A view to a kill
décembre 26th, 2013 Posted in James Bond, Ordinateur au cinéma, Surveillance au cinémaA View to a Kill (rebaptisé Dangereusement vôtre en français, pour — j’imagine — récupérer un peu du succès de la série Amicalement vôtre, avec le même acteur), est le quatorzième épisode officiel1 des aventures de James Bond au cinéma. Sorti en 1985, ce film est un concentré de l’époque puisque la chanson-titre est interprétée par le groupe Duran-Duran, alors au faîte de sa popularité2, et la chanteuse Grace Jones, autre icone de l’époque, y tient un des rôles les plus importants du films, constamment vêtue de tenues extravagantes dessinées par Azzedine Alaia. L’informatique, qui est au centre du scénario, est aussi un sujet médiatique important au début des années 1980, avec l’éclosion de la micro-informatique qui fait entrer l’ordinateur dans les foyers et en fait un loisir.
C’est en 1984, année de production du film, que Bill Gates apparaît pour la première fois en couverture de Time Magazine, qu’IBM dévoile la seconde génération des ordinateurs personnels, les PC/AT — qui constituent toujours, trente ans plus tard, l’essentiel de la norme PC —, et qu’Apple commercialise son Macintosh, lui aussi resté un standard. Bien que l’époque soit celle de l’émergence du logiciel, les ventes de processeurs ont presque doublé entre 1982 et 1984, Intel a dépassé le milliard de dollars de revenus, et Motorola ne tardera pas à atteindre ce chiffre. C’est aussi en 1984 que le congrès américain a voté le Semiconductor Chip Protection Act, qui protège les schémas électroniques. La période n’est pas tout à fait rose pour l’industrie informatique, puisque le monde du jeu vidéo se trouve en plein marasme3, ce qui n’a pas empêché le film de faire l’objet de deux adaptations en jeu vidéo.
L’adversaire de James Bond dans A View to a Kill, Max Zorin, est un Whiz Kid, comme Bill Gates et Steve Jobs : il est jeune, sa fortune s’est constituée en quelques années, il est réputé supérieurement intelligent, et bouleverse l’économie de l’industrie informatique. Le rôle de Max Zorin a été proposé à David Bowie, Sting, et a finalement été interprété par Christopher Walken. Christopher Walken est né quelques années avant Bill Gates ou Steve Jobs, mais il semble très jeune dans le film, face à un Roger Moore de moins en moins crédible dans ce rôle qu’il abandonnera d’ailleurs à Timothy Dalton juste après ce film. Plus que dans les scènes d’action, où il est doublé par une quantité impressionnante de cascadeurs, c’est sans doute dans les scènes d’étreintes amoureuses avec de plantureuses espionnes qui pourraient être ses filles que Roger Moore embarrasse le spectateur.
Si James Bond s’intéresse à la société de Max Zorin, c’est parce qu’il a découvert en Sibérie une copie, réalisée par Zorin Industries, d’une puce capable de résister à une impulsion électromagnétique4. Zorin industries ne produit pas que des puces informatiques, mais prospecte le pétrole et entraîne des chevaux de course dont les performances exceptionnelles semblent suspectes. En fait, Zorin est lui-même le fruit des expériences médicales de Carl Mortner, un savant nazi qui injectait des stéroïdes à des femmes enceintes afin qu’elles donnent naissance à des enfants supérieurement doués. Son système n’allait pas sans inconvénients, car les rares enfants qui survivaient à l’opération s’avéraient psychopathes. Après guerre, pour échapper aux alliés, le docteur Mortner avait proposé aux soviétiques de continuer ses expérimentations pour leur compte. Max Zorin, mais aussi son garde du corps, la sculpturale May Day (Grace Jones), sont l’un et l’autre des monstres de sa création.
Zorin a été entraîné et financé par les Soviétiques, mais il échappe rapidement à leur contrôle pour suivre son propre but : s’octroyer le monopole du marché mondial des semi-conducteurs. Dans la première moitié du film, égaré dans le château de Chantilly où il inspecte le haras du magnat de l’informatique, James Bond a découvert une usine de processeurs et a compris que Zorin en faisait des stocks. On comprend pourquoi un peu plus tard. Dans une séquence très pédagogique, Max Zorin réunit des fabricants de processeurs du monde entier à qui il commence par rappeler que ces composants sont faits de silicium, c’est à dire de sable, mais que la modestie de ce matériau ne l’empêche pas de rapporter énormément d’argent, ce qu’il compare à la transmutation du plomb en or dont rêvaient les alchimistes. Il émet alors une proposition : en échange de cent millions de dollars par associé, il s’engage à faire disparaître la concurrence de la Silicon Valley, ce qui assurera au cartel le monopole mondial des processeurs et le rendra richissime. Ceux qui ne veulent pas participer au projet sont jetés à la mer, car la réunion a lieu dans un ballon dirigeable.
Pour supprimer la concurrence de la Silicon Valley, Zorin a un plan simple : détruire la totalité de la région de San Francisco en provoquant un séisme grâce à l’eau du lac de San Andreas, à un réseau de mines, à des explosifs et à ses propres stations pétrolières.
Il échoue, évidemment, et meurt à la fin du film.
L’intrigue de A View to Kill tourne autour de la production des microprocesseurs, mais on y parle finalement très peu d’informatique. Les rares détails montrés sont particulièrement peu soignés : pour qui a une idée des conditions de pureté de l’atmosphère des « salles blanches » où on fabrique les micro-processeurs, l’usine installée dans une étable que découvre James Bond est un peu risible.
On remarque un ordinateur Apple IIc5 chez la séduisante géologue Stacey Sutton.
Reste une séquence intéressante pendant laquelle Max Zorin, depuis son ordinateur, pilote une caméra pour capter l’image de James Bond et l’analyser dans le but de connaître sa véritable identité. Je ne me rappelle pas de beaucoup de films plus anciens que celui-ci qui aient fait une démonstration des technologies de reconnaissance faciale, devenues depuis un élément classique des fictions d’anticipation autant qu’un domaine de recherche et d’applications tout à fait réel.
Le thème de la surveillance informatisée intervient aussi avec un drone terrestre que manipule Q, le créateur des gadgets de James Bond. Il n’est utilisé dans le film que pour une démonstration dans le bureau de M, le chef des services secrets, au tout début, puis pour vérifier que James Bond est bien vivant, à la toute fin du film.
À titre anecdotique, le clip de la chanson, qui se déroule autour de la Tour Eiffel à Paris, mélange des images issues du film et des images du groupe Duran Duran, dont on voit un membre manipuler à distance une caméra vidéo volante.
Dangereusement vôtre n’est pas le James Bond le plus intéressant, son scénario est plein d’incohérences et d’incongruités, mais le couple de psychopathes formé par un Christopher Walken joueur et une Grace Jones brutale fonctionne assez bien.
- La série « canonique » des James Bond est produite par la société Eon depuis Dr No. Mais il existe des exceptions, comme les deux premières adaptations de Casino Royale (un téléfilm puis un film parodique) et Jamais plus jamais, qui est un remake semi-humoristique de Opération Tonnerre, par le même scénariste et avec le même acteur Sean Connery. [↩]
- Le groupe est devenu moins visible par la suite. Quelques semaines après la sortie du film, en interprétant la chanson A View to a Kill lors d’un concert de charité regardé par un milliard et demi de personnes, le chanteur Simon Le Bon a produit une spectaculaire fausse note qui semble avoir beaucoup coûté à son image et qu’il a vécu comme l’instant le plus humiliant de sa carrière. Sans que ce soit véritablement lié, le groupe d’origine, n’est plus apparu sur scène pendant plus de quinze ans après ce concert. A view to a kill n’est est pas moins la chanson tirée d’un film de la série James Bond qui aura remporté le plus grand succès international, devant Goldfinger, Live and Let Die, For your eyes only, Moonraker ou encore Skyfall. [↩]
- Le krach du jeu vidéo a duré de 1983 (l’année qui a suivi la sortie du jeu E.T., retenu comme symbole de la chute d’Atari et de la suprématie américaine) à 1985 (la sortie de Super Mario Bros, qui marque aussi le début de la domination japonaise : Nintendo, Sega, ). Il a entre autres été causé par le succès populaire de l’informatique personnelle. [↩]
- L’impulsion électromagnétique en anglais Electro-magnetic pulse (EMP) est un phénomène découvert à la suite des premières explosions atomiques, qui cause la perturbation ou la destruction des appareils électroniques, et interrompt les communications radio. On dit qu’un effet EMP peut ramener un pays entier à l’âge de pierre. C’est un classique de la science-fiction post-apocalyptique. Dans la série James Bond, l’EMP est aussi au centre du film GoldenEye. [↩]
- L’Apple IIc, sorti juste après le Macintosh, était un concurrent à ce dernier au sein de la même société. [↩]