Jonathan est né en 1986. Il a grandi à Survilliers, dans le Val-d’Oise, à la frontière de la Picardie. Son père est français, et sa mère indonésienne. Si personne dans sa famille n’a eu de parcours lié à la création artistique et n’a pu le guider dans son orientation, Jonathan pense que sa famille indonésienne autant que l’intérêt de son père pour les volcans ne sont pas pour rien dans la construction de sa sensibilité esthétique. Il a toujours dessiné, et après son bac il est entré en classe préparatoire aux écoles d’art, sans projet précis, envisageant d’abord l’architecture puis le graphisme. À la même époque, au festival d’Angoulême il a rencontré Philippe Massonnet, du studio Doncvoilà, où il a effectué deux stages dans le domaine qui finirait par s’imposer dans sa pratique : le dessin animé. Le premier stage était consacré à une série intitulée Les contes de Christophe Blain (qui ne me semble pas être allée jusqu’à la diffusion) et le second, à la série Karambolage, sur Arte.
Jonathan a passé le concours de l’école d’art d’Amiens et celui de Nantes, où il a été reçu. Après un an, il est passé de Nantes à Rennes, dont l’école l’a accueilli en équivalence en deuxième année. C’est là que je l’ai rencontré, alors qu’il était en second cycle. Entraîné par son camarade Valéry, il s’était mis à utiliser le logiciel Flash pour produire ses films d’animation et rendre leur consultation interactive. Étienne Mineur, qui intervenait aussi à l’époque à l’école d’art de Rennes, lui avait suggéré de rendre ces animations plus dynamiques encore en leur faisant chercher sur Internet des informations en temps réel, des flux RSS de bulletins météo par exemple. J’avais donné un coup de main à Valéry sur ce genre de questions techniques. J’ai le souvenir de la perplexité de certains de mes collègues enseignants en design graphique, qui appréciaient l’univers développé par Jonathan et admiraient sa minutie et son obstination — car il en faut, de l’obstination, avec le dessin animé —, mais ne savaient pas toujours bien comment l’aider. Au fond, son identité d’auteur était déjà bien construite. Il avait pourtant la sensation d’être en train de se chercher lui-même, et l’environnement de l’école d’art l’avait d’abord dérangé : un mélange de liberté et de chaos, sans enseignement académique et sans orientation clairement imposée. Il a fini par s’y habituer et même par l’apprécier. Il a obtenu son DNSEP en 2010. Ses films d’animation étaient consacrés aux rues de Jakarta ou de Tokyo, dont il montre à la fois l’architecture et les personnes. De par son père, employé chez Air France, il a pu assez longtemps profiter de tarifs avantageux pour voyager en Asie. En 2007, il a effectué un stage de quelques mois à Jakarta, toujours dans le domaine de l’animation. Il a ensuite passé deux ans à Londres chez Unit9, dans le domaine du design interactif. C’était encore la grande époque de Flash, outil qui permettait à des gens d’horizons très différents — artistes, programmeurs, auteurs de contenu — de développer des projets divers. Jonathan a vu, année après année, les projets devenir de moins en moins intéressants. Après Unit9, il s’établit comme Freelance mais l’expérience n’est pas concluante. Il repart en Indonésie où il rencontre un japonais qui, séduit par ses productions, lui propose de le rejoindre quelques mois plus tard (le temps d’apprendre la langue) à Kyoto, chez 1-10 design. Un mois avant la date, il n’était plus certain que l’invitation tienne toujours, mais si, c’est ainsi que Jonathan débarque au Japon, pas vraiment préparé, notamment du point de vue administratif (son employeur n’ayant alors aucune expérience de l’embauche des étrangers), mais les fonctionnaires Kyotoïtes se montreront plutôt bienveillants et il obtiendra son visa de travail. Le problème administratif le plus inattendu auquel il a fait face à l’époque fut l’obligation de produire l’original de son diplôme d’école d’art, car si un tel document n’est jamais demandé à personne en France, il en va tout autrement dans bien des pays et notamment, au Japon.
Jonathan sera employé de 1-10 design pendant six ans qui lui permettront d’apprendre beaucoup de choses — notamment de se familiariser avec la Réalité Virtuelle, et avant ça avec l’Intelligence artificielle, puisqu’il a travaillé sur l’interface du robot Pepper —, mais aussi de mettre de l’argent de côté pour, enfin, retourner à ses travaux personnels.
Pendant ses années au Japon, Jonathan a gardé contact avec l’Indonésie, où il s’est rendu régulièrement. Il a vu le pays se transformer, les petites échoppes se faisant remplacer par des supérettes et l’Islam, jusqu’ici de tradition asiatique, devenir plus proches de l’Islam international promu par les émirats du Golfe avec leurs minarets ostentatoires et une volonté d’ingérence politique (proscription de l’alcool, du blasphème,…). L’Indonésie est souvent présenté comme « le plus grand pays musulman du monde », mais cela n’avait jusqu’ici pas d’incidence sur la vie politique, d’autant que la culture, comme la constitution du pays sont d’inspiration bouddhiste-hindouiste-animiste.
C’est de l’évolution d’un quartier de Jakarta au fil des générations, et malheureusement d’une partielle disparition de la culture du pays, que traite Replacements, le film d’animation en réalité virtuelle que Jonathan a réalisé après ses années d’agence. Cette production ambitieuse a été compromise par un accident de moto. Victime d’une infection, Jonathan est rentré se faire soigner en France. La situation était plus grave et il se souvient avoir dit aux médecins qu’ils pouvaient lui amputer la jambe tant qu’on le laissait terminer son film — il lui fallait notamment retourner en Indonésie enregistrer les sons en quatre canaux, indispensable pour pour l’expérience immersive. L’épidémie de covid-19 commençait à s’emparer de la planète et c’est à quelques jours près que Jonathan a pu retourner en Asie. En mai 2020, aidé de sa sœur et d’une amie, il termine le film à temps pour l’envoyer à différents festivals. Le succès est immédiat. Il est sélectionné par la Mostra de Venise, et reçoit des prix un peu partout : au festival international d’Annecy, au festival International de Zagreb, à Guanajuato au Mexique, à Francfort, etc., et enfin un prix d’excellence au prestigieux Japan Media Arts Festival.
À l’époque, il commençait à se demander comment il allait vivre à Kyoto, se remettant de son accident et ayant, épidémie oblige, plutôt du mal à trouver du travail. Les succès de son film dans le monde entier ont tout changé, et il a désormais un emploi de directeur créatif à la fois mieux rémunéré et moins accaparant que son ancien travail. Il a donc le temps de travailler à son prochain film, une uchronie balinaise où il s’interroge sur ce que serait la vie quotidienne dans l’île de sa famille maternelle si les suicides collectifs (Puputan) des souverains locaux, en 1906 et 1908, en protestation contre la mainmise des colons hollandais, n’avait pas eu lieu. Pour le rendu des images de synthèse, il travaille avec Takuma Sakamoto, une pointure incontestée du domaine, célèbre notamment pour son travail sur le film Amer Béton. L’histoire est belle : Takuma Sakamoto et Jonathan sont voisins, et une connaissance commune les a mis en relation puisqu’ils faisaient tous les deux des métiers proches. C’est vrai de la biographie de tout artiste, mais je suis frappé par la place du hasard et des opportunités saisies dans le parcours de Jonathan, des portes qu’il a su emprunter lorsqu’elles se sont ouvertes devant lui, des liens amicaux qui se transforment en collaborations professionnelles. Et s’il semble dire lui-même qu’il n’a pas vraiment de carrière, qu’il n’a toujours pas l’impression de savoir où il va, qu’il ne sait pas comment nommer son métier (designer graphique, artiste,…), mais je remarque pour ma part une grande constance dans son travail, avec quelques grands axes : la poésie des ensembles urbains asiatiques, l’animation, et l’expérimentation interactive.
C’est lors de son passage en France pour voir sa famille mais aussi travailler avec ses partenaires européens que Jonathan a trouvé le temps de manger un morceau avec moi.
Son site Internet : jonathanhagard.com
Bravo Jonathan c’est toute une jeune vie développée bien souvent dans la solitude