Quelque part
juillet 28th, 2013 Posted in InteractivitéC’est l’été, on peut jouer !
Geoguessr est un jeu très astucieux qui s’appuie sur Google Street view. Le principe est simple : quand le jeu démarre, on découvre un paysage. À nous de circuler dedans pour essayer de nous localiser. Une fois le lieu trouvé, on l’indique sur la carte du monde qui se trouve à droite dans l’écran.
Le joueur est un peu comme les personnages de certaines séries télévisées comme Code Quantum, Sliders ou The Time Tunnel, dont les héros sont projetés à un endroit, dans une époque et dans une situation qu’ils doivent tenter de deviner.
Ce qui m’aide le plus, je pense, c’est la végétation, preuve que si je ne me suis jamais éloigné du méridien de Greenwich et si je ne suis jamais allé plus au Nord que le bas de la Norvège et plus au Sud que le Nord de la Méditerranée, les sources indirectes dont je dispose (cinéma, télévision, photographie) me donnent une idée du monde qui n’est pas absurde.
Parfois, c’est assez simple, on atterrit en face du musée national de tel ou tel pays, il n’est pas difficile de se localiser. Parfois, on dispose de moins d’indices :
On apprend rapidement à s’aider de tous les indices possibles : végétation, topographie, sens de conduite des véhicules, enseignes de restaurants, publicités, et bien entendu, panneaux de signalisation divers, qui peuvent être écrits dans un alphabet asiatique, en hébreu ou en cyrillique,…
Le monde tel que le connaît Google Street View est encore bien incomplet : la plus grande partie de l’Afrique, la Chine ou les pays arabes manquent, et certains pays comme la Corée du Sud, l’Inde, le Brésil, le Chili, l’Australie, ne sont couverts que partiellement.
La partie se joue en cinq lieux. Pour chacun, on obtient un score qui dépend de la distance entre le lieu à identifier et le lieu qui a été pointé sur la carte. Mon record est 31662 points, mais j’ai été battu par Nathalie, avec 32009 points (on peut tenter de la battre avec la même sélection en cliquant ici) et par Vincent, avec 32387 points. On peut corser le jeu en se posant des défis qui limitent la durée d’exploration des images.
Parfois, on tombe juste au mètre près. Parfois, découragé par d’interminables routes monotones et dénuées d’indices, on finit par cliquer au hasard : si le pays est l’Australie, le Canada ou les États-Unis, on peut s’être trompé de plusieurs milliers de kilomètres.
Présenté il y a deux mois par Anton Wallén, un jeune développeur suédois, Geoguessr est aussi simple qu’efficace.
Au delà du défi, ce jeu fait véritablement voyager, découvrir des paysages avec la vigilance qu’imposent les conditions ludiques. Impossible d’échapper aux trajets, parfois laborieux en revenant au mode « carte » de Google maps.
Tout cela me rappelle un travail de ma collègue et amie Gwenola Wagon, intitulé Globodrome, pour lequel elle a refait, sur Google Earth, le trajet de Philéas Fogg et de son serviteur Passepartout dans Le Tour du monde en quatre-vingt jours, de Jules Verne.
Elle rend compte de son voyage virtuel — qui a duré bien plus de quatre-vingt jours — par un livre et une vidéo.
Comme Jules Verne, Gwenola a parcouru le monde depuis son fauteuil, à l’aide de cartes et de photographies. Mais contrairement à Philéas Fogg et Passepartout, elle n’a rencontré personne au cours de son exploration.
Et c’est ce qui manque, bien entendu, dans Geoguessr : on y est bien seul, car si l’on croise des humains, ces derniers ne disent rien et ont le visage « flouté », ce qui en fait des sortes de spectres muets, parfois curieusement animés par les séries de photographies qui ont été prises d’eux.
La vision du monde que Google construit peu à peu, à force d’enregistrer des données photographiques notamment, parvient tout de même à interroger et peut-être à construire notre rapport au monde. Je me souviens avoir montré Google Earth à mon beau-père Franko, un jour. Rien n’était plus éloigné de lui que l’ordinateur ou Internet, je pense même qu’il n’a jamais eu la moindre idée de ce à quoi ces technologies pouvaient servir. Mais en survolant son propre village et les îles environnantes, en retournant par l’image dans des lieux qu’il avait arpenté physiquement, il m’a semblé intéressé, troublé, ému, ou quelque chose du genre.
6 Responses to “Quelque part”
By abelthorne on Juil 29, 2013
Dans un genre similaire, il y a Pursued (http://pursued.nemesys.hu/), qui rajoute un vague contexte narratif (enlevé par des inconnus, on réussit à s’échapper et on doit deviner où on se trouve en un temps limité). C’est plus urbain et plus facile puisqu’il suffit d’entrer le nom de la ville à deviner plutôt que de situer l’endroit approximativement sur une carte du monde.
By Christophe D. on Juil 29, 2013
Ça aurait été bien d’avoir un bonus point lorsqu’on trouve le bon pays. Génial, sinon !
By frth on Juil 30, 2013
Cela me fait penser à la devinette de l’émission Karambolage sur Arte: un plan fixe de 30 secondes est montré, et il faut déterminer s’il a été tourné en France ou en Allemagne, en trouvant des indices dans l’image. Mais l’on ne peut (évidemment) pas se déplacer, et il n’y a pas à retrouver précisément l’emplacement…
By Bishop on Juil 31, 2013
Je fais mieux que Vincent de deux points.
32389.
Je peux mourir en paix.
http://t.co/mgGqriBUia
http://nimga.fr/f/WgdxX.jpg
By Jean-no on Juil 31, 2013
@Bishop : impressionnant.
By Passepartout on Août 3, 2013
Merci pour ton post « Quelque part », je ne connaissais pas ce jeu et je me suis bien amusée! et c’est toujours un plaisir de lire ton blog.
Juste une remarque par rapport à ta phrase dans ton post sur Globodrome:
« Mais contrairement à Philéas Fogg et Passepartout, elle n’a rencontré personne au cours de son exploration. »
J’ai récolté beaucoup de vidéos avec des êtres humains et on peut en voir dans le film, de danseurs de jump style à des Call Girls en passant par des musiciens et chanteuses et des animaux… j’ai l’impression d’avoir rencontré beaucoup de monde paradoxalement presque trop. Mais j’ai voulu montrer une planète entière (pari impossible) en passant par une trajectoire.
Pour transmettre un état du monde : le Globe est devenu le personnage principal, pris pour lui même (avec une enquête elliptique au milieu du film sur l’origine de cet outil) et j’ai cherché diverses informations pour l’ausculter, il m’a semblé que pour faire cet état des lieux de la planète, il était pertinent de chercher une vision d’ensemble et c’est ainsi que j’ai lu les 80 jours de Jules Verne. Les personnages étant tirés vers l’abstraction ; ils servent de « curseur », Fileas Fogg devient un automate/ une horloge, son domestique un esclave, qui aujourd’hui pourrait être un drone ou du robot, et les autres sont souvent des prétextes, sa princesse un appât colonialiste pour décrire l’Inde et le trajet des Etats-Unis une trame idéale pour aborder les dernières inventions techniques et les mœurs de cette contrée. Jules Verne ébauche une pré-analyse de la voie accélérant la mondialisation et l’industrialisation des techniques et des savoirs, voie qui est encore aujourd’hui le symbole majeur des échanges à travers la planète. Et il me semble que la question de la rencontre, de l’humain et de sa présence est déjà abordée du côté de l’automatisme, de la vitesse, de la prédilection à une industrialisation très forte, de la course au progrès, de la machine broyeuse qui transforme l’être humain en rouage. Il me semble que les humains des 80 jours de Jules Verne ont déjà basculés plus ou moins du côté du posthumain, de leur absence ou de leur aliénation.
Une internaute refaisant ce tour du monde pourrait s’intéresser aux relations humaines en activant d’autres calques, des messages, des photos, des vidéos postées par des humains, leur écrire, faire des rencontres, etc. Dans ce feuilletage du monde exponentiel, il y aurait autant de tours du monde, que d’être humains possibles.
Pour ma part, il s’agissait d’enquêter sur la disparition (probable d’un monde tel que je l’avais / idéalisé / fantasmé) de la disparition (des messages d’alertes prévenant de la dite disparition), car les informations récoltées se sont depuis transformées. Les vues désertiques de Street View rendaient compte de la problématique que j’essayais d’aborder : à savoir en quoi cette route du 19e siècle peut elle aider à comprendre notre appréhension du 21e siècle et en particulier les dérives et les fascinations actuelles.