Le doute sur la photographie
mars 2nd, 2019 Posted in ImagesCe matin sur Twitter je tombe sur des échanges entre des personnes qui affirment que l’image présentée ci-dessous est « photoshopée » et d’autres qui jugent qu’il s’agit d’un cliché non retouché. Le problème qui apparaît vite au cours de la discussion est que ceux qui croient à une manipulation semblent plutôt soutenir l’actuel gouvernement, tandis que leurs contradicteurs ont des opinions politiques inverses.
Authentique ou non, cette photographie est assez frappante et avant de lui prêter une signification politique, il fallait en déterminer la provenance et le contexte. Dans la conversation du jour, quelqu’un a signalé un article du service de fact-checking de l’AFP, daté de la fin du mois de décembre dernier, qui affirme que l’image est authentique et situe la scène à Avignon. L’homme a terre était un manifestant qui affirme avoir été puni pour avoir insulté des policiers. Curieusement, cette page du site de l’AFP m’a semblé familière, j’avais sans doute déjà lu l’article. Si c’est avéré, alors j’avais oublié cette image ! Il faut dire que les documents de ce type s’accumulent, depuis des mois, et que des images de violences commises par les uns ou les autres lors de manifestations finissent par être banales, au point qu’on les confonde ou qu’on les oublie — à moi, en tout cas, ça arrive.
Quand j’ai commencé à être formé à la retouche photographique (au crayon à l’aérographe et au pinceau !), ce métier était totalement inconnu du public et n’avait qu’une portée restreinte : on repiquait1 les photographies publiées dans la presse, il existait quelques usages spécialisés2, mais ces sont surtout les grosses agences de publicité qui avaient une pratique importante de la retouche. Aujourd’hui, la manipulation des images est à ce point une répandue (on retouche même ses photographies personnelles) qu’il semble que l’image photographique ne peut plus être considérée comme le témoignage d’une réalité effective. Les progrès du deep learning, qui permettent d’automatiser certaines retouches (y compris en vidéo, avec la technologie dite « deep fake »), ne vont rien arranger.
Ce soupçon généralisé envers l’image photographique pourrait être sain s’il était un peu plus fin, si le public était bien conscient que la première forme de manipulation par l’image n’est pas tant la manipulation de l’image que la tricherie sur sa légende, ou encore son contexte de publication. S’il était averti aussi qu’une photographie n’est jamais représentative que d’un instant, et que l’on ne peut pas toujours savoir ce que sont l’instant qui précède et celui qui suit. Si ce public savait qu’une photographie est un cadrage (c’est à dire l’exclusion de ce qui entoure un cadre), qu’elle est tributaire de paramètres techniques (focale, heurs de l’éclairage, accidents divers) qui peuvent donner une idée bien fausse des choses. S’il était bien conscient aussi qu’une photographie publiée est d’abord une image sélectionnée — aujourd’hui parmi des dizaines, des centaines, des milliers. Et s’il savait, enfin, que le récepteur d’une image, c’est à dire vous et moi, c’est à dire lui-même, pétri d’attentes et de préjugés, trop fier pour reconnaître une erreur et adapter son opinion aux nouveaux éléments, est le pire ennemi du discernement, comme en témoigne l’anecdote qui ouvre ce post : l’image dit ou non la vérité, selon qu’elle correspond aux idées politiques que l’on défend.
- La repique, c’est le fait de nettoyer une épreuve photographique en comblant les marques laissées, par exemple, par des poussières. [↩]
- Par exemple les photographies d’objets technologiques pour les catalogues ; les photos de mariage dans certains pays ; ou encore la modifications d’images pornographiques afin de les adapter aux goûts locaux en matière de proportions des corps — j’ai entendu parler par exemple d’une personne dont le métier était consacré à réduire la taille des poitrines de femmes issues de publications allemandes, trop imposantes pour le public français. [↩]
2 Responses to “Le doute sur la photographie”
By Koukou on Mai 10, 2019
Bonjour
Je pense qu’un moyen, de vérifier le bidouillage d’une photo est de vérifier les données Exif de la photo. Si ces données ne sont pas issues d’un appareil photo, cela sent mauvais. Si j’en crois le fichier Exif de celle ci:
Exif données
Résolution : 960 x 930
Jpeg process : Progressive
Commentaires : Created with GIMP
Ici pas de date, ni de nom d’appareil, mais celui d’un logiciel libre de retouche d’image.
Cela sent bon le Fake.
By Jean-no on Mai 10, 2019
@Koukou : c’est un indice possible, mais là ça signifie surtout que j’ai employé Gimp pour dimensionner l’image au format de mon blog :)