Kevin est entré à l’école supérieure d’art du Havre en 2008 et en est sorti en 2013. Il est né en 1980, ce qui a fait de lui un « vieil étudiant », puisqu’âgé d’une dizaine d’années de plus que la plupart de ses camarades de promotion. Ce décalage peut être problématique — ça s’est déjà vu — mais lorsque les étudiants sont déterminés, lorsqu’ils jouent le jeu, c’est au contraire une chance pour l’école. Ils amènent avec eux une expérience de la vie un peu plus étendue que celle des étudiants tout juste sortis du lycée, ils savent ce qu’ils cherchent et ils sont émancipés de l’attitude plutôt passive qui est encouragée tout au long de l’éducation secondaire.
Il fait partie des étudiants qui étaient plus faits pour l’indépendance et l’exigence des études supérieures que pour le cursus précédent : après la première, il s’est orienté vers une professionnalisation par un apprentissage, se sentant mal adapté au système.
Il n’a pas le bac.
Kevin a envisagé la mécanique et la carrosserie, mais est finalement devenu couvreur, passant par le compagnonnage, qu’il n’a jamais achevé. Je dois dire que je me projette un peu dans cette description : je n’ai pas le bac non plus, j’ai passé trois ans dans un lycée professionnel, dont je n’ai pas validé le CAP, et ce n’est qu’une fois arrivé dans le supérieur que j’ai commencé à avoir envie de faire et d’apprendre parce que, enfin, j’étudiais pour moi-même et non pour me fondre dans un moule aux buts plus ou moins incompréhensibles.
Il a ensuite été chauffeur routier pendant six ans, en France et en Grande-Bretagne. Parallèlement, il s’est toujours intéressé à la photographie, et a tenté de se faire financer une formation dans le domaine par le Fongecif, qui la lui a refusé. Sur le conseil du photographe Olivier Roche, qui avait été le technicien-photo de l’école d’art, il s’est inscrit aux cours péri-scolaires afin d’y préparer le concours d’entrée, pour lequelle ma collègue Élise Parré l’a soutenu et s’est démenée pour qu’il puisse intégrer le cursus avec une dérogation, condition nécéssaire pour les étudiants au parcours atypique, non-bacheliers et ayant atteint ou dépassé vingt-six ans.
Même si je l’ai beaucoup croisé, je n’ai pas eu Kevin comme étudiant pendant ses quatre premières années d’études, puisqu’il avait choisi la section art (j’enseigne en design graphique), mais il est souvent venu me voir, pendant son année de diplôme, pour discuter de son mémoire — un mémoire très peu scolaire, comme on s’en doute, et très intéressant.
De ses années d’études, Kevin retient la rencontre avec des gens qui se posent des questions proches des siennes sur le monde et la création, et qui le confortent dans la voie qu’il a choisie. À peine arrivé dans le « grand bain », il compte montrer son travail autant que possible, mais réfléchit aussi à pousser encore un peu plus loin ses études par le biais d’un post-diplôme.
Il a été sélectionné pour la prestigieuse exposition de la Jeune création, en octobre prochain.
Son site : kevincadinot.fr
À propos de son travail : Kévin Cadinot, dans l’inachèvement de la forme
Mise à jour : depuis la publication de cet article, Kévin a été chargé de scénographier un certain nombre d’expositions à la Bibliothèque universitaire et à l’école d’art du Havre, à la Fiac, à l’Esam de Caen ou encore au centre national du graphisme à Chaumont.