Les femmes de Stepford (2004)
mai 6th, 2010 Posted in Robot au cinémaLa vertu des remakes est de nous permettre d’évaluer les mutations esthétiques, sociales ou politiques qui séparent les époques qui ont produit les différentes versions d’un même récit : on voit ce qui a changé, on mesure les progrès ou les reculs accomplis. La version 2004 de The Stepford Wives est particulièrement intéressante de ce point de vue. Intéressante, et un peu triste, aussi, car elle exprime assez bien à quel point le cinéma hollywoodien peut être devenu conformiste.
Le film de 1975 s’inscrivait dans le registre du film d’horreur, tout en étant soutenu par un propos politique assez clair lié aux revendications féministes. Le film de 2004, sorti en France sous le titre Et l’homme créa la femme, est une pure comédie dont le message est nettement moins évident à appréhender.
(attention, je raconte le film, et même, la fin du film)
Une lecture superficielle du film peut laisser penser que la première partie de la trame de la version 2004 est, Mutatis Mutandis, identique à celle du livre ou du premier film : une petite famille quitte New York pour venir s’installer dans un village du Connecticut dont les habitantes sont des maniaques des tâches ménagères. Pourtant, une différence apparaît dès les premières images : le statut social de l’héroïne du film.
La Joanna de 2004 (Nicole Kidman) est une femme certes mariée et mère de famille mais avant tout, une femme de pouvoir. Son talent n’est pas un potentiel en friche comme c’était le cas de la Joanna d’origine, mère au foyer qui était par ailleurs une photographe amateur de talent. Vice-présidente d’une chaîne de télévision, la Joanna de 2004 est ambitieuse et sans pitié. Elle n’hésite par exemple pas à pulvériser un couple pour les besoins d’une émission de télé-réalité odieuse. Dans l’épisode pilote de ce programme du type Temptation Island, deux époux séparés l’un de l’autre pendant une semaine doivent ensuite faire le choix de reprendre le cours de leur vie ou bien de demeurer avec les personnes avec qui ils ont passé la semaine. Le mari, romantique, découvre avec stupéfaction que son épouse préfère le quitter pour rester avec une foule d’amants et même de maîtresses.
Par le personnage de Joanna comme par celui de la candidate au jeu télévisé, la femme de 2004 nous est donc présentée comme incapable de choisir la voie du devoir ou de la vertu dès lors qu’une opportunité plus plaisante se présente.
Désespéré, l’époux trahi tente d’assassiner Joanna, qu’il juge responsable de son malheur, en pleine présentation publique de l’émission. La jeune femme, loin de réaliser le mal qu’elle a pu faire, y voit une excellente opportunité pour faire de la publicité à son émission. Mais voilà, les choses ont scandaleusement dégénéré au point que la chaîne doit se séparer de la jeune productrice : celle qui a provoqué l’infidélité d’une épouse est à son tour victime de l’infidélité de son employeur.
Complètement déprimée, elle se laisse convaincre d’aller vivre dans un petit village, Stepford, où elle espère pouvoir se ressourcer. Son époux, Walter (Matthew Broderick), qui est son sous-fifre dans sa société de production, se plaint autant de sa vie de famille que de sa vie de couple et espère que ce changement de lieu remédiera à ses problèmes. Comme la mante religieuse ou la veuve noire, Joanna est nettement plus grande que son époux. Ce dimorphisme sexuel nous fait hésiter : faut-il plaindre Walter, admirer son sens de l’abnégation ou bien mépriser son attitude effacée ? Une telle indécision s’applique à tous les autres hommes que nous rencontrerons au fil du récit.
Fragilisée par son licenciement, Joanna, semble quant à elle plus perdue que méchante.
La ville est peuplée de femmes au foyer élégantes dévouées corps et âmes à leurs époux. Elles n’ont pas beaucoup de conversation mais disposent de formes avantageuses. Leurs maris sont pour la plupart des «nerds» ventripotents qui ont fait carrière dans l’électronique ou l’informatique et qu’on ne s’attendrait pas à voir au bras de plantureuses blondes. Dans la première version, les maris de Stepford étaient aussi des spécialistes en nouvelles technologies, mais c’étaient des hommes «sérieux», façon Industrial Business Machines, des hommes mûrs pour la plupart, des ingénieurs portant costume et cravate. L’aura des carrières informatiques a énormément évolué en trente ans puisque les hommes de Stepford sont représentés ici comme une bande de gamins attardés qui jouent avec des voitures radio-commandées. Ils ont de l’argent, beaucoup d’argent, mais ils sont immatures et veules.
Joanna a des hauts-le-cœur lorsqu’elle est en présence des épouses de Stepford. Elle est donc ravie se découvrir deux complices dans la ville : Bobbie (Bette Midler), une célèbre essayiste, et Roger, un homosexuel extraverti qui s’est installé à Stepford avec son compagnon. L’un et l’autre ne sont à Stepford que depuis quelques semaines. À eux trois, Joanna, Bobbie et Roger constituent une petite bande toujours prompte à se moquer de tous les habitants de Stepford et de leur conformisme exagéré. Des trois, Joanna est celle qui tente malgré tout de jouer le jeu : son mari lui a avoué qu’il se sentait étouffé par sa réussite et son statut de femme forte. Elle tente donc de changer un peu de façon de vivre, elle prépare des gâteaux, porte un tablier, etc.
Lors d’une fête «country», une habitante de Stepford est victime d’un étrange accident sur la piste de danse : elle se met à tourner autour d’elle même de manière frénétique, mécanique, et ne s’arrête qu’après s’être effondrée brutalement sur sol. Joanna tente de la secourir, mais elle en est empêchée par Mike Wellington (Christopher Walken), le mentor de la communauté de Stepford, qui tire son surnom «Mike» du fait d’avoir été employé par Microsoft — dans la version de 1975, le maître à penser des hommes de Stepford se nommait « Diz », car il avait travaillé pour Disney World, célèbre à l’époque pour ses automates « animatroniques ». L’épouse de Mike, Claire Wellington (Glenn Close), est quant à elle l’organisatrice des activités des femmes de Stepford. Joanna constate que toute la ville considère, sans le formuler, que ce couple d’âge mûr dirige le village.
Alors qu’ils font du porte à porte pour convaincre les femmes de Stepford de monter un groupe féministe, Bobbie, Roger et Joanna se retrouvent auditeurs des ébats amoureux d’une de leurs voisines. Par peur d’être découverts, ils se réfugient dans la cuisine de cette femme qu’ils parviennent à piloter à l’aide d’une étrange télécommande. Ils ne s’en aperçoivent pas puisqu’elle est hors de leur vue lorsque cela arrive, mais le spectateur du film, qui a assisté à toute la scène, sait désormais que les femmes de Stepford peuvent être pilotées à l’aide de télécommandes.
C’est ce que découvre aussi Walter, l’époux de Joanna. Invité dans l’imposante bâtisse qui accueille les réunions du club des hommes de Stepford, on lui présente une jeune femme d’essence artificielle capable de servir de distributeur bancaire (sa bouche sert de fente où glisser la carte bleue et d’où sortent les billets de banque) et pouvant être pilotée à l’aide d’une télécommande. Il semble charmé par cette apparition.
Un soir, Roger est invité à une réunion du club des hommes de Stepford. Jusqu’ici, seul son compagnon y avait été convié. Quelques jours plus tard, inquiètes de ne plus voir leur ami, Bobbie et Joanna se rendent chez lui et découvrent ses vêtements de grands couturiers mis à la poubelle : Roger a totalement changé, il porte des costumes sobres, et il annonce qu’il se présente au poste de sénateur pour le compte du parti républicain. Choquée, Joanna mène son enquête sur Internet et découvre qu’il se passe effectivement des choses étranges à Stepford. Les femmes de la ville ont toutes été des femmes brillantes et des personnalités importantes de leur domaine avant de devenir des ménagères parfaites totalement dévouées à leurs époux. Elle court avertir Bobbie de ses soupçons mais, trop tard, cette dernière a changé du tout au tout elle aussi. Sa maison est à présent parfaitement tenue, elle prépare des plats pour toute la famille et passe tous leurs caprices à ses trois fils obèses. Tout en lui parlant, Joanna voit que Bobbie ne ressent pas de douleur alors que sa main est en train de prendre feu : est-elle toujours un être humain de chair et de sang ? Joanna court rejoindre son époux qui l’attend au club des hommes. Il n’y est pas seul. Victime d’un traquenard, Joanna apprend par un petit film (assez drôle, avec la forme d’un film pédagogique des années 1950-1960 qui mèle animation et film «live») le destin qui a été prévu pour elle : être «améliorée» par la greffe de puces électroniques à son cerveau, ce qui fera d’elle une épouse servile et perpétuellement souriante.
Walter explique à Joanna ses griefs : elle est trop brillante, trop active, tandis que lui-même n’aspire qu’à une vie normale — enfin une vie normale avec une femme-robot. Comprenant qu’elle n’échappera pas à son destin, Joanna embrasse amoureusement son petit mari et tous deux sont emmenés au sous-sol par une trappe motorisée dans le sol. On ignore ce qui se passe exactement, mais la scène suivante se déroule au en plein jour, au supermarché, où les femmes de la ville font leurs courses. Joanna, comme les autres, a désormais des cheveux blonds et porte une robe pastel.
C’est à ce stade que s’arrêtait le récit d’origine et le film de 1975 : les femmes de Stepford n’étaient plus que des robots et ces permutations allaient assurément se reproduire inexorablement.
Mais en 2004, un film à gros budget ne peut pas s’achever sur une note aussi pessimiste.
Lors d’un bal qui aurait du être parfait, Joanna et Walter parviennent à ruiner le système de Stepford. En effet, apprend-on alors, l’époux enamouré avait finalement renoncé à transformer sa femme en robot. Celle-ci a joué la comédie en attendant le moment propice pour libérer ses congénères. Le système est détruit et une à une, les femmes de Stepford retrouvent leurs personnalités et s’en prennent à leurs époux, complètement paniqués. Seul Walter s’en tire bien, son revirement final lui valant un sourire tendre de la part de Joanna. Mike, le gourou de Stepford, se saisit alors d’un chandelier, dans le but de frapper Walter, mais Joanna a vu les choses venir et frappe la première. Stupeur : la tête de Mike se détache de son corps et roule sur le sol. Il n’était qu’un robot. On apprend alors que c’est Claire Wellington, son épouse, qui est responsable de tout. Elle a même remplacé son mari volage par un robot toujours parfait. Son but à long terme était sans doute d’en faire autant à tous les autres hommes, transformant Stepford en une ville parfaite selon son goût, une maison de poupées géante où les hommes sont des robots et où le cerveau des femmes est sous contrôle. En donnant un dernier baiser à son automate de mari, elle s’électrocute.
Pour épilogue, Joanna, Bobbie et Roger sont invités à raconter leur histoire au cours du talk-show de Larry King. De leur côté, les maris de Stepford se retrouvent au supermarché où ils font les courses : les esclaves domestiques, à présent, ce sont eux.
Dans le premier film, Joanna se retrouvait seule face aux hommes, totalement seule. Ici, elle reçoit une correction qui la fera réfléchir, mais survit grâce à l’amour de son mari : le couple réconcilié triomphe.
La morale du film est à mon avis bien plus réactionnaire qu’il n’y paraît. Certes, on règle ici ces comptes avec l’immaturité ou la lâcheté des hommes et avec le passéisme des républicains conservateurs. Mais tout cela est présenté comme un conte joyeux dont les enchantements sont finalement rompus et où les morts reprennent vie : il ne s’est rien passé, ou presque, ce n’était qu’un mauvais rêve. L’épouse n’est pas morte, remplacée par un automate, mais elle a compris la leçon et désormais elle pensera à éviter de faire trop d’ombre à son petit mari. Cette fin confortante, confortable, renvoie dos à dos les belligérants de la guerre des sexes en affirmant implicitement que féminisme est allé trop loin (notamment parce que les femmes ont trop d’ambition professionnelle) et que cette situation a été rendue possible avant tout parce que les hommes n’assument plus leur part d’autorité.
Les récents remakes d’œuvres de science-fiction constituent presque toujours une trahison de l’esprit des films d’origine. Lorsque le propos était sérieux, ils le ridiculisent ; lorsqu’il était ironique, ils le traitent au second degré. Puisque leurs auteurs manquent de courage et les vident de leur charge politique, ces films sont souvent sanctionnés par le public qui les boude (ce qui est advenu ici), à se demander à quoi ils servent, si ce n’est à enterrer des films parfois porteurs d’un message : La planète des singes, Rollerball, Godzilla, King Kong, Le jour où la terre s’arrêta…
Cette version de Stepford Wives est clairement ratée. Outre le brouillage du message, le scénario est assez bâclé : les femmes de Stepford ne sont donc pas des robots mais des femmes de chair au cerveau télécommandé, ce qui était une bonne idée dans le contexte actuel, mais en même temps « Mike » est un robot, la jeune femme du club des hommes de Stepford est un terminal bancaire et un chien de race disparu est devenu un robot lui aussi… On a vaguement l’impression que les scénaristes ont décidé la nature exacte du traitement subi par les femmes de Stepford après le commencement du tournage. On notera que le roman, comme le film de 1975, restaient prudemment imprécis sur la nature technique de la modification des femmes de Stepford.
Dans le même genre d’idée, les scénaristes traitent assez mal l’environnement immédiat de Joanna : elle a deux enfants, mais on ne les voit jamais, ou plutôt on ne les voit qu’aux très rares moments où on veut nous rappeler leur existence.
Les acteurs font ce qu’ils peuvent pour sauver les meubles, à commencer par Nicole Kidman dont le jeu passe du burlesque (un registre où elle a toujours été douée) aux larmes et qui incarne très bien physiquement ses différentes métamorphoses morales : requin des médias, dépressive, poupée mannequin articulée. Christopher Walken, Glenn Close, Bette Midler et Matthew Broderick tiennent eux aussi leur rôle de manière honorable, mais cela ne suffit pas à sauver le film.
6 Responses to “Les femmes de Stepford (2004)”
By Bishop on Mai 6, 2010
Ah c’était un remake… J’ai vu cette horreur au cinéma. C’était pénible.
By Jean-no on Mai 6, 2010
Oui c’est mauvais. Et pourtant le livre est bon et le film de 1975 aussi. Il y a eu plusieurs téléfilms, je ne les ai pas vus, ils ont assez mauvaise réputation.
Pire encore : Ma sorcière bien-aimée, encore plus vidée de sa charge subversive par un film avec, une fois de plus, la grande (1,80 m) Nicole Kidman.
By Sophie D. on Mai 10, 2010
J’ai envie de lire le livre, maintenant!
Je me rappelle l’avoir vu un soir à la télévision et avoir été très déçue.
L’aspect visuel du film m’a d’abord rappelé l’univers de Tim Burton d’Edouard aux mains d’argent (banlieue flashie, femmes au foyer assorties à leur décoration intérieure…) donc ça commençait plutôt bien… mais la suite… je me suis ennuyée et en plus je n’ai pas trouvé ça très drôle (le côté comédie, m’est totalement passé au dessus du crâne et cela m’a plus irrité que fait rire!) mon agacement venait du sentiment de passer à côté de quelque chose : Cela aurait pu être très bien et je trouvais ça très mauvais… ce film m’a donc beaucoup énervé, je ressortais de cette séance « film du soir en famille » avec ce sentiment de profond agacement (ma famille n’a pas non-plus accroché, avec cela j’ajoute que je ne l’ai pas vu, mais qu’ils ont détesté le remake de Ma Sorcière Bien-aimée!)
Cependant grâce à toi j’ai désormais très envie de lire le livre et de voir l’adaptation de 1975! merci ^-^
By Jean-no on Mai 10, 2010
@Sophie : Le livre est un classique à sa manière et je dirais qu’il se relit très bien. On le trouve facilement, aussi. Le côté « suburbia » un peu factice, un peu trop parfait (Edouard aux mains d’argent, Desperate Housewives, Weeds…) aurait pu être un point fort du film mais au fond, les auteurs de cette adaptation ont foiré leur coup car je crois qu’ils évitent la critique : finalement ils sont du côté des méchants, du côté de ces villages factices, du côté des hommes contre les femmes,…
By Jean-Jacques Birgé on Juin 27, 2010
Analyse très différente ;-)
http://www.drame.org/blog/index.php?2006/09/19/263-stepford-wives
By Jean-no on Juin 27, 2010
@Jean-Jacques : tiens, je n’avais pas du tout vu ton article, ceci dit je crois que je ne suivais pas ton blog en 2006. Effectivement, tu devais être de bonne humeur quand tu as vu le second (ou 5e, selon la manière dont on compte) Stepford Wives. Moi, pas tellement comme tu vois :-)