La retouche photo en 1985
mars 13th, 2008 Posted in Diplômes, Images, VintageEn 1985, on écoutait Prince, Depeche Mode, Visage, Tear for fears, Lionel Ritchie, les Simple Minds, Simply red, les Cure, Eurythmics, Sting, les Talking Heads, Laurie Anderson, les Fils de Joie, Toto, Run Dmc, LL Cool Jay, The Sisters of Mercy, Sade, Genesis, UB40, INXS, Madonna, Level 42, Grace Jones, Cock Robin, les Rita Mitsouko. Le tube de l’année, c’était « We Are The World », par le groupe USA for Africa, un collectif réuni par Michael Jackson, Lionel Ritchie et Quincy Jones. Et le tube français, « Un autre monde », par Téléphone, servi par un très beau clip de Mondino. À l’époque, Canal+ démarrait avec son fameux « Top 50 », les autres chaînes (TF1, Antenne 2 et FR3) étaient toutes publiques. On parlait pas mal de l’Apartheid en Afrique du Sud, Nina Hagen rêvait qu’un jour l’Allemagne de l’Est et l’Allemagne de l’Ouest soit réunifiées, et le groupe Frankie Goes to Hollywood nous rappelait, sur la pochette de son tube « Two Tribes » à combien de mégatonnes s’élevaient les puissances nucléaires américaines et soviétiques. Cinq ans plus tard, ce monde, ou en tout cas ses symboles et ses institutions, avait disparu.
Les ordinateurs personnels étaient encore un peu des jouets. Mais des jouets sérieux. On ne jouait qu’aux jeux qu’on avait soi-même programmé en Basic ou en Assembleur sur nos Sinclair Spectrum, et la marque Apple faisait parler d’elle avec son fameux Macintosh : écran couleur (rectification après commentaires : la couleur n’est effectivement venue qu’un peu plus tard), souris et interface graphique,… Les gens qui voulaient faire sérieux préféraient se fier au PC d’IBM, plus austère, disaient-ils, mais plus professionnel. L’avenir leur a donné tort. Mais pour avoir raison il fallait payer le prix car les Macintosh étaient hors de prix et il était difficile de savoir à quoi, au juste, ces ordinateurs pourraient bien servir. Du moins jusqu’à ce que Microsoft vienne à la rescousse du Mac en proposant les deux premières applications « professionnelles » qui tiraient parti de l’interface graphique : Word et Excel.
À l’époque j’étais dans un LEP1 de Retouche Photo. Quand j’en suis sorti en 1987, nos deux profs de photo, qui étaient aussi chercheurs au CNRS, nous annonçaient que, de notre vivant, nous verrions sans doute venir la photographie numérique : plus de pellicule, plus de bains, plus d’acide acétique. Bien avant que des appareils photo numériques sérieux n’arrivent sur le marché (progrès très récent finalement, et l’argentique est loin d’avoir perdu son intérêt dans de nombreux cas), la première révolution numérique de la photo a été celle de Photoshop. Publié en 1990, ce logiciel a rendu caduc le métier que j’avais passé trois ans à apprendre, la retouche.
« De mon temps », comme on dit, la retouche photo ne se faisait pas à la palette graphique, mais au pinceau, au grattoir, au crayon et au « gris-film ». Le résultat ressemblait à ça :
Ce que j’ai appris à l’époque est donc obsolète mais il m’en est resté quelques petites choses, notamment le besoin d’avoir les mains très propres pour travailler. En arrivant aux Beaux-Arts, en peinture, j’ai vite remarqué que j’étais le seul à y faire attention.
- LEP : Lycée d’enseignement professionnel, un établissement qui délivrait un CAP — Certificat d’aptitude professionnelle. Même s’il existe toujours des CAP dans les métiers qui réclament un savoir-faire et un savoir précis, c’est à dire les métiers de l’artisanat, les CAP ou BEP sont peu à peu remplacés par des filières de type Baccalauréat professionnel, ou conditionnés à des formations en alternance, qui offrent une main d’œuvre sous-payée aux entreprises, lesquelles sont partie prenantes dans la délivrance du diplôme et peuvent abuser de cette position pour exercer divers chantages sur leurs apprentis. [↩]
10 Responses to “La retouche photo en 1985”
By Wood on Mar 13, 2008
En même temps, moi j’ai photoshop sur mon PC, mais c’est pas pour autant que je suis capable de retoucher une photo correctement.
By Jean-no on Mar 13, 2008
Eh bien quand Nathalie a commencé le graphisme, en 1994 (je crois), embauchée par une copine, elle était titulaire d’un presque-deug de slavistique, sans expérience… Et très rapidement, elle est devenue nettement meilleure que moi qui avais pourtant consacré trois ans à apprendre la retouche. Le logiciel ne fait pas le savoir-faire, mais avec photoshop, c’est le fait d’avoir un bon oeil qui compte. Avec la retouche à l’ancienne, tout était question de gestes, de recettes, de savoirs très précis…
By Xavier on Mar 14, 2008
Deux petites erreurs.
Le Macintosh était en noir et blanc à sa sortie en 1984, le premier modèle couleur date de 1987.
Le Macintosh d’origine (dit 512 parce qu’il avait 512 Ko de RAM) était vendu avec MacWrite qui était parfaitement utilisable (et utilisé, je l’ai constaté en 1987) en tant que traitement de texte.
Amusant ce que disaient vos professeurs (« de votre vivant, l’arrivée du numérique »).
Actuellement je pense que l’encre (ou papier) électronique commence à remplacer le papier et que d’ici une dizaine à une vingtaine d’années maximum (tout dépend des progrès techniques) la plus grande partie du support papier aura disparu dans notre société.
By Jean-no on Mar 14, 2008
C’est vrai, le premier mac était en noir et blanc, j’avais oublié ça. MacWrite était sans doute ok, mais l’arrivée de Word a donné une crédibilité supplémentaire au mac, commercialement plus que techniquement.
By Mr Vandermeulen on Mar 16, 2008
Bravo, mon cher Jean-No ! formidable leçon ! l’hygiène est une chose indispensable, que nos jeunes connaissent trop peu ! Ah ! Les Grecs ne connaissaient pas le savon, mais de nos jeunes, que ne faut-il pas entendre : Il ne faut pas laver les cheveux : « la crasse nourrit les cheveux ». Il ne faut pas laver la peau : « il faut garder l’huile de la peau ». Pour les dents on gratte de la pointe du couteau, on les rince avec un verre d’alcool ou en buvant un fromage frais. « Plus le bouc pue, plus la chèvre l’aime » disait-on au temps de ma jeunesse dans mon village !
By Dan on Fév 20, 2015
C’est une question que je me suis souvent posé : comment faisait-on avant ? Pour moi ça avait tout l’air d’être l’Enfer et puis je me suis souvenu qu’en lisant un bouquin d’April Greiman (qui date de 1989) je m’étais rendu compte que la production graphique en général (je m’éloigne de la retouche photo) était tout aussi créative et intéressante, mais bien sûr manuelle. Elle dessinait plus et prenant en photo des écrans pour créer des textures. Dans tous les cas le dessin, le travail de la main et du crayon avaient une place prépondérante il y a 30 ans, aujourd’hui il s’est un peu perdu en chemin j’ai l’impression… un peu !
By Jean-no on Fév 20, 2015
@Dan : sans Photoshop et Illustrator, beaucoup de choses étaient très laborieuses (des titres tracés au tire-ligne et à la gouache…). Par contre il doit y avoir pas mal de choses qu’on avait moins de mal à inventer avec du papier et des outils tels que la photocopieuse qu’avec tous ces logiciels… Je suis content que l’Esadhar conserve (merci Yann O.) une tradition du travail fait-main.
By Dan on Fév 20, 2015
Oui j’y ai pensé aussi. D’ailleurs pendant le dernier workshop j’ai travaillé exclusivement avec des magazines et une photocopieuse pour faire une édition et… que ça fait du bien !
By Christophe D. on Fév 20, 2015
Mon père avait le même diplome que toi et a travaillé comme tireur noir et blanc (et retoucheur quand il y avait besoin) dans deux studios parisiens. Puis chômage de plein fouet au milieu des annees 90.
Pour faire bonne figure, l’ANPE avait bien essayé de lui trouver une « formation Photoshop » mais bon… il a fini livreur.
Il me ramenait parfois de son boulot quelques produits de retouche que j’utilisais pour dessiner. Je me souviens d’une espèce de boite-pallette en céramique dans laquelle on pouvait faire différents melanges de nuances (m’en servais avec des encres Pebeo quand je faisais de la BD) ; je me souviens d’une encre grise qui devenait plus foncée quand on la mélangeait (me demande si ce n’est pas ce que tu appelles le gris-film) ; je me souviens de pinceaux « qui valaient une fortune ».
À propos de gestes, je me souviens être venu l’aider une nuit à faire du tirage (enfin surtout du séchage en ce qui me concernait ;-) chez Dahinden : il regardait la planche contact, allumait la tireuse et masquait directement les zones sombres en bougeant ses mains dans tous les sens, sans chrono.
By Jean-no on Fév 20, 2015
@Christophe : j’ai gardé peu de contacts avec ceux qui étaient en CAP avec moi, je me demande combien ont continué… J’en connais un qui était tellement doué qu’on était tous persuadés qu’il finirait en bossant pour Jean-Paul Goude. Ce qui est arrivé. Je crois que le changement de métier ne l’a pas affecté. J’en connais d’autres qui sont photographes, à présent, mais je ne sais pas comment ils s’en tirent…