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Télévision diabolique (1971)

octobre 11th, 2013 Posted in Écrans et pouvoir, Série, Vintage

Je me suis offert le luxe du coffret les inédits fantastiques, édité par l’Ina, qui contient des série ou des téléfilms méconnus de l’ORTF, aux thèmes science-fictionnesques ou fantastiques. La majorité des histoires sont des adaptations d’auteurs classiques : Jules Verne, Gaston Leroux, Gérard de Nerval, Franz Kafka, Maurice Allain et Pierre Souvestre, Marcel Aymé, Jan Potocki, Henry James, Honoré de Balzac et même Adolfo Bioy Casares1.

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On trouve aussi quelques créations originales, comme la mini-série Le voyageur des siècles (1971), amusante histoire dans laquelle un scientifique des années 1980 (le futur, au moment où est réalisé la série), profitant des travaux de son grand-oncle du siècle précédent, remonte le temps pour le rencontrer et part avec lui un siècle plus tôt encore, pour empêcher la Révolution française en donnant à Louis XVI de judicieux conseils de gouvernement et en enseignant au roi des technologies telles que le moteur à explosion ou la machine à coudre. En allant vérifier l’effet de leur manipulation de l’histoire quelques années plus tard, les deux hommes comprennent qu’ils ont fait plus de mal que de bien : les guerres sont plus meurtrières que jamais, la Révolution ne s’est pas déclenchée en France mais a conquis la Prusse, devenue belliqueuse. Ils cherchent alors à convaincre un petit commerçant en tissus nommé Napoléon Bonaparte de reprendre les rennes du pays. Mais ils abandonnent finalement cette idée et se contentent d’annuler leurs propre intervention sur le passé… Ce Retour vers le futur avant l’heure est plutôt charmant. Il est réalisé par Jean Dréville et écrit par Noël-Noël, deux hommes qui étaient eux-mêmes un peu « du passé » à la création de la série, puisqu’ils avaient commencé leur carrière des décennies auparavant, à l’aube du cinéma parlant.

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La deuxième création originale que j’ai visionné pour l’instant est la série La brigade des maléfices, qui date de la même année : 1971. Il s’agit d’une sorte de X-Files ou de Fringe imaginé par Claude-Jean Philippe2 dans lequel, lorsqu’elle est désemparée par un cas, la police fait appel à une brigade secrète qui n’est composée que de deux personnes : l’inspecteur Paumier (Léo Campion3), et son assistant Albert. Le premier épisode est une sombre histoire de fées que ne perçoivent que les rêveurs, les appareils photo, les caméras et les magnétophones. Des hommes, attirés par leurs charmes, disparaissent. Au terme de son enquête, l’Inspecteur Paumier explique que tous ces hommes disparus finiront par revenir d’eux-mêmes : fin de l’enquête !

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La Brigade des maléfices, épisode 4 : La Créature. Diablegris, de la société M.F.S.T.0., pousse un célibataire à lui donner son âme en échange d’une femme parfaite. Le diable est interprété par Pierre Brasseur, et sa victime, par Claude Brasseur, fils du précédent.

Dans le quatrième épisode, le diabolique Diablegris/Diablevert commercialise des femmes gonflables magiquement animées, qu’il fait passer pour des robots ménagers ultra-modernes, dont la beauté indifférente pousse les hommes au suicide. Un épisode à mon sens passionnant à décortiquer dans la perspective de l’histoire du statut des femmes et de ses mutations de l’époque, au même titre que Stepford Wives ou Ma sorcière bien-aimée.
Le sixième et dernier épisode parle quant à lui des grands changements urbanistiques : on y voit un fantôme du XVIIIe siècle qui hante une barre HLM et y souffre des problèmes d’insonorisation et de l’agressivité des voisins de palier.
Le ton général de la série est badin, la réalisation très molle et on peine à garder les yeux ouverts de bout en bout. On voit passer des visages familiers : Jacques François, Pierre et Claude Brasseur, Philippe Clay, Anny Duperrey, Pierre Vernier, Jean Luisi,…

Le fantôme du H.L.M.

La Brigade des maléfices, épisode 6 : Le fantôme du H.L.M.

Même s’il a de nombreux défauts, le second épisode, intitulé la septième chaîne, m’a particulièrement intéressé. En 1971, parler d’une septième chaîne relève de la science-fiction : la télévision française n’a alors que deux chaînes nationales et s’apprête, l’année suivante, à voir la naissance d’une troisième. C’est près de vingt ans plus tard, en 1989, que La Sept (pour Société d’éditions de programmes de télévision), future Arte, commencera à émettre.

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Dans un petit immeuble parisien, un jeune homme tue son épouse. Il accuse la télévision de l’avoir poussé à le faire, car il soupçonnait sa femme de le tromper avec un personnage d’un feuilleton diffusé sur une chaîne qui n’existe pas — la septième, donc. Très rapidement, la brigade des maléfices découvre que le poste de télévision du jeune couple a été loué à une société, Belzébor, dont le gérant est Diablevert/Diablegris, l’ennemi habituel de l’inspecteur Paumier. Interprêté par le légendaire Pierre Brasseur, Diablevert pratique des tarifs attractifs pour les jeunes mariés et leur propose un téléviseur qui capte une chaîne expérimentale. On ne connaît pas ses motivations, mais ses téléviseurs sont équipés d’une caméra. Chaque soir, Diablevert observe ses victimes et met en scène une émission symétrique. Les jeunes mariés mangent leur repas modeste face à un téléviseur qui leur renvoie une image améliorée de leur quotidien : des gens plus beaux, plus riches, plus distingués, qui se trouvent face à eux à faire les mêmes choses qu’eux : manger, se dire des gentillesses, s’offrir des cadeaux ou se disputer. Équipés d’oreillettes, les deux acteurs adaptent leur jeu et leurs répliques à ce que vivent leurs spectateurs au moment où ils le vivent. L’émission est un peu absurde (on y voir un couple qui mange, rien d’autre) mais sa manière de servir de miroir à la réalité semble fasciner ses spectateurs.

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Après quelques jours de ces émissions, la confusion entre le réel et la fiction s’installe. Dans l’émission, l’épouse fait une description précise de la femme avec qui elle soupçonne son mari de la tromper, or cette description est le portrait exact de la jeune télespéctatrice qui se trouve devant le poste, Marie, laquelle, attirée par un cadeau que lui faisait la maison Belzébor, était justement rentrée en retard chez elle ce jour là, amenant son époux Antoine à de sombres soupçons. Antoine sort alors son fusil, mais Cette fois, prévenue de ce qui allait advenir par l’inspecteur Paumier, qui était parvenu à entrer en contact avec le couple d’acteurs, la police entre dans le studio de télévision de Diablevert et interrompt l’émission, qui était tournée en direct, en s’adressant, face caméra, au jeune couple, et en leur disant qu’ils ont été manipulés. La catastrophe a été évitée de peu, car le commissaire Muselier — le personnage sceptique de la série — refusait de faire intervenir ses hommes, non parce qu’il n’avait pas confiance en Paumier, mais parce qu’il ne voulait pas rater son feuilleton à la télévision. Lorsque l’on cherche Diablevert, il a disparu4.

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Malgré une réalisation médiocre, ce scénario contient les germes d’une féroce critique des médias : face à une réalité magnifiée, les téléspectateurs délaissent une vie quotidienne qu’ils jugent décevante en comparaison, et en viennent à la violence. On ressort du visionnage avec l’impression fort curieuse d’avoir vu un « mashup » absurde du Vidéodrome de David Cronenberg et des plus poussifs épisodes de la série ORTF Les brigades du tigre.

Bien que diffusée en plein été, La Brigade des maléfices semble avoir connu un grand succès en son temps et mériterait à mon avis d’être reprise aujourd’hui, avec des standards de réalisation et de scénarisation un peu plus élevés.

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On dit facilement que les auteurs ou le public français sont « cartésiens », ne sont pas portés vers la science-fiction et le fantastique, mais le nombre d’œuvres qui ont été produites dans ces domaines et qui sont à redécouvrir contredisent ce poncif.

  1. Pour l’invention de Morel, évidemment. []
  2. Claude Jean-Philippe, acteur, réalisateur, producteur, est notamment connu pour avoir animé le ciné-club de France 2 de 1971 à 1996. []
  3. Léo Campion a été caricaturiste, acteur et chansonnier. Anarchiste, Franc-maçon et fondateur de la confrérie de tastefesse, il a été le premier objecteur de conscience en Belgique en 1933, avec son ami Hem Day, au cours d’un procès très médiatisé… Qui a abouti à leur renvoi d’une armée à laquelle ils ont été jugés indignes d’appartenir puisqu’ils la refusaient. []
  4. Notons que Pierre Brasseur est mort l’année suivante, en 1972. []
  1. One Response to “Télévision diabolique (1971)”

  2. By renaud on Oct 13, 2013

    à lire en complément le très complet Merveilleux, Fantastique et Science-fiction à la télévision française de Jacques Baudou et Jean-Jacques Schleret aux éditions 8e Art. On le trouve sur des sites d’occasion pour une cinquantaine d’euros.

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