Les femmes de Stepford
juin 18th, 2009 Posted in Robot au cinéma(Attention, je raconte le film)
En 1972, le romancier américain Ira Levin a publié un court roman, Stepford Wives, qui posait les hommes devant un choix : veulent-ils des compagnes bonnes ménagères, lisses comme des actrices de publicité, tout à la fois attirantes et soumises, ou veulent-il aimer autre chose que des images, des produits ? Sorti en pleine période d’émancipation des femmes, Stepford Wives n’a rien perdu de sa pertinence aujourd’hui, notamment parce que sa signification profonde dépasse de loin les questions sexuelles.
On doit à Ira Levin (décédé l’an dernier) plusieurs classiques de la science-fiction et du fantastique : Rosemary’s Baby (1967), adapté au cinéma par Roman Polanski, A perfect day (Un bonheur insoutenable, 1970), et The Boys from Brazil (Ces garçons qui venaient du Brésil, 1976), adapté au cinéma par Franklin Schaffner.
Le thème de Stepford Wives a inspiré de nombreux réalisateurs puisque, outre la version de 1975, ont été tournés The Revenge of the Stepford wives, téléfilm de 1980 dans lequel les femmes de Stepford ne sont pas des automates mais ont subi un lavage de cerveau ; The stepford children, téléfilm diffusé en 1987 dans lequel les enfants et les hommes de la ville sont remplacés par des robots ; The Stepford husbands (1996), encore un téléfilm, où ce sont les hommes qui sont transformés en mari parfaits ; Enfin, au cinéma cette fois, The Stepford wives (2004), de Frank Oz, avec Nicole Kidman.
Malgré leur qualité très inégale, ces films sont tous produits par un même homme, Edgar J. Scherick.
La version de 1975 a été réalisée par le britannique Bryan Forbes. Le choix d’un réalisateur britannique pour tourner un film profondément ancré dans la culture américaine était assez audacieux et aboutit à un résultat plutôt intéressant, comme nous alons le voir plus loin. La production a connu quelques aléas. Tout d’abord, le scénariste William Goldman (Marathon Man, The Princess Bride,…), oscarisé quelques années plus tôt pour Butch Cassidy and the Sundance kid, s’est très mal entendu avec le producteur comme avec le réalisateur. Ensuite, le producteur a imposé une actrice débutante pour le rôle principal — on ne connaît pas son identité, on sait juste qu’il s’agissait de son flirt de l’époque. Après quinze jours de tournage, ce même producteur a imposé le renvoi de l’actrice, avec qui il venait de rompre. La tournage a du être repris à zéro.
Une situation assez ironique pour un film qui dénonce le statut de femme-objet.
De son côté, Bryan Forbes a aussi imposé une actrice, à savoir son épouse Nanette Newman, qui interprète Carol Van Sant, le troisième rôle féminin important du film. Ce choix de distribution n’a rien d’anecdotique, car Bryan Forbes ne voulait pas voir son épouse vêtue en «playmate», ce qui l’a poussé à imposer aux épouses de Stepford des robes longues à fleurs qui semblent sorties de La petite maison dans la prairie et qui sont plutôt éloignées de la description originelle d’Ira Levin (qui n’est pas très détaillée cependant) et surtout, de celle du scénariste William Goldman qui voulait que les femmes de Stepford soient vêtues de manière provocante. Beaucoup ont imputé l’échec du film lors de sa sortie à ce choix vestimentaire, mais il participe à la personnalité de Stepford Wives, en évitant le raccolage et en faisant de la ville de Stepford un lieu un peu hors du temps.
Le réalisateur, et c’est un autre motif de sa dispute avec le scénariste, voulait par ailleurs que le caractère horrible du récit ne repose pas sur des effets trop faciles. Il a ainsi modifié la fin du scénario, qui aurait dû être nettement plus violente, et s’est attaché, selon ses propres termes, à tourner un «thriller en plein jour».
(Attention, je raconte tout le film)
L’histoire de Stepford Wives commence à New York, qu’une petite famille, les Eberhart, s’apprête à quitter. On voit qu’ils habitent un immeuble cossu de Manhattan. La première scène est l’occasion d’un clin d’œil à la suite du film : Joanna et ses deux filles voient passer un homme qui tient sous le bras un mannequin féminin de taille humaine. Plus tard, une des filles raconte cette vision à Walter, son père : «J’ai vu un homme porter une femme toute nue» — «C’est pour ça que nous déménageons», lui répond son père. Les Eberhart emménagent à Stepford, dans le Connecticut, une ville où tout le monde se connaît et où les nouveaux arrivants ont les honneurs d’un article dans la presse locale. Le gazon est impeccablement tondu, tout est propre et bien rangé.
Walter est juriste. Joanna, en plus d’être mère de famille, a une passion pour la photographie.
Walter ne tarde pas à être accueilli par le club des hommes de Stepford, qui se réunit régulièrement dans la plus ancienne maison de la ville, un bâtiment centenaire. Quand Joanna l’interroge sur les activités du club, il se montre un peu évasif et évoque l’organisation d’évènements locaux.
En ville, Joanna a du mal à se faire des amies. Les femmes de Stepford n’ont aucune conversation et semblent obsédées par l’idée d’être des épouses parfaites. Un jour, elle surprend sa voisine, Carol Van Sant dans une situation équivoque avec un homme qui n’est sans doute pas son époux. Un autre jour, la même Carol Van Sant a un accident mineur sur le parking du centre commercial. Une ambulance vient la chercher et Joanna remarque que le véhicule part dans la direction opposée à celle de l’hôpital. Quelques jours plus tard, lors d’un barbecue, Carol se met à répêter une même phrase en boucle : «Si on ne me donne pas cette recette, j’en mourrai !».
Plus tard elle viendra voir Joanna pour s’excuser de son comportement et expliquer qu’elle souffre d’un problème de boisson.
Joanna finit tout de même par faire la connaissance de Bobbie (Paula Prentiss, ici excellente dans un rôle comique), arrivée à Stepford un mois avant elle et tout aussi avide de se faire des amies qui aient autre chose en tête que de faire briller leurs casseroles. Toutes deux décident de créer un groupe de discussion féministe à Stepford mais elles sont confrontés à un refus catégorique. Pourtant, en enquêtant, Joanna et Bobbie découvrent qu’il a existé un club féministe à Stepford et que nombre des femmes qui leur refusent de participer à de telles activités l’avaient pourtant fait en leur temps. Un peu par hasard, elles découvrent que les femmes de Stepford ignorent l’existence du mot «archaïque».
Au cours de leurs recherches, les deux femmes entrent sans frapper dans la maison du pharmacien de la ville. Elles surprennent d’impressionnants râles de plaisir provenant de l’étage supérieur. L’épouse du pharmacien, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, qualifie son mari, un homme sans charisme particulier, de «dieu».
En gloussant, Joanna et Bobbie quittent discrètement la maison.
Un soir, Walter invite à la maison plusieurs membres de son club, dont le chef semble être le lugubre Dale Coba, un entrepreneur multi-millionnaire en nouvelles technologies, docteur en sciences de l’université de Berkeley, qu’on surnomme «Diz» car il aurait travaillé pour Disneyland, chose que Joanna a beaucoup de mal à croire : «vous n’avez pas l’air de quelqu’un qui aime rendre les gens heureux». La soirée semble mortellement ennuyeuse à la jeune femme mais un des hommes présents, qui a passé toute la soirée à la dessiner, lui fait cadeau d’un beau portrait. Elle découvre qu’il s’agit d’Ike Mazzard, un grand artiste dont elle a toujours admiré les dessins de femmes bien qu’ils l’aient complexée. Un autre membre du club, Paul, lui demande un service : passionné de linguistique, il aimerait que Joanna dise et enregistre sur bande tout un lexique. Elle accepte de se prêter au jeu si les hommes du club convainquent leurs épouses de participer au club féminin de Joanna et de Bobbie.
La première et sans doute dernière réunion ne se passe pas très bien puisque la plupart des femmes présentes ne veulent parler de rien d’autre que des produits ménagers qu’elles emploient. L’une d’elle explique par exemple que si elle devient célèbre un jour, elle acceptera de tourner une publicité gratuitement pour l’amidon en aérosol. Elle dit cela avec un ton tout à la fois investi et artificiel, à la manière des mauvaises publicités de l’époque. Bobbie murmure entre ses dents : «Holy cow…».
Mais Bobbie et Joanna ont tout de même découvert une alliée, en la personne de la plantureuse Charmaine, une belle rousse passionnée de tennis et bien différente des autres épouses de la ville. Très indépendante, elle semble avoir un certain mépris pour la vie domestique et emploie une bonne. Son mari est un homme bedonnant qui, pense-t-elle, ne l’a épousée que pour son apparence physique — dans le roman, elle est comparée à l’actrice Raquel Welch — apte à impressionner les autres cadres de la chaîne de télévision qui l’emploie. Charmaine, qui est arrivée à Stepford quatre mois plus tôt, laisse un jour ses enfants à Bobbie pour partir en week-end avec son époux. À son retour, elle fait disparaître son terrain de tennis car son mari, dont elle semble à présent ennamourée de manière suspecte, préfère faire construire une piscine. Elle a renvoyé sa bonne et est devenue, comme toutes les femmes de Stepford, une ménagère parfaite.
Ce changement de caractère extrèmement brusque n’a aucun sens et Joanna et Bobbie commencent à s’inquiéter sérieusement et à se demander si l’eau courante de la ville ne contient pas une substance étrange, car la situation ne leur semble pas naturelle. Une analyse sanitaire de l’eau ne révèle cependant rien d’anormal. Les deux femmes prennent un peu peur pour elles-mêmes.
Un soir, Joanna sort de la maison pour promener son chien. Son mari en profite pour faire visiter sa chambre à coucher aux membres du club. Le chien de Joanna l’entraine jusqu’aux portes de la maison du club, d’où un policier la chasse poliment, expliquant de manière assez vaseuse que le bâtiment est classé et doit être surveillé.
Un jour, Bobbie rentre à son tour d’un week-end avec son époux. Son caractère a changé du tout au tout. Elle qui se faisait une fierté du désordre de sa cuisine est à son tour devenue une fée du logis. Elle explique à Joanna qu’elle doit bien ça à son mari qui rentre tous les soirs du travail épuisé et qui peut légitimement demander à pouvoir mettre les pieds sous la table. Par ailleurs, elle semble avoir une poitrine nettement plus importante qu’avant.
Cette fois, Joanna panique pour de bon et dit à son mari qu’elle veut déménager le plus rapidement possible. À sa grande surprise, celui-ci accepte sans résistance mais pose comme condition que les enfants finissent leur semestre à l’école.
Joanna, qui se demande si elle n’est pas folle, prend un rendez-vous chez une psychologue dans une ville voisine. En parlant, elle finit par exprimer le fond de sa pensée : pour elle, les femmes de Stepford ont été modifiées par un procédé quelconque, elles sont peut-être même devenues des robots. Dans le roman, elle évoque les automates saisissants de réalisme, dit-elle, que l’on peut voir à Disneyland, les célèbres robots audio-animatroniques, sur lesquels le mystérieux «Diz» a sans doute travaillé. Elle se rappelle au passage que la plupart des hommes qui vivent à Stepford travaillent dans le domaine de l’électronique : tout se recoupe. La psychologue est finalement convaincue qu’il se passe quelque chose de suspect et conseille à Joanna de rentrer chez elle pour récupérer ses filles et de s’éloigner temporairement de Stepford. Joanna veut s’exécuter mais lorsqu’elle arrive chez elle, ses filles ont disparu. Il ne reste là que son mari, dont les explications et le comportement sont extrèmement suspect. Joanna comprend que c’est le jour qui a été choisi pour la remplacer par un robot à son image. Et elle a raison.
Elle échappe à la surveillance de Walter et se rue chez Bobbie, où elle espère trouver ses filles. Elle plante un couteau dans le ventre de celle qui a été son amie : Bobbie ne saigne pas et ne souffre pas, elle se contente de dire «Regarde un peu ce que tu viens de faire ! Et moi qui voulais juste t’offrir une tasse de café !». Elle déraille ensuite de manière assez comique, répètant les mêmes gestes absurdes. Revenue chez elle, Joanna assomme son mari qui lui avoue que leurs filles se trouvent au club des hommes de Stepford. C’est évidemment un piège, et sur place elle ne trouve que l’antipathique «Diz», qui lui promet qu’elle ne souffrira pas et qu’il faut qu’elle voie ce qui va lui arriver (être tuée et remplacée par un robot qui lui ressemble donc) comme une évolution dans son existence. Et à la question «pourquoi faites-vous ça ?», Diz répond : «parce que nous le pouvons».
En cherchant à s’enfuir, Joanna atterrit dans une pièce familière : une réplique exacte de sa propre chambre à coucher. Elle y rencontre une femme qui lui ressemble en tout point, à l’exception des yeux que l’on devine inachevés, et de la poitrine, nettement plus imposante.
Sans qu’on le voie, on devine que Joanna est assassinée par la gynoïde qui va la remplacer.
À la fin du film, on voit les épouses de Stepford en train de faire leurs courses au supermarché. Elles portent toutes de longues robes à fleur et des chapeaux et se saluent. On voit aussi un couple de nouveaux habitants de la ville, les premiers noirs de Stepford, dont la presse locale avait annoncé la venue. La jeune femme se dispute avec son époux, elle n’est pas certaine d’être faite pour vivre dans une ville où les femmes ne pensent à rien d’autre qu’à soigner leur intérieur.
Son mari lui demande d’être patiente et lui promet qu’elle s’habituera à cette vie…
En son temps, cette satire a été considéré par certains (et certaines, surtout), comme un pamphlet contre le féminisme. J’ai du mal à comprendre par quel biais puisque les hommes n’y sont pas franchement montrés à leur avantage. L’intelligence ou l’ambition de leurs épouses leur font peur ou les complexent, et sitôt que ces dernières leur ont donné deux ou trois enfants, ils ne veulent plus les voir qu’en amantes décérébrées, en fées du logis maniaques et potiches aptes à susciter la jalousie d’autres hommes. Des choses plutôt que des personnes.
Cependant, le film, qui est plutôt un bon film d’ailleurs, ne traite pas tant du machisme, de la veulerie masculine ou de la robotique que du culte des apparences. Les épouses de Stepford parlent comme des actrices de publicité, ont des physiques parfaits et arborent d’imposantes poitrines mais n’ont guère d’autre occupation que d’entretenir un simulacre de vie sociale et de satisfaire servilement leurs époux.
(mise à jour du 29/10/2012 : en cette période où les effets de la pilule contraceptive sur la libido — et donc la psychologie — des femmes sont dénoncés par certaines (1, 2, 3), je m’aperçois d’un fait étonnant : Stepford Wives est paru l’année où la cour suprême américaine a autorisé la commercialisation de la pilule, en 1972)
One Response to “Les femmes de Stepford”
By AMIEL on Mar 9, 2013
Je n’avais rien lu de plus terrifiant depuis la Bible!
Et j’ai toujours pensé que le danger restait certain; ce qui a suivi, les interdits concernant la vieillesse, la prise de poids etc. m’ont donné raison.