Profitez-en, après celui là c'est fini

Caprica

septembre 7th, 2012 Posted in Hacker au cinéma, Interactivité au cinéma, Programmeur au cinéma, Robot au cinéma, Série

Je connais très mal la série Battlestar Galactica, dont je n’ai visionné que la première saison, sans être vraiment convaincu. Je l’avais trouvée confuse d’un point de vue scénaristique autant que purement cinématographique, avec ses cadreurs titubants, ses changements de focale brutaux, ses plans serrés, ses premiers plans flous en mouvement, son montage haché, etc., autant de tics qui veulent donner un aspect « reportage » et dont on n’a que trop abusé pour des séries comme 24. Ce genre d’image est un peu épuisante pour le spectateur et semble parfois être un grossier cache-misère pour faire des éonomies sur le décor, la distribution, et la finition des images de synthèse. Par ailleurs, le propos techo-philosophico-religieux m’avait semblé un peu suspect : depuis les années George Bush, lorsqu’une série télévisée aborde la religion, j’ai tendance à me focaliser sur une question : qu’est-ce qu’on essaie de me vendre ?

Je reviendrai à Battlestar Galactica, mais pour l’instant, donc, je ne partage pas l’enthousiasme quasi-général qui entoure cette série, même si je n’ai pas de mal à croire, comme on me l’a beaucoup dit, que les personnages et les situations gagnent en profondeur au fil des saisons. La bande-annonce de Caprica, série dérivé de l’univers de Battlestar Galactica, m’a en revanche plutôt intrigué à l’époque de sa diffusion (2010), et j’ai fini par visionner les quelques 18 épisodes de son unique saison, ce que j’ai fait avec un certain plaisir, du moins pour les premiers épisodes.

L’intrigue se déroule sur la planète Caprica, une des « douze colonies de Kobol ». Pour l’anecdote, Kobol est dérivé de Kolob, qui est le nom d’un objet céleste dans la cosmologie mormon, religion à laquelle appartient Glen Larson, le créateur de la sympathique série Galactica (1978), qui est à l’origine de Battlestar Galactica et de Caprica. Chacune des colonies a un nom issu du zodiaque : Caprica, Tauron, Scorpia, Virgon, etc. En dehors du voyage interplanétaire et des nombreuses technologies avancées que l’on y croise, l’univers de Caprica est proche du nôtre pour de nombreux détails : vêtements, objets, émissions télévisées, fonctionnement de l’économie, etc. On y croise même des objets familiers, quoique peut-être exotiques pour le public américain, comme la DS de Citroën. Les habitants des douze colonies sont majoritairement polythéistes et prient des dieux du panthéon grec : Zeus, Athena, Aphrodite, etc.
Discrètement, de nombreuses personnes se convertissent à une nouvelle forme de foi : la croyance dans un Dieu unique qui serait responsable du bien et du mal, créateur de tout, idées qui semblent absurdes et dangereuses à ceux qui ne les partagent pas.

Deux familles de Caprica. La joyeuse famille multiple de Clarice Willow (haut), et la richissime et solitaire famille Graystone (quatre images du bas).

Les structures familiales que l’on rencontre sur Caprica sont assez diverses, et peuvent rappeler les idées du couple et de la sexualité développées par Robert Heinlein dès le tout début des années 1940. En effet, outre l’institutionnalisation et la normalité du couple homosexuel, on peut trouver des familles bisexuelles multiples dans lesquelles une femme a plusieurs époux et plusieurs épouses, par exemple, et où tous ces gens partagent de nombreux enfants. C’est le cas de sœur Clarice Willow, un personnage particulièrement important dans le récit. Clarice est un personnage plutôt négatif, coupable de nombreux meurtres. Pourtant il ne me semble pas que les modalités de sa vie amoureuse soit présentées par les scénaristes comme un défaut ou comme une circonstance agravante. Au contraire, l’affection des membres de cette famille font plutôt partie des points qui rendent Clarice attachante, et le spectateur comprend qu’elle est une fanatique dangereuse lorsqu’elle assassine une de ses épouses, qu’elle pense l’avoir trahie.

Le point de départ de la série, qui déclenche, si j’ai compris, de tout ce qui arrivera cinquante ans plus tard dans la série Battlestar Galactica, est lié à une adolescente, Zoe Graystone, fille d’un grand scientifique et industriel, Daniel Graystone, inventeur de l’Holoband, qui est un dispositif d’immersion dans des univers virtuels. Zoe, programmeuse et hackeuse encore plus talentueuse que son père, a mis au point un logiciel capable de produire une intelligence artificielle autonome et consciente à partir de toutes les données collectées sur une personne. C’est ainsi qu’elle est parvenue à créer un avatar, ou plus exactement une copie virtuelle d’elle même, copie qui a tout d’elle — souvenirs, personnalité —. mais qui est indépendante de son modèle et qui n’a pas la sensation d’être de nature artificielle. Au tout début de l’histoire, en faisant une fugue vers une planète où elle aurait pu vivre comme elle l’entendait sa foi monothéiste, Zoe est victime d’une explosion causée par son petit ami dans une rame de métro. Elle en meurt, mais son avatar lui survit.
Daniel Graystone tente de transférer la personnalité de l’adolescente dans un prototype de robot qu’il construit pour l’armée. Mais cela tourne mal, le programme se met à dérailler, le robot s’écroule et Daniel croit avoir perdu sa fille une seconde fois, et pour toujours. En réalité, elle est toujours là, et se cache entre l’univers virtuel et le robot militaire. Elle est le premier des Cylons, les robots conscients de Galactica. Elle a donc trois états en même temps, elle est à la fois virtuelle, tangible et décédée.

En haut : le monde virtuel de New Cap City, que Zoe et Tamara finissent par transformer. En bas, le paradis rationnel (et virtuel) sépia que sœur Clarice promet à ceux qui se sacrifient pour sa cause.

La suite est un peu compliquée. Les scénaristes se sont amusés à mélanger plusieurs registres : une enquête anti-terroriste ; un pastiche du film Le Parrain avec la mafia de la planète Tauron ; des histoires de conseils d’administration avides qui entravent le scientifique génial et idéaliste (motif qui devient pénible : Spiderman, la planète des singes: origines,…) et dépossèdent le créateur de l’entreprise ; de sombres intrigues entre religieux qui s’entre-assassinent dans une ambiance médiévale. Enfin, de nombreuses parties du récit sont liées aux mondes virtuels, avec notamment un jeu nommé New Cap City, où « tout est permis » (le meurtre, surtout) et où Zoe et Tamara, un autre avatar d’adolescente décédée, se découvrent une capacité à contrôler leur environnement, à la manière de Neo dans Matrix.

Ce mélange de genres ne fonctionne pas toujours bien.  Certains personnages ou certaines intrigues secondaires sont franchement bâclés, voire comiques, comme une grand-mère tauron, censée être impitoyable, que l’on voit en permanence occupée à découper de la viande avec un hachoir, ustensile que l’actrice n’a vraisemblablement jamais utilisé et qu’elle manipule d’une main molle comme un couteau-scie. C’est un tout petit détail, mais la série en regorge, et souvent on sort un peu du scénario en se disant que telle ou telle situation a été trop mal amenée pour qu’on ait envie d’y croire. Par exemple lorsque Amanda Graystone (Paula Malcomson, qui interprétait une excellente Trixie dans Deadwood) accepte une mission d’infiltration dans la maison de Clarice. On peut avoir du mal à adhérer à certaines réactions de tel ou tel personnage, à l’absurde code d’honneur des Taurons, aux questions un peu télescopées de contrats avec l’armée, etc. Certaines bonnes pistes sont laissées en friche, par exemple lorsque Daniel Graystone comble l’absence de son épouse en créant son double virtuel, mais est déçu par le manque de caractère de sa création.

Toujours au chapitre des faiblesses du scénario, il me semble qu’il y a quelques vraies incohérences, comme le destin de Lacy Rand, adolescente qui se convertit au monothéisme au milieu de la série alors qu’elle en était déjà adepte dès les premières images du pilote.
L’image est souvent trafiquée de manière à nous indiquer où l’on se trouve : dans la tête du robot,  dans le monde réel ou dans le monde virtuel, et parmi les mondes virtuels, si l’on se trouve à New Cap City (très « film noir »), dans une le paradis préparé par Sœur Clarice, ou dans un autre endroit. Chaque planète montrée est censée avoir son architecture et son ambiance particulière… certaines semblent vivre dans le noir, sans soleil. Les flashbacks et les visions bénéficient aussi d’effets à part (flou, persistance, blancs « crâmés », étalonnage particulier). Tout ça est artificiel, et de qualité inégale, mais assez rigoureusement exécuté pour que le spectateur ne soit pas complètement perdu par les constants allers-retours entre planètes, périodes, lieux, etc. Une astuce est assez bien exploitée : le robot dans lequel se trouve l’esprit de Zoe est souvent remplacé, à l’image, par la jeune fille, souvent soumise à un éclairage un peu différent de celui du reste du lieu où elle se trouve. Le spectateur comprend alors que ce qu’il voit, c’est ce que ressent Zoe et non ce que voient les personnes qui l’entourent.

Ambiance médiévale pour les monothéistes…

De nombreux thèmes sont en tout cas survolés : vie après la mort, perte du sens des réalités, addiction au virtuel, utilisation d’un espace de jeu pour servir des buts politiques ou criminels (comme dans la bande dessinée Convoi™, qui a vingt ans), intolérance religieuse, invention d’un au-delà rationnel (qui pour le coup m’a rappelé ma propre nouvelle, La sœur de poche)… Et tout cela est donc situé dans une sorte d’Empire romain post-industriel et décadent, avec des monothéistes clandestins violents qui nous rappellent les premiers chrétiens, des polythéistes intolérants, des jeunes sans motivations qui, virtuellement, s’adonnent à la débauche et se repaissent de spectacles barbares et sanglants. C’est un peu notre passé, notre futur et notre présent tout à la fois. Je remarque que beaucoup de thèmes technologiques sont traités comme ils le sont en ce moment pour nous, c’est à dire en tant qu’objets émergents qui suscitent des débat de société un peu naïfs (l’addiction aux jeux vidéo,…). Par contre, à moins que j’aie mal compris les intentions des auteurs, on échappe à tout parallèle pataud avec la situation de l’Islam au XXIe siècle.

Malgré de bons acteurs, des effets visuels parfois réussis et des thématiques peu traitées sous forme de série télévisée, Caprica n’a pas convaincu son public, et l’ultime épisode raconte de manière accélérée ce qui aurait été montré dans des saisons suivantes, et qui permet de faire le lien avec Galactica : progrès de la robotique, évangélisation des robots, naissance de William Adama, le futur commandant du vaisseau Galactica, qui deviendra le dernier refuge de l’espèce humaine. Malgré cet aperçu, il est difficile d’imaginer que Caprica aurait pu devenir une véritable bonne série : il y a des moyens, quelques effets visuels intéressants (les interfaces numériques par exemple), des ‘idées, mais des personnages univoques et peu attachants qui évoluent dans des décors cloisonnés et déjà vus (un peu de Rollerball, un peu de Metropolis, un peu de Gattaca, etc.). Tout cela fait que l’on n’arrive pas, même en faisant de gros efforts, à vouloir y croire un peu. Dommage !

  1. 7 Responses to “Caprica”

  2. By @sylasp on Sep 7, 2012

    Je n’ai pas vu la série dans son intégralite mais il me semble que William « Bill » Adama est présent dès le départ dans la série Caprica, c’est le petit garçon orphelin de mère et dont la soeur Tamara est aussi décédée dans l’attentat.
    Un des aspects, essentiel à mes yeux, qui a fait de cette série un échec est que le téléspectateur familier de BSG (le récent) ne pouvait pas croire une seconde que cette civilisation précédait celle de la série-mère. L’aspect anachronique (intentionnel de la part des scénaristes à mon avis) a complètement desservi la série, et je ne parle même pas du quasi ridicule de certaines situations (ex. le côté Parrain comme tu dis des gens de Tauron)

  3. By Jean-no on Sep 7, 2012

    Mais non, figure-toi : le petit William meurt, mais « selon les traditions Tauron », son petit frère (né plus tard d’une autre mère) prend son nom.

  4. By ianux on Sep 8, 2012

    Fan de Battlestar Galactica, j’avoue que le pitch de Caprica ne m’a jamais emballé, et je sentais bien que cette série ne ferait pas long feu (mais elle a également fait long feu, la langue française est bizarre…).
    Concernant BSG, ça vaut le coup que tu t’accroches, même si les aspects que tu présentes comme des défauts s’accentuent encore plus (avec une dernière saison qui part en live côté religion, les cylons étant ici les monothéistes). Le traitement visuel par exemple m’a beaucoup plu, fan que je suis de Firefly et dont c’est la même boite de SFX qui a travaillé sur BSG. Les acteurs/personnages ont quand même de la gueule (et la font tout le temps, d’ailleurs, c’est parfois pesant), avec une mention spéciale pour Gaius Baltar, que j’ai adoré détester !
    Par contre, un jour, je suis tombé sur une diffusion en VF à la télé, et là, ça faisait vraiment nanar, une honte.
    Sinon, juste un détail : tu voulais parler de cosmogonie mormone, plutôt que de cosmologie, non ?

  5. By Jean-no on Sep 8, 2012

    @ianux : non non, la cosmologie, puisqu’ils inventent des planètes « bibliques » ! (kolob est censé être lié à Abraham, on ne sait pas si c’est l’origine du monde ou le paradis ou les deux ou autre chose…). Les Mormons sont assez atypiques parmi les pentecôtistes, pour ce genre de détails.
    Firefly, j’adore, mais je trouve ça mieux filmé : la caméra « reportage » n’est pas utilisée pour une conversation ou un repas, mais pour des moments d’action. Joss Whedon aime bien la lisibilité de l’image, même s’il ne réalise qu’une petite partie des épisodes de ses séries, et ça fonctionne. Dans Battlestar Gallactica, ça m’a été désagréable, mais sans doute pas pour tous les épisodes. Quelques épisodes de Caprica retombent là dedans d’ailleurs.

  6. By 2goldfish on Sep 8, 2012

    Moi, au contraire, je te déconseillerais d’aller plus loin dans Battlestar Galactica si la première saison t’as déplu… seuls une poignée d’épisodes de la seconde saison sont aussi bons que la première, qui ne t’as déjà pas plu,etça part très vite en sucette par la suite, d’une façon assez similaire à ce qui semble arriver dans Caprica (je n’ai pas regardé, comme je n’ai jamais réussit à parvenir au bout de la pénible fin de Galactica).
    La série est très confuse dans son propos et,ce qui n’arrange rien,très prétentieuse. Cette confusion a au moins le mérite d’empêcher une analyse trop claire d’idée sur la religion et la politique américaine post 11 septembre qu’on soupçonne vaguement d’être un peu puantes…

  7. By @sylasp on Sep 8, 2012

    @jean-no ah, j’ai été bernée par les scénaristes, de vrais filous (!)
    du coup, c’est carrément naze de nous laisser penser qu’on voit l’enfance de notre cher Bill, non ? Je me demande si c’était prévu dès le départ, ou si ce n’est pas plutôt un twist (médiocre) pour relancer le truc. Parce que le pitch de la série insistait bien sur ce fait, qu’on voit Adama enfant (et cela devait nous faire comprendre certaines choses pour la suite, mouais)

  8. By Jean-no on Sep 8, 2012

    @sylasp : c’est vraiment un détail bidon. À un moment, le petit William est blessé (sans logique car la direction de l’arme rend la blessure impossible…). Je disais à Nathalie : « il ne va pas mourir, ensuite il devient le commandant Adama,… ». Et paf, il meurt vraiment. Et dans les dernières secondes du film, on te raconte cette histoire bidon de petit frère du même nom… Hmmm… Les traditions des siciliens de l’espace ont bon dos.

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