United States of Google
mars 19th, 2015 Posted in Lecture, Les pros, ParanoLa toute jeune maison d’édition Premier Parallèle a eu la bonne idée de publier au format poche un long article de l’hebdomadaire Die Zeit intitulé United States of Google, qui entend prouver, avec plus d’un argument, que Google, Apple, Facebook et d’autres se donnent comme vocation de remplacer les États, non parce qu’ils représentent d’immenses puissances financières — c’est aussi le cas des géants du pétrole, de l’automobile ou de la finance, mais ceux-ci préfèrent contrôler les États que leur suppléer, je pense —, mais parce qu’ils sont nés dans le contexte très particulier de la Silicon Valley, à la fois héritier des idéologies contestataires de la fin des années 1960, et tributaire, de par la culture de l’ingénieur, d’une approche technicienne, lucide et holistique des questions de société, d’urbanisme ou d’écologie. J’ajoute que l’article aurait pu mentionner que Sergey Brin et Larry Page (les fondateurs de Google), Jeff Bezos (créateur d’Amazon) ou encore Will Wright (créateur de Sim City) ont reçu une éducation Montessori, ce qui me semble loin d’être un détail.
Si Google et autres sont crédibles dans le rôle qu’ils se donnent, c’est peut-être, comme le dit Adrienne Charmet-Alix en postface, parce que, facilité ou incompétence, les États ont déjà abdiqué et confient aux géants des technologies un pouvoir exorbitant, notamment en termes d’accès à l’information, de possession des données personnelles autant que publiques. Certes, la disparition de la politique est une chose tragique, c’est la porte ouverte à une dictature des corporations comparable à la société décrite dans la dystopie Rollerball (1975), où la prospérité et la sécurité sont offertes à tous à la seule condition d’un abandon de la liberté de se poser des questions. Certes, les sociétés telles que Google ne sont pas forcément les meilleures garantes des libertés (information, expression) qui nous ont été apportées par Internet, à qui elles doivent leur fortune et qui est à présent leur arme. Il n’en reste pas moins que le chant de ces sirènes ne manque pas de charme. Google, tout particulièrement, nous promet un monde enfin tourné vers l’avenir, dans un savant équilibre entre rêverie futuriste et pragmatisme.
Aux politiques d’en faire autant s’il comptent survivre à cette concurrence.
Ah tiens, dimanche, on vote, il paraît.
The United States of Google, par Götz Hamann, Heinrich Wefing et Khuê Pham, traduit par Elisa Wenger et augmenté d’une postface d’Adrienne Charmet-Alix. 6,50€ en édition papier. 2,99€ en numérique (sans DRM).
ISBN : 979-10-94841-02-0.
6 Responses to “United States of Google”
By Yohooo on Mar 26, 2015
Gros raccourci !
Le danger (réel) de la concentration des données dans les mains de quelques multinationnales impliquerait (rien est moins sûr) la disparition des états. Cette place serait laissée vide par l’absence (illusoire) de pratiques politiques « tournées vers l’avenir ».
Quel fatalisme quant à la place de la politique ! C’est oublier que l’histoire récente regorge d’exemples de projets politiques qui, portés ou non par la citoyenneté, n’en finissent pas de façonner notre monde. Quelques exemples :
L’écologie, idéologie motrice, sans frontières ni nation, capable de mobiliser aussi bien localement que médiatiquement (lorsqu’il s’agit de refuser de grands projets d’aéroports ou de barrages). Idéologie qui a su créer sa branche politique, dernière venue (il y a 30 ans) dans le champ partisan.
Le socialisme, qui continue d’emmerger, désormais démocratiquement, au sein de pays souvent sinistrés par le capitaliste mondialisé (les années 2000 on été le théâtre de son emergence en amérique latine, les années 2010 verront-elles celles-ci ré-emerger en Europe suite à l’actualité grecque ?)
Le mouvement coopératif, qui renait dans les années 2000 sous un aspect moins ouvrieriste qu’au XXeme siècle.
Le féminisme, qui a transformé les pratiques démocratiques d’une majorité de pays accidentaux.
Et je ne cite pas le retour du religieux dont je n’ai pas envie de faire la publicité ici.
Alors la multinationnale du web sera-il aussi le principal acteur de l’appareil technocratique de demain ?
– Je pense premièrement qu’il n’en sera que l’outil (La CIA n’est-elle pas toujours le très gros financeur indirect de Facebook ).
– Deuxièmement, l’hégemonie culturelle et politique est loin de lui être acquise.
By Jean-no on Mar 26, 2015
@Yohoo : justement, Google ne cherche pas une hégémonie politique, mais, si on se fie aux exemples donnés par le livre, ne croit plus au politique et prend des initiatives d’ordre politique sans s’intéresser au débat politique (hors questions fiscales et réglementaires qui les concernent directement, j’imagine).
Qu’il y ait des forces politiques tournées vers l’avenir est certain, mais elles sont, de facto, assez inaudibles, et créent certes de la nouveauté (féminisme, écologie) voire de beaux-rêves (ah, cette Islande qui défie le FMI…), mais aussi pas mal de réaction, telles que le retour du religieux, que vous évoquez à juste titre et qui s’oppose au politique, en affirmant que les lois faites par les hommes ne valent rien, en proposant leurs propres lois et regorgeant de revendications identitaires, communautaires, nationalistes ou sexistes. Et ne parlons pas de l’incompréhension qu’ont la plupart des électeurs de leurs propres institutions politiques, dont ils ignorent souvent les prérogatives et qu’ils élisent souvent sur un malentendu. Le vote Front National de dimanche dernier en est un assez bon symptôme.
Je comprends bien qu’en ne croyant plus à l’avenir du politique, on participe à précipiter sa fin, c’est une prophétie autoréalisatrice, performative, oui, mais apparemment Google n’y croit plus, et je dois dire que moi-même, je me force à faire semblant d’y croire un peu.
By Yohooo on Mar 26, 2015
@jean-no
Ce qui me gène dans l’article comme dans votre réponse. C’est la capacité à relayer l’idée que « rien ne bouge » dans le champ politique (ne limitez pas celui-ci au contexte institutionnel).
D’ou cela vient-il ?
La politique n’est pas une croyance, mais une pratique. On ne peut pas décreter qu’un acteur (même s’il s’appelle Google) « croit » ou non en la politique. Les acteurs de cette société la pratique comme vous le démontrez, que ce soit au dedans ou en dehors des institutions.
De la même manière, le vote FN de dimanche dernier est un choix politique d’un bon nombre d’electeurs (un mauvais choix mais un choix quand même). Il témoigne d’une vivacité politique et se distingue d’une inertie symbolisée par l’abstention.
Parler de « Croire en la politique » c’est mélanger le champ du religieux et du politique. A l’instar de la publicité, la promesse non tenue se revele frustrante et désengage celui qui y a cru.
C’est de cette deception que se dégagent les caractèristiques d’un phénomène sociétal de résignation face à l’illusion. Vous parlez de prophétie auto-réalisatrice. Elle vient de là. Insinuer l’idée de « croire en la politique » ammène forcement au fatalisme et à la résignation dans le champ politique ( Donc au retour du religieux).
Pour aller plus loin, les caractéristiques de la démocratie representative, qui pousse à faire croire en un homme ou une femme providentiel, alimentent cette frustration, donc le fatalisme ambiant.
A l’inverse, la pratique politique, qu’elle soit associative, syndicale, institutionelle ou autre, tend à redynamiser l’idée qu’un autre monde est possible. Il y a là une supprematie de l’acte sur l’incantation.
By Jean-no on Mar 26, 2015
@Yohooo : la politique a un coût, elle réclame un investissement, de l’engagement. Et comme tout investisseur, le citoyen est bien forcé de se demander si le jeu en vaut la chandelle, on préfère par exemple voter pour un parti moyen qui fait 15% que pour un parti aux idées brillantes qui fait 0,015%, car on sait que le premier cas a plus de chances d’aboutir à un résultat. On s’engage dans une lutte syndicale ou sociale si on pense qu’elle pourra faire bouger des lignes. Etc.
Depuis quelques années, ou en tout cas c’est la perception que j’en ai personnellement, les élus ont peu d’ambition de changement, et ont une action qui alterne entre la simple gestion sans vision, la gestion de leur carrière individuelle (cf. tous les votes sur le salaire, le chômage ou la reconversion des députés… votés par eux-mêmes), et puis les grandes annonces symboliques avant tout destinées à convaincre les gens de les réélire : interdiction du voile, lois antiterroristes, etc. Est-ce que, en tant qu’électeur, je peux m’investir là-dedans et espérer améliorer les choses ? J’ai du mal à l’imaginer, et je ne vote donc presque que pour éviter les pires candidats d’obtenir du pouvoir. Néanmoins je ne suis pas obsédé par les promesses : je sais que le contexte change et fait évoluer les promesses…. En revanche je trouve le niveau d’ambition général assez faible, et je trouve plus intéressant de faire des choses bien, dans son coin, que d’investir son énergie dans des planches pourries. Je le déplore, parce que j’aurais envie, comme vous, d’y croire (mais oui, vous y croyez ! Une croyance n’est pas forcément religieuse/irrationnelle/surnaturelle, hein, ça veut surtout dire que l’on a confiance), mais je ne peux pas m’empêcher de penser que le système et/ou le contexte ne s’y prêtent plus vraiment, en tout cas dans le cadre des institutions de pouvoir.
Sur le rapport entre institutions politiques et religion, je vous recommande Comment pensent les institutions, par Mary Douglas, qui tord le cou à l’idée que la gestion de l’État serait, forcément, rationnelle.
By Yohooo on Mar 26, 2015
En fait, vous croyez que je crois :-)
Mais, non, je ne suis pas utopiste, mais pragmantique. Ce qui ne m’empêche pas d’avoir un idéal.
Merci pour la réfèrence ! En fait, je suis déjà convaincu que la gestion de l’état n’est pas rationelle. (la question est : « l’est-elle plus ou moins qu’une autre type de gestion ? »).
Pour le reste, il faudrait en discuter autour d’un verre. A l’occasion, peut-être… La prochaine fois que je passe sur Paris… Ou que vous passez sur Lille.
Cordialement,
Laurent
By Jean-no on Mar 26, 2015
@Yohooo si vous n’y croyez pas, c’est que vous voulez y croire, c’est exactement le principe de la foi : une croyance active ;-D