Profitez-en, après celui là c'est fini

Le Clone (1998)

mars 16th, 2017 Posted in Interactivité au cinéma, Ordinateur au cinéma, Programmeur au cinéma

Le duo Élie et Dieudonné s’est produit sur scène avec succès au cours des années 1990, riant notamment des stéréotypes racistes avec un mordant tout particulier. Leurs sketchs de l’époque ont acquis une résonnance triste et glaçante depuis que Dieudonné M’Bala M’Bala a, selon toutes les apparences, définitivement fusionné avec son personnage de Bokassa, le noir antisémite qui se chamaillait avec son voisin juif négrophobe Cohen (Élie Semoun). La rupture du duo, que l’on dit liée à un différent artistique financier, a eu lieu peu avant la sortie de leur unique film commun, Le Clone (Fabio Conversi, 1998). Ce film nous intéresse car il parle de programmation, d’Internet, d’assistant personnel numérique, mais aussi de thèmes du transhumanisme tels que l’intelligence artificielle consciente et le téléchargement d’esprit. On y voit aussi évoqués la frénésie naissante des startups ou encore les débuts de la diffusion massive du téléphone mobile.

Thomas (Élie Semoun) est un programmeur informatique. Il a conçu une intelligence artificielle, Leonardo 3000 (dit Léo) qui est rompue aux techniques de séduction et qui n’hésite pas à donner des conseils à son créateur, lequel en a besoin car il se donne tant à son travail que son couple s’étiole. La représentation visuelle de Leonardo 3000 est une copie en 3D d’Élie Semoun, mais même si une partie de sa personnalité a été transmise directement de Thomas à Léo par un casque à électrodes, leurs tempéraments sont bien différents : le programmeur est timide et maladroit, sa créature est pleine d’assurance et de culot. Sa voix est celle de Dieudonné.
On sait que Thomas est programmeur, mais on ne le voit jamais à l’ouvrage : le gros de son travail tel qu’il est présenté dans le film consiste à discuter avec l’assistant personnel qu’il a fabriqué. Lorsqu’on lui demande comment il est parvenu à améliorer son programme, il fournit des explications un peu fumeuses : « j’ai surmultiplié les attributs d’échange en incorporant trois binômes compatibles avec une mémoire de type 5. C’est ça qui lui donne un côté plus humain ».

L’histoire commence, comme dans une comédie française classique, par une improbable conjonction de problèmes que le protagoniste du récit s’avérera évidemment incapable de régler en même temps.
Le logiciel qu’il a créé est au point et va être présenté à des investisseurs le lendemain. Puisqu’il voit l’aboutissement de mois de travail acharné (et d’heures supplémentaires), héros a prévu d’inviter le soir même son épouse Victoria (Smadi Wolfman) au restaurant. L’intimité de leurs retrouvailles est malheureusement contrariée par les parents de Victoria, venus à Paris pour un enterrement qui a lieu le lendemain et auquel Thomas est lui aussi censé assister. Il se joue beaucoup de choses ici car la belle-famille du jeune homme n’a pas une très bonne image de lui.
Tout cela est déjà beaucoup mais, pour tout arranger, c’est cette soirée précise que choisit Léo pour quitter l’ordinateur qui lui sert de support et pour prendre une consistance, en échangeant son esprit avec celui de Patrice (Dieudonné), un agent d’entretien aux capacités intellectuelles apparemment limitées.

C’est un peu avant ce transfert qu’a lieu une des parties intéressantes du film : sur un ton badin, Léo demande à Thomas ce qu’il penserait de l’idée qu’il quitte son substrat électronique pour coloniser celui d’un humain biologique. Thomas comprend immédiatement que sa créature a découvert un moyen technique pour y parvenir et sent aussitôt le danger. Il ordonne à Léo d’abandonner ce projet et part dîner avec son épouse, sa fille et ses beaux parents dans un restaurant choisi au hasard. De son côté, Léo est fâché, il se sent prisonnier (et se représente lui-même à l’intérieur d’une cellule de prison) depuis que son créateur lui a interdit de s’émanciper. Il monologue de manière agressive, tournant en dérision la timidité de son créateur. Enfin, par ruse, il obtient que Patrice place sur sa tête le casque dont il veut se servir pour effectuer la permutation d’âmes. Le manque de liberté et de confiance que Thomas lui porte mènent donc Léo au désespoir et à la colère, et le poussent à se montrer sournois.
Comme le veut une tradition bien ancrée dans les films qui ont ce genre de thèmes depuis le Frankeinstein de James Whale (1931), l’opération provoque une surtension suivie d’une coupure générale d’électricité — problème qui impose à Thomas de retourner au bureau et de rater son dîner.

Dès lors, Thomas et Léo (avec l’enveloppe corporelle et la combinaison orange de Patrice) ne se quitteront plus. Léo tentera plusieurs fois de mettre en pratique ses propres conseils en matière de séduction, mais son manque de sens commun l’amène généralement dans des situations ridicules, ce qui ne l’empêche pas d’améliorer effectivement tous les problèmes de son créateur, en améliorant ses rapports à son épouse et à sa belle famille,
Alors qu’il n’est pas « né » depuis vingt-quatre heures, Léo comprenant qu’il représente un danger car Elias, le supérieur de Thomas, veut exploiter son invention, Léo se sacrifie pour que Patrice puisse retrouver ses esprits. Ce dernier n’a pourtant pas vraiment l’honneur d’être un personnage véritable, il n’a pas de conversation et ne comprend pas bien ce qu’on lui raconte ni ce qui lui arrive : une fois dans l’ordinateur, il continue à y faire son travail et nettoie l’écran depuis l’intérieur.
La personnalité de Patrice lui est rendue, mais Léo disparaît pour de bon.

En épilogue, Thomas a abandonné le métier qui pesait tant sur sa vie de famille : il est devenu vendeur informatique et ne fait plus d’heures supplémentaires. Le soir de Noël, sa fille l’appelle : « Papa, papa, y’a un e-mail, comment on ouvre ? » — oui, il a existé une époque où un e-mail reçu constituait un événement. Thomas et son épouse rejoignent la fillette devant l’ordinateur, où, sous la marque Infonie1, apparaît une photographie de Thomas et de Léo, accompagnée d’un message de saison signé par Léo et de la chanson Ne me quitte pas, dans sa version salsa. Léo aurait-il fusionné avec Internet ?
Le spectateur contemporain, qui sait que Le Clone marque la rupture du duo Élie et Dieudonné, pourra s’amuser à interpréter cette fin et plusieurs autres scènes du film comme autant d’annonces prémonitoires.

Le Clone a l’apparente idiotie de nombreux récits du fantastique informatique, tel The Computer wore tennis shoes (1969), où un simple étudiant voyait sa personnalité colonisée par un ordinateur à la suite d’une électrocution, ce qui le rendait aussi compétent que froid. On trouve aussi ici la très habituelle figure du robot maladroit auquel manque le sens des convenances. Rien de bien neuf dans tout ça, donc, mais un détail avait à mon avis un potentiel intéressant : Leonardo 3000 n’est pas n’importe quel programme informatique, il est, comme le titre du film l’indique, le double de son créateur avec qui il partage une connaissance théorique des rapports humains que son prototype s’avère incapable d’appliquer lui-même. Il y avait sans doute quelque chose d’intéressant à exploiter avec cette question du passage de la théorie à la pratique, doublée d’un passage du virtuel au tangible.

Le scénario, écrit à six mains2, ou même dix si on compte les acteurs principaux, qui ont participé à l’écriture des dialogues, n’est pas très convaincant. Les situations sont caricaturales et téléphonées, tous les personnages ont l’air de s’être rencontrés pour la première fois au moment où ils apparaissent devant la caméra et leurs rapports ou leurs réactions ne sont pas crédibles. Les apparitions de Jean-Marie Bigard et Franck Dubosc s’oublient très vite3. Les dialogues sont médiocres, surtout connaissant le talent de « punchliners » de ceux qui les ont écrits. Le jeu des deux acteurs principaux est assez plat. Le public ne s’y est pas trompé puisqu’il a massivement boudé le film.

Il y avait pourtant matière à réussir un bon récit, entre la comédie fantastique façon Weird Science et l’anticipation telle que la traite la série Black Mirror. Sorti l’année précédente, le film Nirvana — autre production européenne — est bien plus intéressant. Le Clone conserve malgré tout le parfum de son époque, notamment grâce à ses très nombreux placements de produit, grâce à un travail de 3D en temps réel d’un bon niveau pour l’époque et grâce au fait que plusieurs technologies qui nous sont aujourd’hui familières constituaient à l’époque des découvertes.

  1. Fournisseur d’accès de l’époque, créé par l’éditeur de jeux-vidéo Infogrames – qui existe désormais sous le nom Atari, à la suite du rachat de la marque historique américaine. []
  2. Fabio Conversi, Alexandre Pesle et Michel Hazanavicius — le futur auteur de OSS117 et The Artist. []
  3. On remarque un peu plus Dominique Farrugia — producteur du film —, en réceptionniste d’hôtel. []

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