Profitez-en, après celui là c'est fini

Les artistes sont-ils de sales types ?

juin 1st, 2013 Posted in Au cinéma, L'art et moi, Les pros
« L’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art »
Robert Filliou

kechiche

(avertissement : ce billet traite d’un sujet sensible et hautement polémique, si vous souhaitez intervenir en commentaire, faites l’effort de le lire vraiment)

Il y a eu beaucoup de remous autour du cas d’Abdelatif Kechiche ces derniers jours. Je considère personnellement l’auteur de La faute à Voltaire, L’Esquive et La Graine et le mulet1 comme une des plus grandes personnalités du cinéma français d’auteur, un de ces artistes qui font qu’on se remet à croire au cinéma, et il n’en naît pas un tous les jours. Je ne suis pas le seul à avoir de l’estime pour son travail, puisque Kechiche vient d’obtenir la Palme d’Or du festival de Cannes pour sa Vie d’Adèle, film inspiré par la Bande dessinée Le bleu est une couleur chaude, de Julie Maroh. Même si son cinéma aborde des sujets « sociaux » (immigrés vieillissants, sans-papiers, cités, injustices sociales, éducation, racisme, homosexualité), Kechiche refuse toujours de produire des pensums militants et affirme presque chaque fois que ce n’est pas son sujet. Il n’est pas bête : on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre, donc on n’édifie pas les spectateurs à coup de leçons pontifiantes et de généralités faciles. Ce qui n’empêche pas le réalisateur de savoir faire du mal : si une situation est insupportable pour un protagoniste du film, elle peut devenir insupportable à l’image pour son spectateur, par l’insistance avec laquelle elle est montrée. Je pense par exemple à l’attente de la semoule le jour de l’ouverture du restaurant dans La Graine et le mulet : le spectateur subit physiquement la même angoisse que les personnages concernés. Mais c’est comme ça, le bon cinéma, on ne doit pas quitter la salle repu de bons sentiments ou défoulé d’avoir suivi Bruce Willis dans ses cascades ou détendu d’avoir ri, mais rester avec des questions, des émotions, des sensations qui persisteront des jours, des semaines ou des années. Ce genre de cinéma peut être une épreuve, et c’est pour ça qu’on a toujours plus de mal à se décider à regarder un film « important », dont on sait qu’il va nous demander un investissement émotif ou intellectuel, qu’un film plus modeste2.

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Aure Atika et Sami Bouajila, dans La Faute à Voltaire (2000).

La nouvelle qui est tombée ces jours derniers, c’est qu’Abdelatif Kechiche est quelque chose comme un sale type. Il traite les techniciens qui travaillent sur ses films comme des chiens (sous-payés, soumis à des cadences impossibles et à des changements de dernière minute — plus d’un a démissionné en cours de route) et a été jusqu’à projeter La vie d’Adèle sans générique, donc en niant de facto l’existence de tous ceux qui ont participé à sa consécration3, y compris Julie Maroh, dont l’œuvre a servi de point de départ au scénario. On a aussi pu lire le témoignage d’un producteur traumatisé par son expérience avec Kechiche à ses débuts de cinéaste, qui disait en substance qu’il préfère être spectateur de ses films que de participer à leur création4. Il semble qu’il n’ait de considération que pour une catégorie de personne : les acteurs. De plusieurs amis (et de mon frère) qui ont travaillé pour le cinéma, je sais que les techniciens acceptent plus volontiers de faire des sacrifices lorsqu’ils savent qu’ils travaillent à un film d’un réalisateur important que lorsqu’ils participent à un épisode d’une mauvaise série télévisée. C’est en effet gratifiant pour eux d’une autre manière : d’une part cela fait des lignes « qui en imposent » sur un curiculum vitae, et d’autre part il y a la satisfaction personnelle d’avoir eu sa part dans une œuvre qui compte. Alors si les techniciens d’un des réalisateurs les plus importants, les plus primés, se plaignent bruyamment d’un réalisateur, c’est que de leur point de vue, le tournage s’est mal passé, parce que les sacrifices exigés ont dépassé la mesure et parce qu’ils se sont sentis négligés, méprisés, ou quelque chose de ce genre. Il peut y avoir un problème de changement d’échelle, aussi : depuis L’Esquive, les budgets et la taille des équipes d’Abdelatif Kechiche ont bien changé, les enjeux et les rapports humains sur le plateau aussi, sans doute.
Les techniciens malheureux de La Vie d’Adèle survivront à leur aventure et auront même gagné quelque chose de précieux : une légende, celle d’avoir travaillé sous les ordres d’un réalisateur-tyran, d’un saint qui parle d’injustices sociales dans ses films mais qui dans le même temps exploite ses employés comme le plus impitoyable gérant de sweatshop bengladais et qui serait même allé jusqu’à faire un festin d’huîtres et de champagne avec ses actrices devant le reste de l’équipe du film, affamée5. Rien n’est plus précieux qu’une belle histoire à raconter jusqu’à la fin de sa vie.

cannes

La réaction de Julie Maroh, sur son blog, est extrêmement intéressante et d’une grande maturité. Elle parle avec un pudique pincement au cœur de la manière dont elle a été mise de côté pendant la production du film et jusques à la montée des marches sur le tapis rouge de Cannes. Elle a même été oubliée dans remerciements du réalisateur6. Mais cela ne l’empêche pas d’être visiblement fière d’avoir été à l’origine de cette réussite artistique, et même de comprendre que, pour que ce qui était son récit à elle devienne un bon film par un autre qu’elle, il fallait accepter de s’en séparer. Et c’était une bonne idée puisqu’elle a aimé ce film, qu’elle y a même trouvé des choses à elle, et qu’elle n’émet finalement qu’une réserve, concernant la scène d’amour. J’attends de voir le film pour en penser quelque chose, mais je ne suis pas spécialement étonné à l’idée que cette scène soit ratée, non pas parce que l’auteur et les actrices ne sont pas des lesbiennes, comme on l’a parfois lu, mais surtout parce que la sexualité est presque forcément ridicule au cinéma : comment montrer depuis une perspective extérieure, distanciée une activité intime ? Comment empêcher le spectateur de devenir un voyeur, un curieux ? On peut filmer le désir, qui se partage (et c’est même une des grandes réussites de l’histoire du cinéma), mais filmer le plaisir, c’est autre chose, de même que (on me pardonnera, j’espère, ce parallèle douteux), il est plus intéressant de filmer la préparation d’un repas7 que de filmer des gens en train de mettre des aliments dans leur bouche, images qui peuvent même provoquer une situation de malaise chez le spectateur — en parlant de Kechiche, d’ailleurs, je connais plusieurs personnes qui sont sorties de la salle pendant la scène de dégustation familiale de couscous. Enfin ça peut marcher (manger ou faire l’amour), s’il y a en plus un fort sentiment. Du désespoir, par exemple.

La Faute à Voltaire

La Faute à Voltaire

Partons du principe que le reproche qui est fait à Abdellatif Kechiche — être d’un grand égoïsme — est tout à fait fondé, que faire ? Certains appellent au boycott, ou en tout cas refusent de cautionner le film, comme Matthieu Poirot-Delpech, co-président de l’Association française des directeurs de photographie cinématographique qui écrit : « Il y a des films qu’on aimerait tant pouvoir aimer… Je ne verrai pas La Vie d’Adèle ».
Bien, mais doit-on conditionner son appréciation d’une œuvre aux conditions de sa réalisation ? En tant que spectateur, très égoïstement, c’est l’œuvre seule qui m’intéresse. Et il n’a jamais été dit nulle part qu’une œuvre d’art importante doive être le fait d’un auteur gentil, d’un auteur qui veut faire plaisir aux gens avec qui il travaille. Il semble même que certains artistes s’occupent de leur œuvre aux dépens de toute considération pour autrui et même souvent, pour eux-mêmes. Ce n’est pas une fatalité, mais ce n’est pas rare. Dans de nombreux cas j’ai même peur que l’égoïsme soit consubstantiel de la capacité à créer, à la fois parce qu’une œuvre importante occupe presque chaque instant de la vie de son auteur, et parce que l’artiste a un statut spécial, qu’on a tendance à le placer au dessus du commun des mortels. Je sais que c’est un cliché, mais il dure depuis Giotto, c’est à dire depuis sept siècles, quand l’artisan, jusqu’ici au service d’une œuvre commune — la cathédrale —, a commencé à signer son travail de son nom, à avoir un style à lui, à s’affirmer comme auteur.

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L’Esquive (2004)

Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Jean Gimpel avec son Contre l’art et les artistes, sorti en 1968, qui raconte l’histoire du statut social de créateur et qui constitue un réquisitoire assez impitoyable envers l’immodestie de l’artiste8. En fait, ce livre fait partie des raisons directes qui font que j’ai abandonné l’idée de devenir moi-même un artiste, du moins si « artiste » est traité comme un substantif (« le métier d’artiste »), car je prends volontiers à mon compte l’adjectif (« il ne repasse jamais ses pantalons, il est un peu artiste »).
Chez certains artistes — je ne dis absolument pas que c’est le cas de Kechiche —, on a même l’impression d’une opération de transfert, de vases communicants. On a par exemple vu des humoristes brillants qui, dans leur vie de chaque jour étaient sinistres ; des auteurs qui faisaient preuve d’une grande humanité dans leur production mais qui s’avèrent mesquins, pingres, ou tyranniques au quotidien ; des orgueilleux à l’œuvre humble ; des spécialistes du grand amour éternel en littérature, coureurs de jupon dans la vraie vie ; des vaniteux à l’œuvre profonde ; etc.9, comme si l’artiste investissait certaines qualités humaines dans son art pour s’en dispenser dans l’existence. Attention, je ne dis pas que les choses se passent comme cela tout le temps, ni même souvent, mais que c’est l’impression que l’on a parfois.

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Electroma (2006), par Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo.

Les médias d’information aiment plus que tout personnifier les choses, et notamment l’art : un livre doit avoir un auteur (même si l’éditeur a effectué un travail considérable), un film doit avoir un réalisateur (même si le scénariste ou le producteur pèsent parfois autant sinon plus sur le résultat), un groupe de musique pop est représenté par son chanteur (même si ce n’est pas vraiment lui qui chante), etc. Ce n’est pas neuf, ça date des prémices de la Renaissance (je vous renvoie à Jean Gimpel, cité plus haut), mais ce qui prend une ampleur nouvelle, sans doute, c’est que de nombreux autres faits sociaux sont personnifiés : la « manif pour tous », c’est Virginie Tellenne, dite Frigide Barjot ; La canicule de 2003 a le visage de l’urgentiste Patrick Pelloux ; et telle grève, telle faillite, tel scandale financier, telle découverte scientifique, se voient attribuer un visage, parce que c’est ainsi qu’on traite l’actualité. Depuis l’émission Big Brother (1999), la télévision a même prouvé qu’elle pouvait donner une importance à des visages, à des personnes, qui ne représentent rien de particulier, sinon le fait d’être montrés avec insistance par une caméra.

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Electroma

Pour des raisons politiques (le refus de l’art bourgeois,…), et peut-être en réaction à l’importance de la médiatisation, de nombreux créateurs ne se reconnaissent plus dans la figure de l’artiste « surhomme ». Depuis la fin des années 1960, au moins, de nombreux créateurs ont voulu revoir cette position sociale de l’artiste en tant qu’être d’exception, et cette question me semble être revenue avec l’art sur Internet, qui échappe, aux « règles de l’art » telles qu’elles sont définies par les institutions, par le marché et par l’opinion publique, et où les créations peuvent être collectives, participatives, et être amenées au public selon des modalités nouvelles telles que les licences « libres ». Le rejet du savoir-faire (ready-made ou procédés de création automatisée comme le dripping ou, plus récemment, les générateurs logiciels) n’est certainement pas sans lien avec la question.
Avec Internet, les professionnels et les amateurs se trouvent parfois en compétition et à égalité. Beaucoup d’observateurs minimisent le phénomène et rappellent que le nombre d’artistes découverts sur le réseau est plutôt réduit, que ceux-ci sont rapidement intégrés au circuit professionnel « normal », quand ils n’en émanent pas au départ.

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Dans le film Electroma (2006), les Daft Punk veulent devenir humains et se font poser des visages. Ils suscitent le rejet et l’incompréhension des autres robots.

Un mouvement comparable a eu lieu avec la musique électronique, où dans de nombreux cas les pochettes de disques sont devenues graphiques, abstraites, évocatrices, et où on a cessé de mettre en gros plan le visage d’un chanteur ou d’une chanteuse, associé à son nom. De nombreux vidéo-clips de musique électronique ne mettent pas l’artiste en avant, ou bien (je pense à Aphex Twin) d’une manière qui ridiculise l’idée même de personnifier la musique. Certains artistes n’ont pas de visage du tout, comme les Daft Punk qui se cachent derrière leurs casques de robots. Parfois même on ignore qui crée vraiment puisque les musiciens, les producteurs, les artistes dont on a « samplé » le travail et les machines elles-mêmes sont, de fait, co-auteurs. Parfois même le graphiste d’un label ou l’auteur du clip peuvent être considérés comme co-auteurs, au sens ou sans eux, le disque serait différent. Les créateurs existent toujours, mais ils se cachent, modestement, derrière diverses strates et au final, seule compte l’œuvre.

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La tentative de devenir « humain » des Daft Punk s’avère de toute façon vaine, leurs traits se déforment sous l’action du soleil et ils fondent littéralement.

Je ne sais pas quel sera le futur de l’artiste en tant que statut social, mais on peut imaginer que cette tendance qui consiste à refuser de se placer sur un piédestal, à refuser de tracer une frontière indépassable entre l’artiste « au sommet » et le spectateur « éponge absorbant passivement tout ce qui lui est donné », pour reprendre une formule de Brian Eno10 se poursuivra. Le besoin de créer existe en chacun de nous, et l’école, la famille, la cruauté des carrières d’artistes, l’exigence de qualité et enfin l’idée qu’on est artiste ou non-artiste, ne semblent avoir pour but que de décourager le plus grand nombre d’oser inventer, gribouiller11, fredonner, écrire. Il ne faut pas se laisser faire.

  1. Je ne cite pas Vénus Noire, qui est à ce jour le vrai échec critique et public de l’auteur, car je ne l’ai pas vu. La Faute à Voltaire, par ailleurs, n’a pas la maturité des deux films suivants, c’est un premier film, après tout, mais il n’en est pas moins hautement regardable. []
  2. J’entendais à la radio le philosophe Pierre-Damien Huyghe dire, en substance, que le cinéma qui nous reste en mémoire est fait d’œuvres qui se sont (je me souviens de l’expression exacte) « dégagées du divertissement ». Je ne suis, malgré ce que j’ai dit plus haut, pas tellement d’accord avec cette formulation qui fait du divertissement une sorte de handicap dont il faudrait s’émanciper. Or rien n’est plus facile que de faire un film non-divertissant. De plus, le cinéma dit « de genre » a une capacité extraordinaire à s’imprimer sur les rétines ou dans les consciences, et ce en touchant parfois un nombre incroyable de spectateurs. Si je devais essayer de faire une distinction (mais je trouverai rapidement moi-même les exemples qui me contrediront, si j’y réfléchis deux secondes), je dirais que dans le bon cinéma, le film ne se termine pas avec la fin de la projection, il reste un « dossier en cours », comme on dit dans les administrations. []
  3. Il y a une raison à cette absence de générique : le film a été sélectionné pour le festival alors que son montage n’était pas encore achevé. Mais il n’en reste pas moins que le film a eu priorité sur le générique, et ça ne signifie pas rien. Bien sûr, l’auteur ne voulait pas rater sa première sélection à Cannes, surtout après l’échec critique et public de Vénus noire. []
  4. Jean-François Lepetit, cité par Le Monde, le 13/05/2013 : «J’aime beaucoup le travail d’Abdellatif. Mais je préfère cent fois payer ma place pour aller voir ses films, plutôt que d’avoir affaire à lui. Je travaille dans la production depuis trente ans. Avec Abdel, je n’ai jamais vécu quelque chose d’aussi douloureux». []
  5. L’histoire des huîtres semble être apocryphe, c’est du moins ce que dit un récent article paru sur le site des Inrockuptibles. []
  6. Le bleu est une couleur chaude, de Julie Maroh, est la première bande dessinée dont l’adaptation a été primée par la palme d’or à Cannes. Je me demande si cette origine « impure » ne constitue pas à présent une gêne pour le réalisateur du film, qui préfère qu’on n’en parle pas trop, car la bande dessinée n’est pas un art « noble » (je vous renvoie à mon livre Entre la plèbe et l’élite). []
  7. Il existe de formidables films sur la nourriture : Salé sucré de Ang Lee, Tampopo de Jūzō Itami ou Le Festin de Babette de Gabriel Axel, par exemple. []
  8. Gimpel n’hésite pas à citer le début de Mein Kampf, dans lequel Adolf Hitler se présente comme un artiste non pas pour son œuvre mais pour son tempérament. Je m’en étais inspiré pour écrie, pour Scientists of America, un article intitulé 95,6 % des dictatures pourraient disparaître grâce à un meilleur enseignement de l’art. []
  9. Ce qui me rappelle L’Épine dans le cœur, de Michel Gondry, joli documentaire sur la tante du réalisateur, une institutrice qui a laissé le meilleur souvenir à ses élèves mais qui n’a jamais réussi à avoir des rapports satisfaisants avec son propre fils. []
  10. Interview dans le magazine Obsession #11, été 2013, trouvé dans un train. []
  11. On m’a rapporté qu’en France il arrivait que l’on note les dessins dès l’école maternelle ! []
  1. 34 Responses to “Les artistes sont-ils de sales types ?”

  2. By sylvia on Juin 1, 2013

    Depuis que je suis adulte, j’ai compris que j’étais passée à côté de ma part artistique par manque de narcissisme. Je te rejoins donc sur ta conclusion.

  3. By Vankeerberghen Laurette on Juin 1, 2013

    Merci pour cette phrase, tout particumièrement… « … je prends volontiers à mon compte l’adjectif (« il ne repasse jamais ses pantalons, il est un peu artiste »)… »

  4. By Nicolas on Juin 1, 2013

    Concernant les plaintes des techniciens et des salariés qui ont bossé sur le Kechiche, il est important de préciser le contexte actuel : le monde du cinéma se déchire en ce moment au sujet de la nouvelle convention collective qui doit encadrer d’avantage la profession (minima salariaux, heures supp, travail de nuit…). Les distributeurs, les techniciens et leurs syndicats (comme le Spiac-Cgt qui relaie les plaintes des collaborateurs de Kechiche) ont signé cette convention. En revanche, les producteurs indépendants comme Wild Bunch (qui produit le film de Kechiche) s’y opposent violemment car, à leurs yeux, elle va rendre leur travail impossible.

    Les problèmes qui ont peut-être eu lieu sur le tournage de La Vie d’Adèle se posent régulièrement sur tous les petits/moyens films. Les syndicats auraient eu tord de se priver de la publicité permise par une palme d’or…

  5. By Jean-no on Juin 1, 2013

    @Nicolas : ils ont commencé à faire du bruit avant la Palme, mais la présence de Kechiche à Cannes était de toute façon une occasion suffisante. J’avais oublié la question de la fameuse convention collective et de la protestation des auteurs de « petits » films (me souviens de Maïwen, notamment), ou encore de la question des acteurs surpayés, tout ça est sans doute complètement lié, enfin s’inscrit dans des débats internes au très étrange milieu du cinéma.

  6. By Wood on Juin 1, 2013

    « Les techniciens malheureux de La Vie d’Adèle survivront à leur aventure et auront même gagné quelque chose de précieux : une légende, celle d’avoir travaillé sous les ordres d’un réalisateur-tyran, d’un saint qui parle d’injustices sociales dans ses films mais qui dans le même temps exploite ses employés comme le plus impitoyable gérant de sweatshop bengladais et qui serait même allé jusqu’à faire un festin d’huîtres et de champagne avec ses actrices devant le reste de l’équipe du film, affamée5. Rien n’est plus précieux qu’une belle histoire à raconter jusqu’à la fin de sa vie. »

    Tu n’as pas l’impression, que ça fait un peu condescendant de dire ça ? Moi ça me choque, et venant de toi, ça me déçoit un peu.

    Sinon c’est loin d’être la première fois qu’un artiste exceptionnel s’avère être un type infect. L’exemple qui vient tout de suite à l’esprit est Louis-Ferdinand Céline. L’art de dissocier l’œuvre de l’artiste n’a rien de nouveau.

    Sinon c’est amusant que tu commences par dire que tu attends de voir la scène d’amour avant de donner ton opinion, pour ensuite donner ton opinion quand même (laquelle va l’encontre de celle d’une personne qui a effectivement vu la scène). Ça porte un nom, ce genre de figure de style ?

    Bon désolé si je suis un peu brutal, mais je te trouve un peu présomptueux dans cet article, contrairement à tes habitudes.

    Ah oui, et un autre grief envers Kechiche : être allé s’incruster en tête de cortège d’une manif sans prévenir l’organisation, qui l’a plutôt mal pris quand elle s’en est rendue compte.

  7. By Jean-no on Juin 1, 2013

    @Wood : Condescendant ? Non, c’est pas l’esprit, j’ai vu mon frère et son équipe bosser sur des productions impossibles, s’arracher les cheveux, mais un film ça ne dure pas longtemps, et une fois que c’est passé, ça fait des souvenirs et des trucs à raconter : ah, G.D. dont les caprices faisaient finir la journée à minuit mais qui était toujours volontaire pour déboucher son vin avec les techniciens ; et J.D., qui mettait ses amendes sur le compte de la prod et qui plaçait toute sa famille à des postes fictifs alors que l’équipe était en sous-effectif ; etc.
    Je ne sais pas si Céline est une démonstration que l’art se dissocie de l’œuvre, sa misanthropie est perceptible dès ses premiers écrits, non ?
    Sur la scène d’amour, je n’ai pas dit ce que je pensais de cette scène d’amour là puisque je ne l’ai pas vue, mais de mes réserves vis à vis des scènes de ce genre en général. Du coup je vois mal comment je pourrais dire le contraire de Julie Maroh !?
    Je n’ai pas repris l’histoire de la manif, je la trouve un peu anecdotique, et pour le coup, si un cinéaste demande la permission dans ce genre de cas, alors ce n’est plus le même film, c’est du même ordre que lorsque Michael Bay laisse un droit de regard à l’armée américaine. Sachant que Kechiche n’a pas une intention malveillante particulière, je ne comprends pas bien le reproche (d’ailleurs je l’ai dit en commentaire sur la page en question).

  8. By Wood on Juin 1, 2013

    Et bien tu fais un peu du mansplaining, pour le coup. Julie Maroh explique pourquoi, de son point de vue de Lesbienne, cette scène est ratée, et toi tu arrives en disant : « mais non, c’est pas ça, moi qui n’ai pas vu le film je vais t’expliquer pourquoi en fait cette scène est ratée ».

    Et pareil pour les techniciens du film, tu n’y étais pas, mais manifestement tu sais mieux qu’eux ce qu’ils ont ressenti, et tu balaies d’un revers de manche leurs expériences, en disant : « ah, mais ça vous fera des souvenirs. Je sais bien comment ça se passe, je n’y étais pas, mais mon frère fait du cinéma. » Ton frère est-il aussi un petit tyran ? Qualifierais-tu son comportement de « harcèlement moral » ? Les techniciens sont sûrement habitués aux bricolages de dernière minute, aux horaires décalés, aux conditions extrêmes. Pour qu’ils donnent de la voix sur ce tournage-là en particulier, c’est qu’il doit bien s’y passer quelque chose de différent.

    Donc oui, ce n’était peut-être pas ton intention, mais le ton de ce passage est bel et bien condescendant.

  9. By James on Juin 1, 2013

    C’est cette histoire de convention collective qui m’a permis de comprendre pourquoi je ne comprenais pas ta position :

    Tu défends une démarche artistique avant tout.

    Ce que je veux dire, c’est que tu en est capable. Tu peux prendre assez de recul pour ne pas oublier cet élément important : il y a une démarche artistique, il doit y en avoir une et rien ne doit la perturber (ou au moins, rien ne doit pouvoir perturber son observation)

    Ma position à moi, c’est toujours et avant tout de prendre fait et cause pour les travailleurs, les ouvriers, ceux qui doivent leur survie, en ce bas monde, à leur force de travail : bref les gens comme moi :)

    Si je tente d’expliquer le reproche fait à l’occasion de la manif’, de mon point de vue, hein, rien de plus : c’est tout simplement l’absence de politesse. Prévenir qu’il tournait (et pas demander la permission) c’était le minimum qui pouvait être attendu. Il donne même pas ça… il prend, il exploite, et en retour : rien. L’artiste que tu défends, au final, c’est rien qu’un exploiteur comme les autres… :p

    Bref, dans un contexte social tendu, j’ai du mal à prendre le parti de l’art avant celui des gens qui travaillent et qui doivent supporter une certaine forme d’oppression.

  10. By Jean-no on Juin 1, 2013

    Sur la scène censément ratée, je dis pourquoi que je trouve les scènes d’amour généralement ratées, pas pourquoi Julie Maroh la trouve ratée – et je l’ai lue, j’ai bien compris ce qu’elle dit, je ne contredis pas son opinion, ni même que ma digression sur les scènes de sexe puisse s’appliquer à ce film là, comment saurais-je ? Je trouve bizarre ton reproche, ou alors je m’exprime mal, mais loin de moi l’idée de faire la leçon à quiconque, je fais une observation toute personnelle sur la représentation des rapports sexuels au cinéma, c’est tout.

    Sur les techniciens, c’est vrai, je préjuge de ce qu’ils en penseront. Mon frère n’est pas réalisateur, il a bossé dans la déco pendant des années, dans l’équipe d’un ensemblier, c’est à dire ceux qui arrivent les premiers sur le plateau et qui partent les derniers. Et des tyrans, donc, il en a vu quelques uns, mais un tournage, contrairement à un emploi salarié, a toujours une fin (même si ça ne se fait pas d’abandonner en cours de route). Aucun film ne se passe facilement, alors effectivement, si les techniciens du film de Kechiche se sont exprimés en plein festival, je veux bien croire que la mesure était dépassée, je l’ai écrit, du reste (ceci dit l’observation de Nicolas, un peu plus haut, mérite d’être prise en comte).

  11. By Wood on Juin 1, 2013

    Oui, James a raison : la démarche artistique d’Abdellatif Kechiche, c’est le problème d’Abdellatif Kechiche et de personne d’autre. Au nom de quoi l’imposerait-il à quelqu’un d’autre ?

    Il y a une différence entre celui qui choisit de faire des sacrifices au nom de son art et celui à qui ces sacrifices sont imposés au profit de l’oeuvre d’un autre.

    Pour moi s’inviter à cette manif et squatter le premier rang sans rien demander à personne, c’est comme s’il s’invitait sur le tournage d’un autre film. Les organisatrices de cette manif, apparemment avaient aussi une démarche et un message à faire passer, et elles avaient choisi très soigneusement le lieu, l’heure, la façon d’agir. On peut parler de mise en scène. Personne n’aime voir des acteurs imprévu débarquer sur sa scène. Quand à pousser la mauvaise foi jusqu’à dire « on a l’accord de l’organisation »…

    Pour en revenir à Céline, ce n’est pas sa misanthropie qui dérange, c’est son antisémitisme, qui était, parait-il, d’une telle violence qu’il embarrassait même le régime de Vichy (je dis « parait-il » parce que je n’ai pas pu lire ces fameux 3 pamphlets).

  12. By Jean-no on Juin 1, 2013

    @James : c’est compliqué, parce qu’à vrai dire je n’aime pas beaucoup qu’on donne un statut « supérieur » aux artistes. Les Picasso, les Dali, c’est finalement assez ringard. Mais en tant que spectateur, je vois bien qu’un film raté me plait moins qu’un film réussi. Ça semble idiot, évident, mais hé, c’est vrai quand même… Et le cinéma, c’est un art qui force beaucoup de gens à se mettre au service d’une vision, et chaque fois qu’il y a compromis, il y a un gros risque de ratage, cf. ces films hollywoodiens ou des pans entiers du scénario dépendent 1) de l’armée américaine, 2) des syndicats (hiérarchie des corps de métiers, des acteurs, des directives imposées par les différentes guildes, etc.) et 3) des réglementations (présence des minorités dans l’équipe qui poussent à mettre des noirs comme « sidekicks » du héros dans des films médiévaux, par ex).
    Je ne défends pas le fait de maltraiter les gens avec qui on bosse, hein. Mais le cinéma a un fonctionnement très particulier, où, généralement, les gens trouvent leur compte. Enfin là, non, manifestement.
    Mais bon je ne défends pas Kechinche, je défends ses films.
    Sur la manif, c’est compliqué : si tu préviens, alors il n’y a plus de naturel, les gens veulent être à leur avantage, ils vont devenir figurants, voire acteurs, et on sort du semi documentaire que voulait apparemment l’auteur. Autant le harcèlement et l’exploitation sont indéfendables, autant je pense que demander la permission de filmer quelqu’un dans la rue, c’est le début de l’engrenage qui tue la liberté de la presse et la liberté de créer.

  13. By Jean-no on Juin 1, 2013

    @Wood : faire croire qu’on dispose d’un accord est évidemment idiot et malhonnête. Mais filmer les gens non pas pour ce qu’on veut filmer mais pour respecter leurs impératifs de comm’, ben… Oui, on va y venir, parce que les gens sont persuadés que leur photo vaut des fortunes, pour je ne sais quelle raison. Mais pour l’instant, la loi ne dit pas ça, elle dit que dans l’espace public, au delà d’un certain nombre de visages et à condition qu’il n’y ait pas de problème de vie privée ou de dignité de la personne, on filme et on photographie ce qu’on veut.

    Je n’ai pas lu les pamphlets de Céline non plus, mais je pense que sa misanthropie est liée à son antisémitisme.

  14. By Wood on Juin 1, 2013

    Je ne pense pas que le problème venait de ce qu’il filmait, mais de ce que ses actrices s’incrustaient au premier rang, s’emparaient de la banderole et « dragouillaient » les flics, et du coup les organisatrices ont pensé qu’on détournait leur manif.

    Si j’organise un spectacle en plein air, ça ne me dérange pas qu’on filme, mais si les gens envahissent la scène je ne suis plus d’accord.

    Pour Céline, il me semble qu’il était déjà misanthrope quand il a publié le « Voyage au bout de la Nuit » mais son antisémitisme est venu après que le grand amour de sa vie l’ai quitté pour un homme d’affaires juif en 1933, et ses premiers écrits antisémites datent de 1937.

  15. By Jean-no on Juin 1, 2013

    @Wood : je me demande bien ce que signifie « dragouiller » les flics en fait.

  16. By Meg on Juin 2, 2013

    je tique sur le soi-disant respect de Kechiche pour les acteurs. Le seul film que tu ne cite pas de Kechiche est la Venus noire et il pose justement beaucoup de questions sur le travail d’acteur, surtout d’actrice en fait. Kechiche a semble-t il la spécialité de prendre des actrices qui n’en sont pas, dans la rue ou autre et de les former entièrement. La plus part de ces actrices ne sont les actrices que d’un film, d’un rôle et sont entièrement « faites » par et pour Kechiche. J’ai du mal a trouver ceci « respectueux » des acteurs. C’est plutôt un cas classique de Pygmalion et c’est tellement vue et revue que ca me sort par les yeux. J’ai cherché pour Yahima Torres, l’actrice de la Venus noire il semblerait qu’elle n’ai jamais tourné depuis.

    Kechiche demande beaucoup a ses actrices (prendre des ados pour tourné des scènes historiques, prendre Yahima Torres et la faire grossir de 16kg et lui faire jouer un rôle si difficile pour la jeter après les récompenses). Je trouve que c’est faussement respectueux.

    Il manque tout de même dans ton analyse, la prise en compte du genre. Tous les « grands » artistes auxquels tu te réfère sont des hommes. Est-ce que ce type de comportement serait toléré chez une femme artiste ? j’ai l’impression que non. J’ai l’impression que ce type de posture est valorisé, encourager par le milieu, la société uniquement pour les artistes mâles, comme si ca faisait aussi partie de la mâlitude d’être un tyran pour « son » art.

  17. By Jean-no on Juin 2, 2013

    @Meg : sur le respect des acteurs, c’est eux qui le disent, et le fait que Kechiche soit acteur d’abord (et de théâtre) y est sans doute pour quelque chose. Comme je n’ai pas vu Venus noire, je ne peux pas en penser grand chose mais j’ai peur que le fait que la carrière de l’actrice se soit pour l’instant arrêtée là soit due à beaucoup de facteurs indépendants du réalisateurs, à commencer par le manque de succès du film. En revanche, Sara Forestier, Hafsia Herzi et Sabrina Ouazani ont toutes fait une carrière, et si on se fie aux commentaires actuels, Adèle Exarchopoulos, de Le Vie d’Adèle semble bien partie. Mais Vénus Noire semble un film bien particulier, qui a fait souffrir ses spectateurs, notamment en les associant au regard méprisant envers une femme traîtée comme une bête de foire, et peut-être que l’actrice a pâti de cet effet, et si c’est le cas, c’est la faute du réalisateur, effectivement.

    Je n’ai pas voulu glisser sur les questions de genre parce que ça complexifie le débat, alors que je parle de beaucoup de choses déjà, et de manière bien confuse, mais je l’avais bien en tête en me faisant la même réflexion : hors des « divas » dans les arts de la performance, les comportements observés ou tolérés chez des femmes ne sont effectivement pas les mêmes.

  18. By Meg on Juin 2, 2013

    J’ai parlé un peu vite sur les actrices jetables. J’avoue ne pas être très au courrant de la carrière des acteurEs.

    Le fait que les actrices ne se plaignent pas ne me semble pas un critère suffisant pour dire si Kechiche est respectueux. Si il leur offre du champagne au petit dej et passe le moindre de leur caprice, bien sur que les actrices sont contentes, ca ne veut pas dire que tout va bien pour autant. Le sexisme bienveillant reste du sexisme. Je n’ai que des présomptions, je trouve juste supect que Kechiche procède presque toujours comme cela.

    Sinon pour la Venus noire, c’est effectivement un film qui malmène énormément le spectateur. Je ne peux pas dire que j’ai aimé le film, mais il m’a portée à réflexion, il m’a beaucoup interrogée. J’ai du mal a imaginer qu’on puisse faire un film agréable sur un tel sujet. Le fait que le film ait été rejeté à ce point me semble d’un coté normal et de l’autre consternant, car le public français n’est toujours pas capable de regarder son histoire d’un point de vue non flatteur.

    Je sais que le genre complique le problème, mais pourtant il me semble que cette posture de l’artiste tyranique soit associé à la masculinité. Quant j’ai déclaré enfant vouloir être artiste, on (ma famille) m’a dit que ca serait impossible car j’etais faite pour « crée la vie » et non « l’art ». C’eétait donc un domaine interdit aux femmes et cette valorisation de comportement tyranniques (interdit généralement aux femmes) participe de cette construction.

    Surtout pour Cannes, ou la question du genre a été posé assez lourdement depuis 2 ans. Il y avait une seule réalisatrice palmable et vois ce que la presse dit d’elle :

    l’article n’est malheureusement plus consultable gratuitement

    « Elle sait que l’on commencera l’article comme ça, par son retard, ses cheveux blonds en bataille, un jean enfilé à la hâte, des boots fourrés parce qu’il fait encore si froid en ce 1er Mai, par la nuisette à l’imprimé panthère qui dépasse de son pull en laine bleue. Elle le dit : « Ce sera la première phrase de votre article : “Elle est arrivée en retard”. » Et cela semble l’embêter un peu, comme une enfant qui veut bien faire. »

    (Valeria Bruni Tedeschi « Je suis plus optimiste dans mes films que dans la vie. », dans Le Monde du 18 mai 2013)

    Je trouve ce texte très révélateur. Nous avons des tyrans a qui tout est permis, et une enfant qui veut bien faire…

  19. By Jean-no on Juin 2, 2013

    Les lignes du Monde que tu cites sont gratinées, on dirait une dernière page de Libé, et effectivement ce portrait qui se veut « vivant » n’aurait sans doute pas été écrit pareil pour un homme.
    Tiens, je me demande quelle aurait été la réaction publique si Valeria Bruni Tedeschi avait eu la palme : elle est une bonne actrice, bonne réalisatrice, mais aussi la belle-sœur du précédent président.

    La Vénus noire me semble un film digne d’intérêt, pour les raisons que tu dis. Les critiques n’étaient pas toutes mauvaises, certaines étaient très bonnes, mais toutes prévenaient, entre les lignes, que le spectateur souffre et est même placé de force parmi les « méchants », ceux qui regardent une femme comme un objet. Il faut regarder les films dérangeants : s’ils dérangent, c’est qu’ils parlent de quelque chose d’important, souvent. Mais en même temps, on n’aime pas aller vers la souffrance et l’auto-flagellation… Tout ça fait que je ne me suis pas senti pressé de le voir. Mais je le verrai, un jour, bien sûr.

    Enfin, je ne dis pas que Kechiche n’est pas sexiste, paternaliste (effectivement, le côté Pygmalion…) mais les acteurs, et surtout les actrices, sont en tout cas la catégorie de collaborateurs de Kechiche qui ne se plaint pas, qui lui exprime au contraire régulièrement de la gratitude.

  20. By RastaPopoulos on Juin 2, 2013

    Pour Céline c’est un peu mal placé puisque c’est plutôt l’inverse de ce dont on parle au départ. Dans ces écrits il met en exergue un certain nombre de bassesses humaines, de laideur, de crasse, de lâcheté. Alors que dans la vie quotidienne, mis à part avec les journalistes, il était plutôt serviable et il a vécu la plupart de sa vie dans un grand dénuement physique (il ne s’en plaint pas hein, il s’est mis dans ces situations volontairement pour avoir de la matière à écrire, évidemment).

    Bref, on peut en dire plein de choses, c’est sûr, mais on ne parle pas du même sujet que les artistes qui, sous les projecteurs, parlent de grands idéaux, tandis qu’ils sont tyranniques au quotidien.

  21. By Gallorum on Juin 2, 2013

    « Autant le harcèlement et l’exploitation sont indéfendables, autant je pense que demander la permission de filmer quelqu’un dans la rue, c’est le début de l’engrenage qui tue la liberté de la presse et la liberté de créer. »

    Eh, tu fais un sacré amalgame, là.
    La liberté de la presse dans un reportage ou un documentaire, c’est une chose.

    La « liberté de créer », qui permettrait à un « créateur » de transformer des manifestants en figurants à leur insu dans une fiction, ça n’a rien à voir.

  22. By Jean-no on Juin 2, 2013

    @Gallorum : je ne fais pas une distinction énorme entre la fiction documentaire des autres genres de fiction. Je sais que ça choque, mais entre une fiction réalisée pour un sujet du journal de TF1, déguisée en « vérité » mais amenée à être assortie d’un commentaire ou orientée par un montage plus ou moins honnête, et une fiction réalisée par un cinéaste, je dirais que la seconde est la seule honnête : elle ne se fait pas passer pour autre chose que ce qu’elle est (même si pour le tournage, le réalisateur a baratiné).

  23. By pull-jacquard on Juin 2, 2013

    Comme Wood, je tique un peu sur la partie sur les techniciens du film, ça me fait penser à ce blog très drôle :
    http://monmacon.tumblr.com/
    « – Monsieur Kéchiche, ce tournage c’est l’horreur, on travaille comme des mules, vous nous harcelez, on est au bout du rouleau et on n’a même pas droit à une reconnaissance minimale de notre travail!
    – haha! oui! quelle bonnes anecdotes vous pourrez raconter sur moi.
    – ha ha, oui merci Monsieur Kéchiche! »

  24. By Jean-no on Juin 2, 2013

    @pull-jacquard : je ne veux pas relativiser la souffrance de ces malheureux techniciens (maintenant je suis curieux du détail car tout ce que j’ai entendu pour l’instant ressemble à ce que je connais du métier), mais je crois très sincèrement qu’une histoire à raconter est quelque chose de précieux. Je veux dire : avoir fait Verdun, à condition d’y avoir survécu, est plus gratifiant que d’avoir fait une obscure bataille d’une guerre oubliée. Se faire renverser à vélo par un scooter (à condition d’y avoir survécu), c’est pénible, mais se faire renverser par Depardieu, ça devient (en plus) une histoire. Avoir un client pénible, c’est ennuyeux, mais si c’est Madonna, ça devient une histoire. Etc.
    Je comprends le côté un peu choquant de ce que je dis là mais je pense, vraiment, qu’une histoire à raconter est parfois une compensation à une souffrance. En tout cas ça marche avec moi. Et c’est toi le psychologue, à toi d’expliquer pourquoi :-)

  25. By Wood on Juin 2, 2013

    ça marche peut-être comme ça pour toi, mais tu t’avance beaucoup en disant que ça marche comme ça pour tout le monde.

  26. By Jean-no on Juin 2, 2013

    @Wood : je pense que c’est plus rationnel de dire « ça marche pour moi donc peut-être aussi pour les autres » plutôt que « ça marche pour les autres mais pas pour moi ». Pour les questions de sentiments, d’émotions, de sensations, chacun de nous est son unique sujet observable de manière complète (même si pas toujours si lucide).
    Par ailleurs j’ai noté que les gens aiment souvent avoir des histoires à raconter, puisqu’ils en racontent. Le fait que l’histoire du tournage s’augmente d’anecdotes inventées me paraît révélateur.
    Et il me semble aussi assez évident que l’irracontable (ce qui n’intéresse pas, ce que les autres ne veulent pas entendre, ce qu’on n’arrive pas à dire) est une grande source de souffrance.

  27. By Jukhurpa on Juin 3, 2013

    Il me semble qu’on a souvent tendance à relativiser ce qui est acceptable ou non suivant le secteur d’activité.
    On part du principe que les techniciens dans le monde du cinéma sont là par qu’ils font le métier de leur rêve, que ce n’est pas purement alimentaire. Et bien sur quand on vit de sa passion, on devrait déjà se satisfaire de cela et ne pas s’attarder sur les « détails » que sont les conditions de travail.
    C’est le même postulat dans le monde du jeu vidéo par exemple, tous ces jeunes gens ravis de travailler dans un domaine qui les passionnent et prêt à ne pas compter leurs heures, à être sous pression constamment et finalement être remercié une fois la conception du jeu terminée.
    Mais tout ceci est acceptable parce que ce sont des métiers de passionnés?
    D’ailleurs il m’est même arrivé en tant que bénévole d’être malmené par un organisateur un peu trop zélé d’une manière que je n’aurais jamais toléré dans mon travail, et j’ai accepté ça parce que je faisait quelque chose qui me plaisait. Le temps passe et les critiques m’ont fatigué, j’ai fini par arrêter le bénévolat ce qui n’était pas gênant pour mes revenus mais j’imagine un technicien pour qui tel ou tel tournage compte pour ses modules d’intermittent.

    p.s : une fois je suis resté 4h derrière un Christian Clavier sinistre (à l’inverse des se rôles donc) qui signait des autographes sur tout et n’importe quoi (on était à un festival de BD, il n’était là qu’en tant qu’interprète d’Asterix au cinéma) avec un dédain répugnant.
    Et bien, je ne sais pas si avec le recul, j’ai envie de dire : Haha quelle bonne anecdote à raconter plus tard, ça méritait bien un calvaire de 4h à tout lui passer.

  28. By Jean-no on Juin 3, 2013

    @Jukhurpa : chaque secteur d’activité est différent, ceci dit, mais évidemment ici il y a un paramètre supplémentaire : le film est la passion de son réalisateur, pas forcément celle des techniciens, et encore moins s’ils ne sont aucunement liés au succès critique, puisque l’auteur ne semble pas les prendre en compte.
    J’ai une amie graphiste qui demande toujours très cher car selon elle, les gens méprisent ceux qu’ils paient une misère et estiment ceux à qui ils donnent beaucoup d’argent. C’est horrible mais ça se vérifie souvent.

  29. By Jukhurpa on Juin 3, 2013

    C’est un peu en contradiction avec tes propos plus haut, non? ;)
    Les techniciens doivent ils accepter des conditions plus difficiles que dans d’autres secteurs sous prétexte que « l’Art » peut se permettre de bafouer le droit du travail au non de sa survie?

    en lisant à droite à gauche sur cette affaire, je suis resté choqué par les propos du journaliste des inrocks dans l’article que tu cites en bas de page :

    « Beaucoup disent « dans n’importe quel autre métier, le patron serait condamné ». Oui, sauf que le cinéma n’est justement pas « n’importe quel autre métier ». Le cinéma de création, ce n’est pas une compagnie d’assurance ou une PME de plomberie. »

    Voilà, on a affaire à une supériorité morale qui autorise tous les abus, abus qui plus est largement soutenus par les deniers publics. Ce cinéma d’auteur (ou autre, ne soyons pas sectaire même si il est plus difficile d’exploiter autrui pour un écrivain seul devant sa machine à écrire) est il à ce point vital qu’il puisse se déroger au règles que le plombier lui se doit de respecter.

    Si un film n’a pas le budget pour payer décemment tout les intervenants, il n’a qu’à faire appel au bénévolat (et on verra alors si les techniciens se bousculent pour travailler avec un réal prestigieux), au financement participatif (très en vogue actuellement) et si ça ne marche pas, peut être que le film ne mérite pas de se faire tout simplement faute d’avoir su créer assez d’enthousiasme autour du projet.

  30. By Jean-no on Juin 3, 2013

    @Jukhurpa : je suis partagé entre deux choses : d’un côté j’aime les bons films, de l’autre je suis contre les mauvais employeurs et même contre les artistes !
    Sur le pas n’importe quel métier je suis d’accord avec le journaliste des Inrocks figure-toi, mais pas pour la sacralisation de l’art. Tout bêtement, un film ne peut pas exister si les gens viennent aux horaires de pointage du début à la fin du tournage, et tu ne trouveras aucun tournage qui se fasse dans des conditions équivalentes à celles de l’entreprise normale. Et les intermittents l’acceptent, non pas parce qu’ils y sont forcés mais parce qu’ils voient qu’un film ne se fait pas autrement. Tu n’arrêtes pas à la troisième mauvaise prise parce qu’il est 17 heures. Mais bien sûr, à la production de ne pas tirer sur la corde et de compenser. Jusqu’il y a quelques années (15 ?), il y avait une compensation assez simple : bosser quelques mois intensément, et pas forcément bien payé, c’était l’assurance de pas mal de mois de repos ensuite, rémunérés. Et puis, à cause (ou au prétexte) de certains abus (l’indemnité n’était pas plafonnée), les règlements ont changé.
    Lé bénévolat est devenu plus ou moins impossible dans le cinéma, car la loi refuse (si j’ai compris) à un film de recevoir la moindre aide publique (question vitale dans le domaine) si les tarifs syndicaux ne sont pas respectés. Enfin un truc comme ça – je ne veux pas dire trop de bêtises en donnant des détails que je n’ai pas retenus mais il me semble qu’un film amateur ne peut pas être montré dans le cadre professionnel. De même qu’on n’a pas le droit de faire le chantier d’un immeuble commercial avec des gens bénévoles, je pense.

  31. By Jukhurpa on Juin 3, 2013

    Il me semble que justement au USA, les syndicats ont tellement de pouvoir qu’on en arrive à la situation inverse presque caricaturale. J’ai souvenir d’un réalisateur français qui expliquait (grosso modo) qu’il souhaitait faire une dernière petite prise avant de changer de scène mais que 17h arrivant, l’équipe avait arrêté le travail et ils avaient du reprendre le lendemain la préparation du plateau, le maquillage et cie… pendant 2h pour 5 min de tournage avant de passer à la scène suivante. :)

  32. By Jean-no on Juin 3, 2013

    @Jukhurpa : carrément, d’où des budgets délirants (une personne par poste, pas le droit d’être acteur-maquilleur-décorateur, etc). La convention votée dernièrement entre la CGT et l’Association d’UGC, Pathé, Gaumont et MK2 (mais dénoncée par tous les auteurs de petits films) est dans cette veine : un film n’a pas le droit de ne pas coûter cher. Ce qui signifie aussi qu’il n’a pas le droit de risquer de ne pas rapporter d’argent. Et donc qu’il vaut mieux un mauvais Danny Boon qu’un bon film d’auteur. Apparemment, la fronde contre Kechiche n’est pas sans lien avec ces débats professionnels. La réglementation très précise est souvent uniquement au profit des « gros » et d’une certaine inertie, comme la législation sanitaire de l’UE ne sert qu’à défavoriser les petits exploitants.
    Ici les griefs des techniciens étaient (je copie-colle leur communiqué) :

    – Journées de travail de 16 heures, déclarés 8.
    – A certains postes, journées de travail de 11 heures, payées 100 € bruts ( alors que 100
    € nets avaient été promis).
    – Non réponse à des entretiens d’embauches
    – Renégociation des contrats en milieu de tournage, qui contraint les techniciens à
    travailler les samedis sans être payés.
    – Horaires de travail anarchiques ou modifiés au dernier moment, convocation par
    téléphone pendant les jours de repos ou pendant la nuit, modification du plan de travail au jour le jour, les gens ne savaient le vendredi soir s’ils allaient travailler ou non le samedi et le dimanche suivant
    – incitation à faire des trajets automobiles dans des délais tels que les personnes en
    charge de ce travail devaient rouler à plus de 180 km/h.

    Je comprends qu’ils n’aient pas été spécialement charmés de cette situation qui n’est pas spécialement normale, même dans le cinéma (ou alors très exceptionnellement).
    Quand on lit les témoignages, on a l’impression que c’est moins le détail qui pose problème que le sentiment général de ne pas être très considéré : « Je pense que Kechiche a un immense respect pour les comédiens. Mais pas pour les techniciens. »

  33. By Thierry on Juin 3, 2013

    Au risque d’être un peu hors sujet, je trouve terriblement français le scandale suscité par l’anecdote réelle ou supposée du déjeuner.
    La french touch?
    Ma petite expérience sur des tournages, que ce soit en tant que photographe de plateau sur des tournages de films publicitaires disposant de gros moyens ou en tant que faisant l’acteur sur des films de fin d’étude de l’IDHEC à petit budget, c’était qu’il y avait toujours plein de trucs à manger sur une planche posée sur des tréteaux.
    Et ça me fascinait.
    Et je suppose qu’il n’y a qu’en France qu’un déjeuner réelle ou apocryphe serait susceptible de prendre une telle importance. :-)

  34. By Jean-no on Juin 3, 2013

    @Thierry : Ah ben la France c’est un pays de nourriture :-)
    L’histoire des huîtres m’a rappelé, dans Laisser-Passer de Bertrand Tavernier (où mon frère était décorateur d’ailleurs) l’histoire des acteurs sous l’occupation qui filmaient des repas en n’ayant vraiment rien dans le bide et qui pillaient leur propre décor, du coup.

  35. By r on Juin 4, 2013

    « J’ai une amie graphiste qui demande toujours très cher car selon elle, les gens méprisent ceux qu’ils paient une misère et estiment ceux à qui ils donnent beaucoup d’argent. C’est horrible mais ça se vérifie souvent. »

    C’est marrant, c’est justement ce que dit Céline dans « Voyage au bout de la nuit ». Enfin je dis juste ça pour boucler la boucle dans les commentaires.

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