La nature sait généralement recycler de manière très efficace les organismes morts, à toutes les échelles, depuis les grands charognards jusqu’aux moucherons en passant par des champignons et même certains tissus du corps mort lui-même, qui commencent à se dégrader dès qu’ils sont privés d’oxygène et libèrent des enzymes qui les transforment. La chaîne est fragile : par manque de vautours, le bétail mort de certaines montagnes met trop de temps à se dégrader et risque d’infecter les nappes phréatiques, tandis que dans d’autres endroits, c’est le manque de carcasses disponibles qui affame les charognards et les pousse à s’attaquer à des animaux vivants1. On a par ailleurs constaté récemment que dans la zone irradiée qui entoure la centrale de Tchernobyl, les végétaux morts ne se dégradent plus à la vitesse habituelle, restant à peu près intacts pendant des mois ou des années, et on pense que le même phénomène se retrouvera dans les environs de Fukushima.
Les techniques d’inhumation et de crémation actuelles sont, quant à elles, loin d’être « bio ». Les corps traités par les thanatopracteurs — un sur cinq, en France2 — sont de véritables momies chimiques dans lesquelles on a injecté jusqu’à une dizaine de litres de formol et de méthanol et qui mettront des décennies à se dégrader. Les cercueils sont vernis, traités contre les parasites du bois, parfois même peints, et les caveaux qui respectent les normes sont en béton, et étanches. La crémation, qui permet au moins d’économiser de la place, n’est pas si écologique, non seulement à cause de l’énergie dépensée pour l’opération, mais aussi à cause des émissions de polluants tels que la dioxine et le furane, mais aussi le mercure issu des amalgames dentaires. La crémation est la deuxième source de mercure en suspension aérienne en Europe mais les crématoriums français équipés pour faire face à ce problème se comptent sur les doigts d’une main.
De nombreux designers et/ou entrepreneurs s’intéressent à ces problèmes auxquels ils apportent des solutions concrètes ou symboliques. En voici quelques unes :
Le Infinity Burial project, porté par la Decompiculture Society, propose un vêtement mortuaire contenant des champignons capables de décomposer un organisme sans vie. Outre le vêtement, ce groupe effectue des recherches pour sélectionner et mettre au point le meilleur champignon possible pour cet usage. Un intérêt majeur des champignons est leur capacité à absorber les très nombreuses substances néfastes contenues dans le corps « moderne » : pesticides, conservateurs, solvants, médicaments,…
La société barcelonaise Urna Bios propose une urne biodégradable qui contient de la terre et le germe d’un arbre (pin, gingko, érable, frêne,…) qui, en poussant, se nourrira des cendres auxquelles sa terre a été associée3.
Dans un ordre d’idée proche, la jeune designer française Margaux Ruyant a conçu Poetree, une urne funéraire en liège et en céramique dans laquelle on fait pousser un arbre.
Enfin, The Spíritree, par José Fernando Vázquez-Pérez, est une dernière proposition d’urne funéraire destinée à faire pousser un arbre, là aussi composée d’une partie supérieure en céramique, percée pour laisser passer la tige de l’arbre, et d’un fond biodégradable.
Il existe, dans la Loire, un parc cinéraire nommé Les arbres de mémoire, où chaque arbre planté pousse sur les cendres d’une personne incinérée.
Il existe bien entendu d’innombrables modèles de cercueils bio-dégradables non traités, non vernis, non peints, en carton, bambou, ou diverses essences de bois, comme ceux du catalogue de la société britannique Ecoffins.
Memorial reef est un récif artificiel constitué d’un mélange de béton et des cendres de la crémation. Une fois immergé, l’objet devient un abri particulièrement accueillant pour la flore et la faune marines et fait participer le défunt à la vie océanique. Le plus gros modèle pèse près de deux tonnes et coûte sept mille dollars. Le service fourni inclut l’enregistrement des coordonnées exactes où a été immergé le récif.
Le procédé Promessa, imaginé par la biologiste suédoise Susanne Wiigh-Mäsak, consiste à assécher et refroidir le corps du défunt à l’aide d’azote liquide (sans effet sur l’environnement), jusqu’à -196°, puis de secouer le cercueil jusqu’à ce que son contenu soit réduit en poudre et puisse devenir du compost. Ce procédé n’a jamais été testé sur des restes humains et on ignore s’il est véritablement opérationnel.
Un corps brûle à plus de mille degrés. Halstad, Karlskrona, Skellefteå et d’autres paroisses suédoises ont décidé de s’équiper pour récupérer l’énergie produite par leurs crématoriums afin de réinjecter cette dernière dans le circuit de chauffage local.
Enfin, à Niort, vient tout juste d’être inauguré le premier cimetière naturel de France, le Cimetière naturel de Souché. Les fosses ne sont pas cimentées, le défunt est posé en pleine terre (éventuellement avec un cercueil, non traité), il est vêtu de vêtements en fibres dégradables — coton, laine —, et n’a reçu aucun soin chimique. il n’y a pas de monument et la stèle est une simple pierre calcaire locale destinée à permettre l’identification de la personne.
- Dans de nombreuses cultures, par exemple chez les Zoroastriens, les morts humains sont livrés aux vautours, ce qui constitue une solution on ne peut plus naturelle. [↩]
- La France fait partie des rares pays européens où l’on pratique la thanatopraxie, mais elle n’autorise pas la thanatopraxie dite « définitive », qui est une momification totale. [↩]
- Dans la même famille d’urnes écologiques, on me signale encore le projet italien Capsula Mundi. [↩]
http://amisdelaterre.be/spip.php?article2302