La presse de la fin des temps

On ignore qui publie Dar Al-Islam, journal rédigé en français qui se revendique de l’État Islamique d’Irak et du Levant (Daesh) et qui se veut l’homologue francophone du journal de propagande Dabiq, lequel était au départ réservé au seul public anglophone, mais à présent traduit dans plusieurs langues, dont le français.

pagesdabiq

Dans l’eschatologie islamique, la ville syrienne de Dabiq est un lieu-clé de la fin des temps, comme le mont Megiddo (Har Megiddo/Harmageddon) en Israël, où tous les rois de la Terre livreront bataille au moment de l’Apocalypse. Dans le cas de Dabiq, selon un hadith, l’heure dernière adviendra lorsque les armées des romains (l’Empire romain d’Orient n’a disparu qu’au XVe siècle) se présenteront à Dabiq, où les fidèles viendront les combattre, avant de contre-attaquer en marchant vers Constantinople (Istanbul). Cette référence à la fin des temps rappelle bien des groupes sectaires du passé, aussi destructeurs qu’impatients de changer la face du monde. Ce genre de groupes n’a connu que deux destins : soit ils se sont normalisés, institutionnalisés, soit ils ont été massacrés de la manière la plus brutale. On note que le second numéro de Dabiq fait référence au Déluge de Noé, qui est un épisode important pour l’Islam, et qui est ici utilisé comme métaphore de l’engagement : soit on est du côté de l’État islamique, soit on disparaîtra, submergé.

On se procure facilement une version en pdf de Dar Al-Islam sur Internet, alors je ne vais pas mettre de lien, les curieux n’auront pas de mal à trouver sans mon aide.

Les deux premiers numéros de ce journal contiennent respectivement quinze et quatorze pages, et sont signés du « Centre médiatique Al-Hayat ». Puisque le nombre de pages n’est pas multiple de quatre (et même pas pair, dans le cas du premier numéro), il est fort probable que ces journaux ne sont pas destinés à être imprimés.

pagesdaralislam

Le contenu n’est pas très bienveillant à l’égard des ressortissants des pays occidentaux, et notamment de France, comme on s’en doute en lisant le titre du second numéro : « Qu’Allah maudisse la France ». On y lit entre autres :

si tu peux tuer un mécréant américain ou européen, et particulièrement un français haineux et impur, un australien, un canadien ou autre que cela parmi les mécréants en état de guerre, habitants des pays qui se sont coalisés contre l’Etat Islamique, alors place ta confiance en Allâh et tue le par n’importe quel moyen. Ne consulte personne, et ne demande de fatwa à personne. Que le mécréant soit un civil ou un militaire, ils ont tous le même jugement, tous les deux sont mécréants, tous les deux sont en état de guerre. (…) Ne désespère pas, ne faiblis pas et que ton slogan soit : « Que je meure si l’adorateur de la croix ou le partisan du Tâghoût vit ». Si tu ne peux pas alors brûle sa maison, sa voiture ou son commerce. Si tu ne peux pas, fais périr ses cultures. Et si tu ne peux pas crache-lui sur le visage.

Ce qui me frappe dans ce journal, c’est sa parenté avec La Tour de Garde ou Réveillez-vous!, les deux fascicules que diffusent, dans le monde entier et dans d’innombrables langues, les Témoins de Jéhovah, des chrétiens millénaristes souvent accusés d’exploiter ou de maltraiter psychologiquement leurs adeptes, mais à qui on ne peut en revanche reprocher aucune forme d’activité terroriste ou militaire, ni même de tentation de prise de pouvoir temporel, puisqu’ils se tiennent bien à l’écart du monde, si ce n’est dans le cadre de leur activité missionnaire.

Le traitement des images de couvertures de Dar Al-Islam, qui impose une ombre artificielle, n’est pas rare dans les publications des Témoins de Jéhovah, mais au delà des questions formelles, c’est le contenu qui, à mon avis, s’apparente : témoignages, personnes citées en exemple de pureté et de piété, instructions aux fidèles, et le tout régulièrement assorti de citations tirées des livres sacrés.
Chez les Témoins de Jéhovah, les citations proviennent de la traduction « maison » de la Bible chrétienne. Dans Dar Al-Islam, les citations proviennent généralement de Hadiths (les paroles et actes du prophète transmis par la tradition).
Les publications des uns et des autres sont très lisiblement rédigées mais recourent par petites touches à un jargon très spécialisé, issu des textes religieux.

pagestourdegarde

Je remarque un point anecdotique : en lisant Dabiq, Dar Al-Islam, la Tour de Garde et Réveillez-vous!, je suis plusieurs fois tombé sur des images d’argent : monnaies d’or et billets verts. Je n’en tire pas de conclusion précise, c’est une simple observation, peut-être un hasard, et on doit trouver le même genre de détail iconographique dans bien d’autres magazines. Cependant, le détail est suffisamment présent pour m’avoir intrigué.
En parlant d’argent, j’observe que les deux groupes religieux font des promesses matérielles à leurs adeptes. Chez les Témoins de Jéhovah, les personnes qui ne se seront pas converties avant la fin des temps disparaîtront après l’Apocalypse, tandis que ceux qui auront « témoigné du nom de Dieu » renaîtront et pourront se partager les bien de ceux qui ne les auront pas suivi, pour l’éternité. Chez Daesh, on est plus pressé, puisqu’il est dit des mécréants que « Leur sang et leurs biens sont licites », c’est à dire, si je comprends bien, qu’il est permis non seulement de les tuer, mais aussi de s’approprier leurs biens.

Consciemment ou non, il me semble assez évident que les personnes qui s’occupent de publier Dar Al-Islam l’ont fait en s’inspirant de La Tour de Garde pour ce qui est des choix éditoriaux et de la mise-en-page.

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4 réponses à La presse de la fin des temps

  1. Vanvda dit :

    Hello,
    Lecteur occasionnel de votre blog (ayant distribué la Tour de Garde pendant toute ma glorieuse jeunesse –mais rassurez-vous, ça m’est passé), j’ai moi aussi immédiatement pensé à cette bonne vieille Watchtower en découvrant ce magazine djihadiste, dont vous reproduisez ici quelques images… AVANT de voir que vous faisiez le lien un peu plus bas dans votre billet.

    Je me demande toutefois si votre conclusion n’est pas un peu hâtive, en affirmant l’inspiration DIRECTE de Daesh par la littérature jéhoviste. On peut se demander si le formatage n’est pas tout simplement LE standard de la littérature religieuse « sous influence américaine », quand on voit ceci chez les adventistes du septième jour :
    http://www.eldersdigest.org
    Ou encore ça, chez les mormons :
    http://www.lds.org

    Évidemment, les TdJ étant bien plus implantés en nos contrés, et leur mode de distribution étant beaucoup plus efficace, nous pensons, NOUS (et moi encore plus que vous, pour les raisons susmentionnées) à la Tour de Garde comme référence parce que c’est ce magazine-LÀ que nous connaissons. Mais je me demande si ce n’est pas une erreur de perspective : la Tour de Garde n’est qu’une revue parmi d’autres qui reproduisent ce formatage devenu « la règle ». Un peu comme tous les contes de fées avec une sorcière, une princesse et un chevalier, n’ont pas tous pompé directement sur Blanche-Neige : c’est juste que c’est COMME ÇA qu’on raconte un conte de fée.
    Cordialement.

    • Jean-no dit :

      @Vanvda : il me semble que La Tour de Garde est le standard dans le domaine, depuis longtemps et partout dans le monde ou presque (en tout cas dans les pays occidentaux qui produisent cette presse). J’imagine que les concurrents directs des TJ tels que les mormons ou les adventistes du septième jour s’inspirent de sa presse. Néanmoins je ne peux pas l’affirmer avec certitude, car je ne connais pas l’histoire de toutes ces publications. On pourrait rajouter les publications catholiques qui traînent dans les églises aujourd’hui, mais celles-ci aussi me semblent découler de la Tour de Garde.

      • Vanvda dit :

        Je ne suis pas plus spécialiste de la question, mais je constate que le périodique mormon « L’Étoile » (précurseur du « Liahona » qui l’a remplacé) existait AVANT que ne naissent les TdJ.
        Dans les années 80, la Tour de Garde ne ressemblait guère à la publication qu’elle est devenue aujourd’hui, mais elle ressemblait déjà furieusement à « L’Étoile » :
        http://www.lafeuilledolivier.com
        Ce que je constate, c’est une évolution CONJOINTE de ce type de magazine, et je suis loin d’être convaincu que les influences soient à sens unique.

        • Jean-no dit :

          @Vanvda : sûrement, mais je doute que ça soit parce que c’est la méthode la plus naturelle pour faire les choses… Il y a des modes dans tout, y compris liées aux techniques de diffusion ou d’impression (l’utilisation de la photo ou de la couleur n’est plus très onéreuse, donc c’est devenu un standard,…)

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