je ne sais pas trop, parce que j’ignore comment va tourner l’exposition, s’il y aura foule, s’il sera difficile d’accéder aux joysticks et aux pads, si les jeux tomberont en panne les uns après les autres. Le jour du vernissage, c’était plutôt bien. Ensuite, je ne peux pas dire.
L’exposition dure jusqu’au 9 janvier 2012.

  1. 22 Responses to “Game Story, au Grand-Palais”

  2. By Coyote_Crafty on Nov 11, 2011

    Oui, 8 € dit l’appli très marrante

  3. By jjb on Nov 11, 2011

    L’engouement pour le jeu vidéo est compréhensible et sa célébration calculée, démagogique au Grand Palais ou lucrative à la SACD.
    Mais qu’en est-il des CD-Roms culturels, des jeux moins populaires certes (un peu Arte contre TF1, non ?), dont la France s’était fait une spécialité ?
    Aucun fonds n’a été affecté à leur maintenance, entendre leur adaptation à de nouveaux supports après l’éclatement de la bulle Internet qui avait sonné leur fin (sans rapport direct de cause et effet).
    Du Puppet Motel de Laurie Anderson (excellente collection Voyager) à notre Alphabet (produit par NHK-Educational) en passant par les Reactive Books de John Maeda, les Machines à écrire d’Antoine Denize, les fantaisies graphiques de Peter Gabriel, les Oncle Ernest d’Eric Viennot, autant de chefs d’œuvre qui portent des noms d’auteur au lieu de l’anonymat « corporate » du jeu dit vidéo.
    Ma collection qui fonctionnait essentiellement sous Mac OS 9 dort dans un coin du grenier, alors qu’il faut voir la surprise émerveillée des étudiants en nouveaux médias lorsqu’ils la découvrent sur une vieille machine qui peut encore les lire…
    Ces œuvres d’art sont des jouets d’une rare invention dont l’influence marque plutôt les installations actuelles que le secteur industriel du jeu vidéo, et il serait temps de les sauver avant disparition totale.

  4. By Vini on Nov 11, 2011

    Bonjour,

    Je suis votre blog depuis maintenant près de deux ans, depuis que Alexis Chazard m’en a parlé lorsque je lui avais présenté l’asso. MO5.COM dont je suis le secrétaire.
    Que se soit MuseoGames ou Game Story les pièces présentées viennent de notre collection de prêt de 30000 pièces malheureusement nous aimerions vous montrer des pièces plus rares pour expliquer l histoire du patrimoine vidéoludique Français mais nous avons des commissaires d expo qui ont une ligne directrice à la quelle nous devons répondre. C’est également pour cette raison que nous avons créé notre asso il y a maintenant plus de 10 ans afin que des institutions soient créées et reconnues pour préserver et étudier ce patrimoine qui est voué à disparaitre si des passionnés et bénévoles comme les 300 membres que compte MO5.COM se battent pour le montrer sur ce genre d’expo et faire entendre notre message.
    Sur l’expo en elle même, nous travaillons dessus depuis plusieurs mois et nous avons tiré des leçons de l’expérience Museogames.
    Les médiateurs qui ont été sélectionné sur game story sont de véritable passionnés et connaissent parfaitement l histoire du jeux video.
    Concernant les machines exposées il n y a aucun risque pour les pannes, nous avons fourni pour chaque machine présentée plusieurs backup hardware ainsi que pour les accessoires les accompagnants.
    Je suis ravi que le fait de rejouer à PacMan ait déclanché en vous une émotion c’est le but de nos expo justement, pour pas que se patrimoine disparaisse et que les plus jeunes puissent comprendre que leur jeux de PS3/XBox360/Wii ne sont que des remakes de star du passé.
    Et je peux également vous dire que nous ajouterons régulièrement des machines notamment l histoire des consoles portables. Pour tout vous dire il y a une chose qui n’a pas fonctionné mais personne ne l’a vu pour le vernissage nous devions projeter sur le plafonds du grand palais un pong où les invités auraient pu venir jouer, malheureusement nous avons eu des problèmes techniques et encore une fois nous ne sommes que des bénévoles et passionnés nous faisons tout ça en plus de notre « vraie » vie pro et nos vies de famille.
    D’ailleurs un des objectifs de l’expo était également de montrer que les jeux aux quels nous jouions il y a 30ans étaient repris de film a succès de l’époque d’où les affiches que vous avez trouvé sur l expo.
    Je serai ravie de vous inviter dans notre local qui se trouve en banlieue parisienne pour vous présenter notre collection et notre travail. Nous sommes ouvert au public tous les samedi pour recevoir des dons, nettoyer, réparer, inventorier, préserver nos pièces que se soit software ou hardware.
    Dommage que nous n’ayons pas pu échangé dans le carré VIP où j’étais également présent j’aurai échangé avec plaisir de vive voix avec vous.

    PS : Le jeune homme qui était avec notre ministre pour lui expliquer le musical est Jean-Baptiste Clais le commissaire d’expo qui est conservateur au Musée des arts asiatiques Guimet et encore derrière sur votre photo ce n’est pas le body guard de notre ministre mais David Guez le Vice-Président de MO5.COM.

  5. By Thierry Dehesdin on Nov 11, 2011

    « Ce qui m’intéresserait, ce serait de savoir ce qui fait que l’on m’a identifié comme photographe non accrédité »
    Le look est important. Avais-tu un blouson? :)

    « Je ne fais pas non plus de gestes curieux comme les « pros » qui pointent le plafond avec leur coude lorsqu’ils photographient en biais » Ca c’est un usurpateur. Si son coude pointe vers le haut à chaque fois qu’il cadre en hauteur, il se prend un coup de coude dans les côtes lorsqu’il est au sein d’un pool de photographes. :)

  6. By christian lehmann on Nov 11, 2011

    Oui, toi aussi tu as vu les coupe-file, exquise manière de rappeler au peuple qu’il existe une élite…
    Ceci dit, en arrivant vraiment pile à l’heure, j’ai raté le Ministre ( ouf). A mon humble avis, le meilleur de l’exposition se trouve sur le site de la RMN, là en-dessous … Une interface très marrante qui rappelle les consoles du siècle dernier, et 20 petits films très bien foutus où des geeks parlent de leurs jeux préférés. parce qu’à mon sens, le niveau de geekitude de l’expo est trop faible.

    http://www.rmngp.fr/Game-Story/

  7. By Jean-no on Nov 11, 2011

    @Vini : Eh oui, Mo5 est inévitable dans le domaine et personnellement je salue votre travail (dont j’avais d’ailleurs parlé il y a quelques années). Merci pour tous ces compléments d’information.

    @Thierry : j’ai une veste qui pourrait presque faire photographe, mais apparemment pas tout à fait assez.

    @jjb : amen, mais que faire, en pratique ? Parfois je me dis qu’on devrait carrément faire des captures vidéo d’écrans, rien que pour montrer ce qu’étaient ces cdroms qui, bientôt, ne fonctionneront plus du tout.

  8. By Jean-no on Nov 11, 2011

    @Coyote_Crafty : ah oui, c’est 8 euros, mais bizarrement quand on commande le billet en ligne c’est un euro de plus ?

  9. By Li-An on Nov 12, 2011

    Je trouve un peu idiot que ce soit le Ministère de la Culture qui s’intéresse au jeu vidéo. Il me semble plus logique que le ministre de l’Industrie qui s’y colle un peu (pas que que je pense que le jeu vidéo ne puisse pas être un objet culturel mais surtout qu’on peut y créer des emplois pour peu qu’on pousse un petit peu la chose plutôt que de vouloir constuire un peu plus d’avions ou de centrales nucléaires).

  10. By Guillaume on Nov 12, 2011

    Je ne comprends pas « un Pong Atari presque quarantenaire avait dû être éteint car il chauffait trop »…
    Il y a une borne Pong d’époque qui est effectivement non jouable à la demande du collectionneur qui nous l’a prêtée, même si ça n’empêche pas les vandales de monter sur le marche pied et d’essayer. Il y a deux autres Pong (borne et cocktail) en état de fonctionnement en revanche.

  11. By Jean-no on Nov 12, 2011

    @Guillaume : au temps pour moi, j’avais cru comprendre qu’une machine chauffait trop.

  12. By n_@ya on Nov 13, 2011

    Ouuuais je suis sur Hyperbate!!! Signé LeMecAuBlousonVert
    (j’ai proposé une battle sur Donkey Konga à notre cher ministre mais ce filou a préféré s’abstenir pour les raisons citées dans l’article. Le gagnant aurait eu le droit de glisser un mot sur Hadopi aux journalistes(?) présents ;)

  13. By jjb on Nov 17, 2011

    AmalGame Story :
    http://www.drame.org/blog/index.php?2011/11/17/2177-amalgame-game-story-art-culture

  14. By Hoagie on Nov 22, 2011

    J’y suis passé hier, et pour moi, l’intérêt de l’exposition est inversement proportionnel au battage médiatique dont elle a été l’objet et au rôle qu’on lui a attibué. A défaut d’être représentative de la richesse de la production microludique, elle est surtout représentative des clichés et des dogmes que beaucoup de « gamers » semblent vouloir imposer comme histoire officielle. Les panneaux colorés s’attardaient presque exclusivement sur les constructeurs de consoles et éjectaient la production micro en deux lignes jusqu’à écrire des énormités, comme par exemple que les jeux vidéo ont pratiquement cessé d’exister entre 1981 et 1985 ou que la 3D est arrivée en 1995 avec la PlayStation. La sélection de jeux micro (jusqu’à la fin du DOS) est constituée pour moitié de jeux d’action (dont Bubble Bobble, un jeu d’arcade japonais), comme si c’étaient de simples consoles avec clavier. On a l’impression que l’exposition cherche à convaincre les visiteurs qu’avant 1998 les jeux étaient exclusivement réservés aux 8-12 ans, tous les jeux plus « adultes » ou qui font plus appel au cerveau qu’aux doigts sont écartés. Comme c’est précisé dans cet article, sur micro, on a pu voir 0 simulateur de vol, 0 simulateur de combat (tank, sous-marin), 0 jeu d’aventure textuel, 0 wargame, 0 jeu de réflexion, 0 jeu de gestion, 0 jeu d’échecs, 0 jeu de sport… Cette sélection drastique et démagogique n’est pas propre à cette exposition, elle se retrouve dans les publications récentes, au milieu d’autres approximations (les jeux d’aventure réduits à la production de Lucasarts et requalifié de l’abominable anglicisme « point ‘n click »). Si c’est pour privilégier les jeux faciles d’accés, il fallait franchement baptiser l’exposition « Action Game Story » ou ajouter des diaporamas présentant d’autres genres.

    Autre tendance de fond visible ici qui pourrit les jeux vidéo depuis la deuxième moitié des années 90 : le culte de la « personnalité » (je mets des guillemets car le terme est exagéré quand il s’agit de Mario ou Lara Croft). Au lieu de mettre en valeur les innovations apportées par un jeu, sa richesse, la qualité de sa programmation ou l’expérience qu’il procure, tout est axé sur le personnage principal, à plus forte raison s’il est devenu une licence juteuse encore rentable de nos jours. De l’affiche de l’exposition aux fresques géantes en passant par les livres et les tee-shirts en vente à la boutique, cet aspect occulte presque tout le reste, sans doute pour se mettre coûte que coûte au niveau du cinéma. Les jeux qui placent cet aspect au second plan ou qui ne font pas appel à une narration sont ignorés. C’est ainsi que les genres cités plus haut ne sont pas représentés alors qu’on voit en démonstration deux versions de Rayman, qui n’était qu’un jeu de plateformes complètement dénué d’originalité et sorti à une époque où le genre était usé jusqu’à la corde, et qui a été propulsé « leader du jeu vidéo français » simplement parce qu’il s’est vendu par palettes et qu’il est devenu une poule aux oeufs d’or pour Ubi Soft…

    Enfin, et c’est là aussi une habitude, cette exposition a banni les mots « émulation » et « abandonware » alors que les responsables de ces sites et les auteurs de ces programmes ont été parmi les premiers à se soucier de la préservation du patrimoine vidéoludique. MO5 fait du très bon travail mais ne se consacre qu’à la partie matérielle du jeu vidéo et reste une collection privée inaccessible pour le grand public. L’abandonware est condamné depuis longtemps à la clandestinité à cause de son statut bâtard (illégal mais ignoré ou toléré) alors qu’il constitue souvent le seul moyen de profiter des anciens jeux (par « profiter », j’entends bien « jouer », pas seulement lire un livre sur le sujet). Ni l’exposition, ni les livres vendus sur place n’ont le courage d’aborder cette question. C’est toujours ça de gagné pour les margoulins qui prolifèrent depuis quelques années (sociétés « patent-trolls » qui rachètent des droits sur des jeux populaires pour les revendre sous forme de téléchargement sans valeur ajoutée, vendeurs à la sauvette sur les vide-greniers, spéculateurs du dimanche sur LeBonCoin)…

    Pour résumer, si on veut avoir une vision complète des créations du siècle dernier, mieux vaut lire en ligne des numéros de Tilt ou Joystick. Et pour se faire la main sur ces jeux, installer un émulateur, télécharger quelques roms ou fichiers ISOs et y jouer dans le calme.

  15. By Shenron on Nov 28, 2011

    @Hoagie : vous avez raison, des choix ont été faits au niveau des jeux présentés. Etant donné que le but de l’exposition était de permettre au plus grand nombre de prendre les jeux en main, l’accent a été mis sur les titres les plus accessibles.

    On voit déjà que les jeux d’aventure, les point’n click (oui, je fais la distinction) ou les RTS sont boudés par le public car ils sont difficiles d’accès, aussi bien en termes de prise en main que de compréhension du scénario ou d’immersion… alors que dire d’un simulateur de vol, qui demande la lecture du manuel pour uniquement décoller ?

    Personnellement j’aurais préféré voir Sim City plutôt qu’Alex Kidd, par exemple, et je pense qu’avoir des vidéos de certains genres peu accessibles aurait été une bonne chose. Cependant il s’agit là d’un galop d’essai, nul doute que les organisateurs sauront écouter les remarques des visiteurs dans le cas d’une future exposition.

  16. By elya on Déc 12, 2011

    Je ne sais pas si il a été rajouté après le vernissage, mais Tetris est bien évidemment présent sur Game Boy.

  17. By Kevin on Déc 29, 2011

    @Hoagie votre dernier paragraphe met en évidence une problématique qui est malheureusement occultée de cette exposition et je trouve ça incroyable: c’est l’archivage de ce patrimoine.

    Aujourd’hui nos machines fonctionnent toujours sur du 220v et on trouve encore quelques prises péritél via adaptateur derrière nos chères TV HD. De même quelques consoles de plus de quarante ans fonctionnent encore moyennant quelques soudures (j’ai encore une MS II, je sais de quoi je parle). Sauf que demain cela ne sera plus le cas.

    Cette exposition aurait été le bon lieu pour (re)lancer une reflexion chez les conservateurs sur l’archivage des jeux (et non des supports !) et pour sensibiliser le public sur cette problematique et sur les moyens mis en œuvre aujourd’hui par certains acteurs publics dans le domaine de la conservation des jeux vidéos. Au lieu de cela, on se retrouve avec un salon…

    Heureusement que par ailleurs, certaines initiatives existent. Je n’en connais qu’une seule (je pense que c’est la seule) et elle est menée par la BNF. Il s’agit du projet SPAR qui archive notamment des ROM de jeux vidéo. Certes Il ne fait qu’en conserver une partie car ce n’est pas son plus gros fonds et donc pas sa priorité, mais c’est déjà beaucoup. De plus, la perennisation est pour le moment écartée car sans solution (format propriétaire…). Par conséquent, ce projet compte sur les émulateurs comme moyen de visualisation des restitutions d’archives video-ludiques.

    L’émulation est donc une vraie question qui se pose dans le cadre d’une réflexion plus profonde sur l’archivage du patrimoine électronique. J’élargis volontrairement en parlant d’électronique parce qu’on retrouve ce genre de questionnement à chaque fois que l’on rencontre un format propriétaire et pas seulement pour les jeux vidéo (ex des plans de bateaux ou d’avions en 3D).

    Pour conclure et cela aurait pu être aussi mon introduction, archiver, ce n’est pas juste mettre dans une boite physique ou numérique des objets en espérant qu’on pourra les visualiser ou mieux, qu’on les oubliera. Archiver c’est aussi être capable de pouvoir restituer au public ces archives sur le long terme dans les meilleures conditions.

  18. By Jean-no on Déc 29, 2011

    @Kevin : peut-on dire que la question est occultée ? Elle n’est pas le sujet de l’exposition mais elle est un peu sa raison d’être :-)

  19. By Kevin on Déc 29, 2011

    Nb: ma MS II n’a pas quarante ans mais a eu besoin de quelques soudures du connecteur vidéo :)

  20. By Kevin on Déc 29, 2011

    C’est toute l’ambiguité du nom de l’exposition qui est en anglais et qui ne laisserait a priori pas lieu à débat : game story qui est traduit par *une* histoire des jeux vidéo.

    Sauf qu’en français, une histoire cela peut être ce que l’on raconte à un enfant le soir pour qu’il s’endorme mais aussi une vue de l’histoire.

    Et « l’accrochage » chronologique des jeux semble montrer que l’ambiguité est voulue par les conservateurs. C’est leur vision de l’histoire des jeux vidéo que l’on retrouve sur les pancartes.

    Si l’on parle de l’histoire des jeux vidéo ou d’une histoire des jeux video, je pense que la question de la conservation de ce patrimoine aurait due a minima être posée.

    Et puis franchement, conservateur conservation… :)

  21. By Jean-no on Déc 29, 2011

    @Kevin : ben, « Story », c’est pas « History », a priori… Je ne sais pas si ce titre a été très réfléchi.

  22. By Kevin on Déc 29, 2011

    Je suis d’accord sur la version anglaise du nom de l’exposition et pour être sûr que je ne me « fourvoyais » pas, j’ai repris le dossier de presse : il parle bien de l’aspect historique du jeu vidéo sur deux angles, esthétique et… culturel.

    Donc oui, les organisateurs nous ont peut-être un peu (involontairement) raconté des histoires.

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