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Souvenirs de l’empire de l’atome

janvier 5th, 2013 Posted in Bande dessinée, Design, Sciences

souvenirs_empire_atomeIl est assez difficile d’être surpris par une bande dessinée ces temps-ci, et encore plus difficile de trouver quoi lire dans le domaine : près de cinq mille albums sont sortis cette année, ce qui fait plus de quinze livres chaque jour, et ce à un niveau moyen de qualité plutôt élevé, peut-être plus élevé que jamais, dans un marché où l’on ne peut se fier à aucun repère habituel : des petits éditeurs passionnés apparaissent chaque jour, de gros éditeurs traditionnels publient des « romans graphiques » réussis, des centaines de séries, du pire au meilleur, débutent en mangas, et quand aux pionniers de l’édition dite « indépendante », ils multiplient les découvertes d’auteurs venus d’horizons parfois lointains et surprenants. Les libraires sont débordés par le nombre de nouveautés, peinent à mettre en exergue les albums qui le méritent et à orienter les lecteurs. On ne sait plus quoi lire.

C’est pourquoi je me trouve chanceux d’avoir eu l’honneur et le plaisir de lire en avant-première le très beau, palpitant et surprenant Souvenirs de l’empire de l’atome, par Alexandre Clérisse (dessin) et Thierry Smolderen (scénario), édité par Dargaud1 et qui sera disponible en librairies dans deux semaines.

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Le graphisme rappelle immédiatement les illustrations des années 1950-1960 (Charley Harper, Miroslav Sasek, Jim Flora, mais peut-être aussi Alain Grée, Mary Blair, Moritz Kennel,…), et notamment les illustrations d’encyclopédies scientifiques pour jeunes ou certains films pédagogiques du couple Eames ou de la société Disney. Le livre contient aussi des flashbacks et des références directes à des médias comme la science-fiction américaine de la première moitié du XXe siècle (Buck Rogers, Flash Gordon, John Carter), le cinéma britannique et américain ou la bande dessinée belge des années 1960. Chaque fois, le dessin s’adapte discrètement aux univers évoqués et à leur mode visuel. Bien que l’on puisse sans problème lire l’album sans disposer des références qui ont servi à le construire, l’érudition aussi foisonnante que cohérente qui se cache derrière est un régal : on reconnaît sans peine des citations du film Things to come (1936) d’après H.G. Wells et on apprend sur le blog Empiredelatome que le film The V.I.P.s (1963), qui se déroule dans un aéroport, a lui aussi servi de source d’inspiration aux auteurs. Entre autres objets on reconnaît le module de communication du film This Island Earth (1955), des automobiles Ford, General Motors, Chrysler, Bugatti, Buick, Citroën, des jouets inspirés par la science-fiction et la science parmi lesquels les jeux éducatifs radioactifs qui avaient été mentionnés sur le présent blog il y a quelques années. Parmi les autres références, on note László Moholy-Nagy, la designer textile Lucienne Day, et on croise des créations artistiques, des meubles ou des appareils électro-ménagers de designers tels que Charles et Ray Eames, encore eux, et (je suppose) des créations plus ou moins directement inspirées par Frank Lloyd Wright, Le Corbusier, Mies Van der Rohe, Arne Jacobsen, Marcel Breuer, George Nelson, Raymond Loewy, le Surréalisme, le Bauhaus,… On voit aussi des objets qui n’ont jamais été manufacturés, issus de l’imagination d’André Franquin et de Jidéhem2. André Franquin fait une apparition explicite dans le récit.

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Quand au « méchant » de l’histoire, un dénommé Zelbub, il nous rappellera autant le Zorglub de Spirou et Fantasio que le monsieur de Mesmaeker de Gaston Lagaffe et peut-être aussi Alex Osborn, l’inventeur de la technique du Brainstorming. Bruxelles est un des décors du récit, avec l’exposition universelle de 1958 et son célèbre Atomium, monument emblématique d’un modernisme ouvert sur un futur à la fois prometteur et inquiétant. L’histoire de la science-fiction est elle aussi évoquée, avec des citations de Galaxy ou Amazing Stories.

Je ne sais pas si toutes les références que je me suis amusé à chercher sont exactes, et je suis certain qu’il y en a bien d’autres à trouver, je suis loin d’être suffisamment attentif aux œuvres et aux créateurs pour le dire, mais l’album est une mine et ravira les spécialistes du design. J’y ai vu aussi des allusions à l’affaire Ummo (des scientifiques qui ont, dans la vraie vie, affirmé avoir reçu des informations provenant de la planète Ummo) ou à l’album Les martiens sont là, par Willy Vandersteen3, mais l’un et l’autre ne font semble-t-il pas partie des références (conscientes en tout cas, je l’ai interrogé à ce sujet) de Thierry Smolderen. En revanche, ce dernier s’est sérieusement penché sur l’étrange histoire du jet-propelled couch, le « divan à réaction », une affaire commencée en 1955 qui portait sur la thérapie d’un dénommé Kirk Allen — pseudonyme donné par l’analyste qui s’est occupé de lui — qui affirmait communiquer avec des hommes d’un futur lointain par télépathie, et dont on a par la suite pensé qu’il s’agissait de l’auteur de science-fiction Cordwainer Smith.

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Le récit de Souvenirs de l’empire de l’atome, constamment sous pression d’un suspense haletant, est largement inspiré par cette mystérieuse histoire. Le personnage principal, Paul, écrit de la science-fiction, comme Cordwainer Smith, et a, comme Kirk Allen et Cordwainer Smith, grandi en Chine. Et tout comme Kirk Allen, il pense être capable de se projeter en esprit dans un futur lointain. Ses mystérieuses notes attirent l’attention de ses employeurs à Washington, et lorsqu’il promet d’en finir avec son obsession du monde futur et, à l’avenir, de passer un peu plus de temps « sur cette planète », il ne rassure personne et on le force à consulter. Paul est-il victime d’un traumatisme lié à son enfance, ou bien communique-t-il effectivement avec Zarth Arn, immense chef de guerre de galactique qui naîtra dans un peu plus de cent-vingt mille ans ?  Si Paul est malade, peut-il guérir, et s’il ne l’est pas, ne risque-t-il pas de trahir le futur ? Est-ce que les objets ultra-modernes que l’on produit pour l’armée et pour les ménagères ont un rapport avec tout ça ?

Vous verrez bien, je m’arrête là.

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Cet album est une méditation inspirée sur l’imagination, l’évasion, le progrès, sur l’«envie de futur» et le refus de s’en tenir au monde tel qu’il est, toutes ces choses que l’on voit à l’œuvre autant dans la science-fiction que dans le modernisme artistique, technologique et industriel. Une bande dessinée sur le XXe siècle, sur la Guerre Froide, mais aussi, et c’est nettement plus inattendu, sur le design. Je sens que Thierry Smolderen, grand passionné de science-fiction, certainement lecteur de la meilleure période de Spirou dans son enfance, né à Bruxelles au milieu des années 1950, a mis beaucoup de lui dans cet album. Quand au jeune Alexandre Clérisse, qui a étudié à l’école supérieure de l’Image à Angoulême, où Thierry Smolderen enseigne, son talent de dessinateur mais aussi de designer graphique lui promettent un grand avenir. La couverture, les inter-titres et les pages de gardes relèvent bien entendu de la citation ou du pastiche de travaux des années 1950-1960, mais n’en sont pas moins très inspirées.

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L’album compte 144 pages et est relié, il est vendu un peu en dessous de vingt euros.

  1. Si j’en crois la page de garde du livre, Dargaud a désormais une filiale sur Jupiter []
  2. Jean De Mesmaeker, dit Jidéhem, fut l’assistant d’André Franquin, notamment, et a donné les traits et le nom de son propre père à un personnage d’homme d’affaires colérique dans la série Gaston Lagaffe, M. de Mesmaeker. []
  3. Dans un peu plus d’un mois, nous fêterons le centenaire de la naissance de Willy Vandersteen, qui est un peu le Tezuka d’Anvers. Comptez sur moi pour parler de cet auteur immense, à l’œuvre prolifique et néanmoins méconnue en France. []
  1. 7 Responses to “Souvenirs de l’empire de l’atome”

  2. By AkaiKen on Jan 6, 2013

    Zarth Arn ! Ce nom évoque de doux souvenirs… à la fois des « Rois des étoiles » d’Hamilton, dont je suppose que c’est l’inspiration de la BD dont vous parlez, et… le film « Starcrash », une délicieuse perle nanarde italienne qui tenta de concurrencer/copier Star Wars – le méchant s’appelle Zarth Arn, écrit exactement comme ça, vil copieur =D (je conseille d’ailleurs vraiment ce film, mais il faut avoir les nerfs solides, c’est… euh… particulièrement mal joué, mais ça fait son charme)

    Je vais chercher « Souvenirs de l’empire de l’atome », ça a l’air très intéressant, en tout cas.

  3. By Jean-no on Jan 6, 2013

    @AkaiKen : Starcrash avait un bon potentiel pour être amusant, entre Star Wars et Barbarella, mais c’est un film terriblement soporifique. J’aime les navets mais j’ai peiné à garder les yeux ouverts et mes enfants n’ont pas tenu dix minutes…
    Sur le Roi des étoiles, je ne l’ai pas lu mais je vois que ça colle carrément. Une référence de plus.

  4. By Stéphane Deschamps on Jan 6, 2013

    Je tilte sur le nom d’Alain Grée, que tu fais remonter du fin fond de ma mémoire, je vais voir sur Wikipédia et c’est bien lui : _Mirabelle et les Avions_. Formidable album où je touchais les dessins, tellement ils ont de matière. Et formidable repro pour un bouquin de… 1969.

    Et puis donc sinon, ajouté à ma ouich liste, tu sais donner envie.

  5. By Jean-no on Jan 6, 2013

    @Stéphane : Alain Grée est une des influences principales de Colonel Moutarde ou, je suppose, de Marc Boutavant… Sacré auteur, avec une bibliographie incroyable, musicien, et journaliste pour Voiles et Voiliers

  6. By AkaiKen on Jan 7, 2013

    Ah oui, Starcrash est d’un lent, ça c’est vrai… J’ai eu de la chance : mon premier visionnage c’était une projection en cinéma, organisée entre autre par le site nanarland.com, le public était constitué en grande partie de nanardeurs éclairés, qui connaissaient toutes les répliques par coeur, et criaient joyeusement « Caroliiiiiine » à chaque apparition de Stella Starr (jouée par Caroline Munro), et « Daviiiiid » pour celles du prince (David Hasselhoff, si si). On ne peut ni s’endormir ni ne pas apprécier le film avec ça !

    (Ensuite, le revoir chez soi, c’est plus difficile, je le conçois aisément.)

    (Si vous aimez les navets/nanars, cherchez donc l’Homme-Puma, réponse italienne – encore – à Superman, peut-être moins soporifique mais tout aussi délirant. Le thème principal musical ne s’oublie pas de sitôt, et rien que de l’évoquer il me revient.)

  7. By Jean-no on Jan 7, 2013

    @AkaiKen : ah je ne connais pas l’homme-puma, ça doit être bien. Je suis assez client de ce genre de films. Il y en a quelques uns dans les films dont je parle sur ce blog, notamment parmi ceux qui traitent de cyborgs, de robots fous et d’ordinateurs qui veulent dominer le monde.

  8. By barz on Jan 18, 2013

    Excellent article sur cette excellente BD sur laquelle je viens de me précipiter !
    Bravo

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