Inès a grandi en Tunisie, où elle est née en 1977. Son père est tunisien, sa mère française. Elle a vécu quelques années au Qatar, puis est revenue passer ses années de lycée à Tunis. Après le baccalauréat, ignorant tout de l’organisation des études artistiques en France, elle est partie étudier les arts plastiques à l’Université de Montpellier, où elle n’a pas vraiment trouvé sa place : l’absence de cadre et l’esprit général plutôt classique l’ont laissée insatisfaite. Elle a effectué une mise à niveau arts appliqués, qui lui a nettement plus plu.
Partie pour Paris, elle a tenté d’entrer à l’Université Paris 1 (Saint Charles), ce qui lui a été refusé, puis à l’université concurrente, Paris 8 (Saint-Denis), où on lui a fait la même réponse : elle n’avait pas un bac de l’année, elle n’était pas du secteur, donc il n’y avait pas de place pour elle. Heureusement, elle n’était pas toute seule dans son cas. Conseillés par l’Unef, Inès et une petite troupe d’étudiants sans université ont fait le pied de grue devant le bureau du président, avec djembé et couverture médiatique. Ils ont eu gain de cause, et pour eux, on a ouvert l’annexe de la rue d’Amiens, à Stains, dans des préfabriqués. Éloigné de l’université, situé dans un quartier peu riant, l’annexe de la rue d’Amiens a rapidement eu une réputation épouvantable, mais en attendant, ce groupe d’étudiants a profité des cours pêchus de Thomas Hirshhorn (« Énergie oui, qualité non », était le titre de son cours où, pour la première fois, Inès a utilisé un caméscope), Jean-Charles Massera, Wang Du, Christophe Domino, Antoine Moreau ou encore Guy Tortosa1. C’est là qu’a été fondée l’association Cortex, qui a amené à l’époque une certaine vigueur à Paris 8. Entre le mouvement de protestation pour obtenir le droit d’étudier et l’isolement de l’annexe de Stains, Inès s’est instantanément fait des amis.
Après deux ans, cette bande d’étudiants très soudée est revenue sur le site principal de Paris 8, à Saint-Denis, et s’est un peu dispersée. À cette époque, elle s’est intéressée aux cours estampillés « multimédia », comme celui de Jean-Louis Boissier. À cette époque, je donnais un cours à l’objet un peu flou, entre multimédia, langages du web, et bande dessinée.
Inès a passé un peu moins d’une année aux Beaux-Arts de Brera, à Milan, en Erasmus, où elle a suivi des cours académiques ou techniques, plutôt appréciables après trois ans à Paris 8. Rentrée en France, elle a enchaîné plusieurs contrats à la Poste de l’Hôtel de ville, pour vivre, mais aussi pour s’acheter un caméscope. Elle voulait suivre une formation pour apprendre la vidéo, mais La Poste n’en proposait pas. Elle s’est inscrite à un atelier vidéo dans un centre d’animation, pour pouvoir pratiquer. Toujours à la même époque, avec quelques amis étudiants, elle a édité un petit ouvrage collectif de dessin, distribué dans les librairies de bande dessinée.
Inès a soutenu sa maîtrise avec Liliane Terrier, puis a intégré la seconde promotion de l’Atelier de Recherches Interactives, aux Arts-décoratifs de Paris, tout en s’inscrivant en seconde année de licence cinéma à Paris 8, où elle a plus tard passé un DEA d’arts plastiques, toujours avec Liliane Terrier.
Au cours de ces années, Inès a fait tous les petits boulots : hôtesse, employée d’un bureau de monitoring médical, ou même télé-opératrice chez Europ Assistance. Elle a aussi fait des stages pour un magazine, des sociétés de production audiovisuelle, et animé des ateliers d’arts plastiques pour des enfants ou des adolescents. Elle a aussi fait partie de l’équipe du projet « Jouable », qui s’est terminé avec une exposition à l’école des Arts décoratifs de Paris.
Chaque fois qu’elle rentrait en Tunisie, elle s’y sentait un peu plus étrangère que la fois précédente et elle a décidé de postuler pour y revenir, comme enseignante en art.
Devenue enseignante aux Beaux-Arts de Sousse en 2006, elle s’est retrouvée sans grande préparation face aux étudiants dans un amphithéâtre, avec mission d’y enseigner l’histoire de l’art médiévale, qu’elle a dû apprendre — enseigner force à apprendre. Elle enseignait en même temps les techniques de l’audiovisuel, qu’elle pratique. Devenue titulaire, elle a ensuite été affectée à Kairouan où elle enseigne l’illustration et les techniques d’expression graphiques.
Inès voulait terminer le travail de recherche qu’elle avait entamé, en démarrant une thèse (l’œuvre d’animation, lieux d’expériences cognitive et sensorielle), qui a finalement été suivie en co-tutelle par un professeur de Tunis et un autre d’Arras. Elle l’a soutenue en juin dernier.
- Maxence Alcalde, qui étudiait à la même époque au même endroit, s’en est souvenu sur son blog. [↩]