Profitez-en, après celui là c'est fini

Censure à l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris

février 14th, 2010 Posted in Brève, indices, Parano, Pas gai

Les faits : invitée à participer à l’exposition Seven Day week end/Week end de Sept Jours, l’artiste chinoise Siu Lan Ko a eu la surprise de voir son œuvre décrochée quelques heures avant l’inauguration de l’exposition. Il s’agissait de deux banderoles  sur les faces desquelles étaient écrit les mots « gagner », « moins », « plus », « travailler », en référence à un des plus célèbres slogans de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007, « Travailler plus pour gagner plus ». Selon le trajet et l’orientation du spectateur, ces banderoles pouvaient se lire de diverses façons : Gagner plus travailler moins ; Plus gagner plus travailler ; Travailler plus gagner moins ; etc.
La direction de l’école a refusé de s’expliquer sur ses motivations avant l’ouverture de l’exposition et a proposé à l’artiste de montrer son travail à l’intérieur de la galerie de l’école des Beaux-Arts plutôt qu’à l’extérieur, sur le quai Malaquais. Compromis aussi mesquin qu’inacceptable.

À gauche, Siu Lan Ko s'explique devant la presse et le public ; À droite, un extrait du catalogue. Photographies : J.-L. B., 2010.

Comme tout le monde, l’affaire m’a scandalisé mais je suis forcé d’admettre que je me délecte de l’ironie de la situation.
En fait j’aime même beaucoup cette histoire pour ce qu’elle parvient à révéler (qui a dit que l’art contemporain n’était plus capable de provoquer de réactions ?), même si ce qu’elle révèle est précisément très inquiétant.
Il y a d’abord la lâcheté d’une institution qui ne s’est subitement plus sentie capable d’assumer un clin d’œil taquin (mais pas franchement violent) au président de la République, et qui n’a même pas assumé sa pleutrerie, prétendant n’avoir pas été dûment avertie du caractère politiquement provocateur de l’œuvre exposée.
On peut supposer qu’il n’y a eu aucune demande explicite de censure de la part de l’Élysée ni d’aucun ministère (le ministre de tutelle, Frédéric Mitterrand a d’ailleurs réclamé officiellement le retour de l’œuvre), mais Nicolas Sarkozy n’a pas besoin de demander quoi que ce soit tant il semble avoir installé un certain climat de terreur — on dit qu’il est extrêmement rancunier et qu’il harcèle personnellement au téléphone les rédactions pour réprimander les responsables d’articles qui lui ont déplu. Il n’y a donc pas de censure, mais bien pire, une autocensure. La panique est telle que les ordres n’ont pas besoin d’avoir été formulés — ni même peut-être voulus — pour être exécutés.

Les manifestations organisées par Reporters sans frontières à l'occasion des jeux olympiques de Pékin en 2008 pour protester contre le manque de liberté d'expression en Chine. Photos : Parispassion / FlickR (licence Creative Commons)

L’ironie de la situation, c’est bien entendu que l’artiste se trouve être chinoise, c’est à dire qu’elle vient d’un pays que, depuis la vertueuse France des droits de l’homme, on aime montrer du doigt. Pouvons nous continuer à donner des leçons à la Chine avec la même légèreté lorsque l’artiste censurée ici explique qu’« En Chine on parle beaucoup de censure mais moi, mon travail en Chine n’a jamais été censuré de manière si brutale » ?
Quel est exactement l’état de nos libertés publiques à quelques jours du vote solennel de la loi Loppsi qui va étendre l’empire des techniques de contrôle et de surveillance par l’état à un degré jamais atteint jusqu’ici ? Entre autres mesures, il est prévu que les policiers auront le droit de poser des « mouchards » logiciels sur les ordinateurs de citoyens, en s’introduisant clandestinement chez eux. C’est la première fois que, hors flagrant délit, la police se voit offrir en France le droit d’entrer dans le domicile d’un citoyen sans invitation explicite — mais TF1 et Le Parisien n’en parlent pas, ils préfèrent tourner des sujets sur la multiplication des caméras de « protection » (ils faut à présent éviter le mot « surveillance » apparemment) sur la voie publique.
Bien qu’elle soit déjà terminée (les œuvres seront exposées, on oublie tout), je ne doute pas que l’histoire de calicots de Siu Lan Ko fera le tour du monde, et ça ne sera pas volé.

Digression confuse : le travail, liberté, temps libre, maternité

« Un peu confus ton article,
j’ai l’impression que tu as voulu parler de trop de trucs en même temps »

(N.L.)

Attention, opposition d'images de mauvais goût (qui se comprendra dans la suite du texte). À gauche, la célèbre inscription "Arbeit Macht Frei" (le travail rend libre) sous laquelle passaient les déportés d'Auschwitz en entrant dans le camp (Photo Muu-karhu / Commons, licence Creative commons). À droite, une publicité pour "Fécondité", un texte de la série des "quatre évangiles" d'Émile Zola qui s'en prend aux couples qui ne veulent pas faire d'enfants car il considère que la prospérité nait de la nécessité de nourrir toujours plus d'enfants.

Il est peut-être dommage que l’on oublie au passage de parler de l’œuvre et du thème de l’exposition qui l’accueille : la place du travail et des loisirs dans notre société. Le débat est d’actualité depuis toujours, depuis que l’industrie a eu besoin de bras, depuis Paul Lafargue1, depuis le Front populaire, depuis les trente-neuf et les trente-cinq heures, depuis le fameux « travailler plus », mais aussi depuis que l’industrie a plus besoin de consommateurs que de producteurs.
Ces questions ont connu une autre actualité récemment avec la parution du livre Le conflit (la femme et la mère), d’Élisabeth Badinter, et surtout avec les nombreuses réactions que l’ouvrage a suscité2. Il semble (j’ai lu plusieurs reviews et interviews mais pas le livre) que la thèse développée par la philosophe féministe soit que l’émancipation féminine est presque incompatible avec la maternité, et qu’au contraire c’est le travail qui libère la femme. Le travail et tout ce qui permet de gagner plus (de temps) pour travailler plus : le biberon et les couches jetables notamment.

  1. Paul Lafargue, gendre de Marx, a publié en 1880 Le Droit à la Paresse, essai dans lequel on peut lire entre autres que « Pour qu’il parvienne à la conscience de sa force, il faut que le prolétariat foule aux pieds les préjugés de la morale chrétienne, économique, libre penseuse ; il faut qu’il retourne à ses instincts naturels, qu’il proclame les Droits de la Paresse, mille et mille fois plus sacrés que les phtisiques Droits de l’Homme concoctés par les avocats métaphysiques de la révolution bourgeoise ; qu’il se contraigne à ne travailler que trois heures par jour, à fainéanter et bombancer le reste de la journée et de la nuit. ». []
  2. À titre personnel, je me sens un peu dérangé par la violence de la charge d’Élisabeth Badinter (dont j’avais beaucoup aimé XY, de l’identité masculine à sa sortie) contre l’allaitement (qui fait de la femme un chimpanzé, dit-elle), car si la détérioration des rapports entre hommes et femmes est peut-être une réalité (dans certains milieux, pour certaines tranches d’âge,…), la parentalité n’en est pas moins une expérience précieuse. J’ai trouvé assez intéressante la réponse de l’anthropologue et primatologue Sarah Blaffer Hrdy qui rappelle que l’instinct parental existe à un niveau neurologique et hormonal mais qui explique aussi que ce n’est pas une exclusivité des mères biologiques : en présence d’un bébé, même un homme produit de la prolactine — l’hormone qui intervient dans le processus de la lactation.  []
  1. 20 Responses to “Censure à l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris”

  2. By Vincent Rif on Fév 14, 2010

    Télérama.fr a consacré un très bon article sur ce sujet. J’ai été effrayé par les commentaires de cet article. Beaucoup y déclare que ce n’est pas de l’art. C’est tellement caricatural, que cela rappelle les débats sur les « arts dégénérés ». Comme dit notre ex-premier ministre (de droite!), il y a quelque chose de « pourri en République française ».

  3. By Wood on Fév 14, 2010

    Aux dernières nouvelles, l’oeuvre est de retour sur la façade du bâtiment.

  4. By Marie on Fév 14, 2010

    Trés amusant que vous parliez de censure : j’avais mis le premier commentaire sur orange à la suite de la publication d’un article, dans lequel je disais que cela n’avait rien à voir avec l’art et était, simplement, ridicule, tout comme l’était le fait de le pendre, le dépendre, le reprendre (alors là, c’est le pompon…le clou du clou du ridicule)et j’ai été censurée par orange : mon post n’est pas passé…alors franchement, tout est ridicule dans cette histoire : l’école, l’appréciation de l’art actuel(uniquement la décadence)et l’absence de bon sens de tous, qui va jusqu’à censurer simplement pour avoir énoncé une opinion…!! Frédéric Mitterand, bien que ministre, n’a ni capacité de recul, ni sens du ridicule. Et l’école, qui clame contre la censure, la génère…un comble !!!! j’hésite entre UBU et Kafka…

  5. By Jean-no on Fév 14, 2010

    @Rif (mais aussi @Marie) : j’ai fini par comprendre le débat « art / non art », au fond il est normal, tout est question d’attente. Si la définition de l’art qu’a quelqu’un est le tableau, tout ce qui s’en éloigne lui semblera choquant (et non indifférent, comme sera pour lui un mauvais tableau par ex.). C’est normal : de son côté, l’art a élargi sa définition dans des proportions importantes et dans un temps très court en tirant sur la littérature, le cinéma, la philosophie, la sociologie, le graphisme, l’action politique, la performance scénique, etc. (mais personne ne fait TOUT ça). En revanche, les gens du milieu de l’art contemporain qui acceptent qu’un calicot ou un tas de planches soit de l’art (et ils ont bien raison) se montreront très intolérants face à d’autres médiums : je me rappelle de l’hostilité aux œuvres numériques il y a quinze ans, et je peux te dire que la bande dessinée (qui a certes une aura particulière et une histoire et une culture fortes) n’est pas bien vue de tout le monde et que son évocation produit dans le microcosme de l’art contemporain des réactions aussi agressives que ce que les œuvres conceptuelles provoquent chez les gens pour qui l’art s’arrête à Monet ou à Picasso.
    Bref ce n’est pas inattendu d’entendre « ce n’est pas de l’art » et même l’agressivité n’est pas inattendue. La réponse que je fais à présent c’est : « ok, ce n’est pas de l’art, mais quel nom donner à l’objet, alors ? »

  6. By Jean-no on Fév 14, 2010

    @Wood : oui, et c’était sans doute inévitable d’ailleurs, car une fois que c’est passé dans Le Parisien et sur TF1, on ne rigole plus.

  7. By jean louis F on Fév 14, 2010

    Paul Lafargue, gendre de Marx, ta famille ?
    Oui, savoureux.
    – les beaux arts de Paris sont endormis et peureux….
    – la france donne des leçons qu’elles ne s’appliquent à elle meme…
    – Ce n’est pas une œuvre très intéressante, elle est tres contextuelle et circonstanciée.
    Je ne suis pas d’accord avec vos idées, mais je suis prêt à mourir pour que vous puissiez les exprimer…. Voltaire

  8. By Jean-no on Fév 14, 2010

    Côté Lafargue, mon arbre généalogique se perd très vite, j’ignore si j’ai un rapport avec ce Paul.
    L’œuvre est intéressante pour tout ce qu’elle a provoqué, mais c’est sûr qu’on aurait sans doute aussi bien pu l’oublier très vite.

  9. By ada on Fév 14, 2010

    Votre article sur Siu Lan Ko est clair. Par contre celui sur la fécondité est confus. Avec les images qui illustrent votre propos, on ne peut savoir quel est votre point de vue. Êtes-vous pour le retour aux années 50 pendant lesquelles les femmes restaient à la maison, tel un Zemmour (sexiste et raciste) qui publie le « premier sexe » ou êtes-vous pour l’évolution des rapports hommes-femmes, de notre démocratie en étant vigilant, comme le souligne Badinter dans « le conflit », à notre époque de régression des droits de la femme (et votre article sur l’autocensure le décrit bien pour l’oeuvre de la jeune femme artiste censurée par le directeur de l’école des beaux-arts de Paris) ? Bref, peut-être faudrait-il clarifier votre propos.
    Mon point de vue en tous cas est celui-ci : Maintenir les femmes au foyer est une idée conservatrice qui remet en cause 30 années d’échanges et d’évolution des droits de la femme et donc de la démocratie. Et cette idée, dont les hommes et les femmes se trouvent assujettis insidieusement par notre gouvernement est distillée par de multiples exemples, qui paraissent à certains, certaines anodins, comme l’allaitement prolongé (soit-disant par les pédiatres, mieux pour l’enfant et adieux le lait en poudre décidé par Kouchner !), les couches à laver (que les hommes majoritairement ne lavent pas) des écologistes… Jusqu’au pourcentage énorme que l’on nous cache de femmes au chômage, parmi les chômeurs, ou très en dessous du smig, donc obligées de rester à la maison car le plafond de verre patriarcale les y oblige.
    Bref, je pense que dans des milieux intellectuels, une vigilance s’impose car le pouvoir des mots vient vite, et l’application tête baissée derrière. Les femmes doivent avoir accès au travail comme les hommes, n’est-ce pas ? Les artistes femmes sont aujourd’hui censurées par des directeurs d’école nationale des beaux-arts, cela aussi c’est un signe.
    La détérioration des rapports entre hommes et femmes est une réalité et touchent tous les milieux sociaux, toutes tranches d’âge.

  10. By Jean-no on Fév 14, 2010

    Oui, j’ai du mal à m’expliquer.
    Avec mes images je renvoyais un peu tout le monde dos à dos : le travail qui libère la femme et la maternité comme devoir envers la société… Je ne crois ni à l’un ni à l’autre.
    Je ne suis pas pour le retour aux années 1950, et je comprends bien que c’est en réaction à cette époque où la femme n’avait pas le droit de grand chose sans autorisation de son époux qu’Élisabeth Badinter s’exprime. Mais je pense qu’elle a tort de considérer la maternité (et l’allaitement) comme une aliénation pour la femme, parce que, même si c’est un cliché de dire ça, être parent (mère ou père peu importe) est une des rares choses qui donnent un sens à l’existence (il y en a d’autres cependant), et je ne vois pas pourquoi on devrait mal le faire au nom d’une liberté de je ne sais quoi.
    Élisabeth Badinter a fait des études et passé des examens pour le plaisir, enfin pour elle, puisque comme ça a été beaucoup dit, elle n’a jamais connu la misère. Son rapport au travail comme libération de la femme est donc valable pour elle (avoir une activité intellectuelle de haut-vol pour faire un pied de nez au papa publicitaire et pour humilier sa mère ?) mais pour sa bonne, qui laisse ses enfants à la crèche pour venir épousseter les livres ?
    Le travail est une libération mais aussi une possible aliénation, et je ne pense pas qu’aucune femme devrait se sentir honteuse de vouloir s’occuper de ses enfants. Je pense que les problèmes ne sont pas du tout là, ils sont dans le fait que le monde du travail est organisé autour des hommes et de la compétition, où les femmes ne risquent pas de briller : on leur demande de faire semblant d’être des hommes ou de s’écraser, dans les deux cas elles sont perdantes.
    Je trouve dommage qu’Élisabeth Badinter soit dans le déni de la biologie. Si le lait maternel fait des enfants en meilleure santé, eh bien quel problème ? Et si la neurologie prouve que l’instinct de s’occuper des petits existe malgré Simone de Beauvoir, pourquoi refuser de l’admettre ? (d’autant que cet instinct n’est pas exclusivement féminin). Mme Badinter appartient à une génération qui a cru en la technologie et en la chimie pour faire quitter à l’homme son état animal. C’est pourtant absurde, d’autant que l’état naturel explique l’amour des parents pour les petits mais c’est bien la culture, l’éducation ou la politique qui expliquent que ce soient les femmes qui prennent en charge toutes les tâches ménagères. La nature ne peut pas être ennemie de l’espèce humaine.

  11. By ada on Fév 15, 2010

    Merci pour la tentative de clarifier le propos. Votre intérêt à l’éducation des enfants et à sa participation est de ce point de vue avancé. Alors du côté de la classe sociale, ce qui est curieux dans votre texte, c’est de considérer que les femmes font des études « pour le plaisir », et donc que cela n’est pas une conquête particulière. Mais en connaissant la misère, faire des études c’est aussi pour le plaisir et c’est pour soi, évidemment. C’est se grandir, avoir les moyens de mieux comprendre notre monde. Badinter a 3 enfants, et même si Beauvoir n’en avait pas, elles ont un avis sur le droit des femmes et l’accès au travail (tout comme les hommes), dans le sens de ‘gagner sa vie’, être autonome et responsable, créer est du même ordre et décider. La femme de ménage dont vous parler avec un peu de condescendance, c’est aussi l’étudiante qui fait un petit job pour payer ses études et pouvoir écrire, publier ses idées telle une Badinter ou une Beauvoir (même si les idées divergent, ou si elle s’y confronte) C’est cette société ou les femmes brillent aussi car elles produisent des oeuvres, elles ont l’espace (‘une chambre à soi’ de Virginia Woolf) et les moyens, et de l’argent pour ne plus être esclave de leur mari, père, directeur… Elles dialoguent donc et avoir un travail dans la société ne les confine pas (plus), de façon isolée, dans un intérieur (à moins d’être entretenue, avec un ordinateur à elle et une connexion aujourd’hui, sans ordres ni jugement d’un tiers) Après la question de la neurologie, heureusement que les femmes et les hommes parviennent à élever leurs enfants, dans la sphère privée, comme ils le sentent, sans se soumettre à de grandes lois qui apparaissent déterministes si ce n’est définitives. Dans des domaines scientifiques, les femmes sont encore trop exclues pour pouvoir, elles aussi, prouver que leur corps leur appartient avant tout et ça dans la biologie, que la moitié de l’humanité ne puisse pas apporter son expérience, c’est terrifiant. Il nous faudrait donc écouter ébahies les jugements que l’on pose sur les femmes du déni de ceci du déni de cela (si ce n’est pas celui de grossesse c’est celui maternel…) Il nous faudrait admettre ? Une sorte de résignation d’après votre point de vue.
    Je ne sais pas si Badinter fait quitter les hommes de leur état animal. Pas d’inquiétude à avoir. Si un homme écrivain faisait quitter la femme de son état animal, ce serait très intéressant à lire.
    Je pense aussi que l’instinct maternel, tout comme le paternalisme, n’est pas réservé à un genre en particulier.

    Mais oui, je suis aussi persuadée que le travail est aliénant, mais celui de création est très enrichissant et ça, écrivaines, artistes, professeures… Les métiers ne manquent pas et celui de femme de ménage peut être un passage instructif. Et l’accès à ces métiers nécessite d’avoir du temps à soi et de l’indépendance (dans la pensée et aussi matérielle) Chercheur(e)s c’est une vie.

  12. By Jean-no on Fév 15, 2010

    L’indépendance des femmes n’est pas une conquête négligeable, mais la question que je me pose ensuite est de savoir qui, dans l’emploi salarié (homme ou femme) est libre en étant employé – je veux dire qu’il y a une part d’aliénation aussi dans le travail. Aliénation et indépendance : c’est une situation ambivalente quoi. Mais elle l’est plus pour certains que pour d’autres, de même que les études sont une nécessité pour certains et un loisir pour d’autres, pure question de milieu social. Je ne reproche pas à Élisabeth Badinter d’être née avec une cuiller en argent dans la bouche : elle n’y est pour rien et toute sa biographie prouve qu’elle lutte (sans pour autant avoir fait voeu de pauvreté mais pourquoi le lui demanderait-on) contre son origine bourgeoise. Pour autant, ses idées ne sont pas celles qu’aurait quelqu’un qui aurait eu une vie différente, et son sens des priorités non plus.
    Là où je suis en franche opposition avec le point de vue d’Élisabeth Badinter c’est que je pense que les enfants ne sont pas fatalement un terrain d’oppression pour la femme, ils peuvent aussi être l’objet même d’une coopération dans le couple et dans la société entière (puisque les petits d’homme ne sont pas élevés exclusivement par leurs parents biologiques).
    Mais évidemment, dire que les enfants sont quelque chose d’important dans une vie ne signifie pas mécaniquement que les femmes doivent gagner 30% moins ni qu’elles doivent être cantonnées aux tâches ménagères. Je pense au contraire que la société toute entière devrait cesser de vivre dans le déni de la parentalité et accepter (pour son plus grand bénéfice d’ailleurs) que les parents se préoccupent de leurs enfants.
    Vous me direz qu’Élisabeth Badinter ne dit pas autre chose, mais entre les lignes, j’ai l’impression que sa conquête féministe passe par le fait de refuser aux femmes d’être des mères. Or tout le monde ne peut pas être prof, artiste ou écrivain, activités qui permettent en douce de détourner son instinct (si si) d’être père ou mère, d’éduquer, d’accompagner et de faire naître aussi.
    Peut-être qu’il faudrait que tout le monde soit artiste, un peu artiste – je suis même très pour la généralisation de l’artiste du dimanche ou de l’écrivain pour le plaisir, et le web a un rôle à jouer là dedans d’ailleurs.

    Sur la neurologie et les hormones, je ne pense pas que les femmes soient condamnés à subir la société patriarcale, mais qu’il faudrait que chacun comprenne bien son fonctionnement individuel (qui est très divers, le sexe est loin d’être tout : la production de testostérone (agressivité, libido) chez une femme varie de 1 à 10 par exemple) pour pouvoir ensuite en tenir compte et parvenir à se libérer de ses entraves, en accord avec soi-même et avec sa nature.
    Le souci de la « nature » c’est qu’on s’en sert pour des discours déterministes : « la nature d’untel est ainsi faite donc voilà à quoi il est condamné »… Or la « nature » n’est que le point de départ.

  13. By ada on Fév 15, 2010

    La sonnette d’alarme actuelle révèle qu’en 2010, en France, nous sommes en train de régresser : les droits acquis depuis plus de 30 ans, dont celui des femmes, s’effacent. On n’encourage plus les femmes à s’élever (comme on le fait pour les hommes), choisir, le gouvernement les encourage à rester à la maison, (ne plus choisir), à s’occuper de leurs enfants et il y a plein de bonnes raisons évoquées. Les françaises sont celles qui font le plus d’enfants et celles qui sont le plus au chômage, en comparaison avec l’Espagne ou les pays du Nord. Elles disparaissent aussi peu à peu des statuts, dits « supérieurs » et du gouvernement, des instances de pouvoir et de décision sur les lois. Ce qui permet à une société conservatrice de les détourner de leur instinct de production, de réalisation.
    Mais peut-être que je vous rejoins en ce point : on n’encourage plus les hommes, en France, à s’occuper de leurs enfants. Dans les pays scandinaves, l’aventure est tout autre (modèle norvégien : http://www.ilo.org/wow/Articles/lang–fr/WCMS_081528/, même si cela peut devenir des stratégies commerciales afin que les employés se plaisent dans leur société, mais c’est un autre débat…)
    En tous cas merci pour l’échange et votre blog, cela permet de développer un peu des questionnements pas tout à fait complets. Si vous avez un lien sur le point de vue sur la neurologie cela m’intéresse d’en apprendre un peu plus.

  14. By Tom Roud on Fév 15, 2010

    Ce qui me frappe dans cette histoire de Badinter, c’est le décalage de génération au niveau de l’analyse des problèmes. Les difficultés des femmes, ce n’est pas l’allaitement ou l’écologisme, le plafond de verre, il est beaucoup plus dû aujourd’hui au « travailler plus pour gagner plus » et à sa version internationale, ou, comme le dit Jean No, à l’idélologie d’accomplissement par le seul travail que Badinter défend justement. Aujourd’hui, dans les professions « d’élite », on estime normal, souhaitable, on se vante, on revendique le droit de travailler 60 h par semaine pour être compétitif et productif, mais comment on fait quand on a des enfants ? C’est criant dans mon domaine, la recherche, où on voit tout le monde passer ses week-end au labo par « passion » (officiellement). Et cela devient de plus en plus institutionnalisé : certains chercheurs organisent leurs meetings le samedi pour forcer leurs étudiants à revenir au labo le week-end (souvenez-vous que si vous bossez le week-end, vous êtes 40% plus productifs tomroud.com/2006/08/28/etre-post-doc-aux-etats-unis). Tout cela me met très en colère.

  15. By Jean-no on Fév 15, 2010

    @Ada : je suis aussi embêté que vous par le constat de la régression du statut des femmes – j’ai deux filles et, en anarchiste de base, je leur souhaite d’échapper à tous les pouvoirs injustifiables, au premier rang desquels le fameux pouvoir patriarcal. Mais je ne considère pas que la question soit liée de manière évidente à la question de la maternité. Que la maternité soit un outil des oppresseurs de la femme n’est pas faux, mais ça n’est pas une fatalité, ça l’est parce que les femmes ont honte de s’occuper de leurs enfants, parce qu’elles ont honte de ne pas être la mère plus-que-parfaite qu’elles ne pourront pas être…

    La Norvège (je connais bien, je suis 1/2 norvégien à vrai dire) est un pays très particulier, qui serait presque parfait s’il n’était pas abominablement ennuyeux et si on y mangeait aussi bien qu’en France (c’est la gastronomie la plus pauvre du monde, les gens ont des cuisines grandes et équipées comme des cuisines de restaurants mais ils y mangent de vagues sandwichs), mais c’est un autre débat. Là-bas, plus qu’à aucun endroit que j’ai jamais vu de ma vie, les citoyens vivent dans une grande égalité, et pas seulement une égalité homme-femmes. Leur smic vaut trois fois le nôtre (normal, ces 4 millions de personnes disposent de près de 10% du pétrole mondial !), c’est un peu l’utopie socialiste réalisée (mais il ne faut pas leur dire car ils sont farouchement anticommunistes), tout le monde a une maison (grande), personne n’a faim,… Et tout ça vient en fait de la situation de la région il y a un siècle et plus : les gens étaient horriblement pauvres, mais forcément solidaires et associés (la nature tue, la moindre erreur est fatale, l’entraide est une obligation), les hommes et les femmes ont toujours été partenaires (avec des rôles bien définis cependant, comme toujours dans le monde rural). Je pense (je connais mais je n’y vis pas et ça fait quelques années que je ne’y suis pas allé) que l’émancipation des femmes là-bas passe par la valorisation du fait d’être parent (je dis bien parent et pas uniquement mère). Il n’y a pas d’école maternelle, mais des jardins d’enfants, et prendre du temps pour ses gamins (qui ont 3 heures de classe de moins que les nôtres) est totalement normal. Dans les restaurants il y a des sièges pour bébés partout (et depuis longtemps)… Il faut dire que le pays souffre de dénatalité.
    Mais aussi en Norvège, les gens ont fini leur journée de travail au milieu de l’après-midi, ils ne sont pas aux 35h mais plutôt aux 30 ou 32 heures, ils ne consacrent pas tout leur temps au boulot et aux transports. Le modèle est difficilement calquable ici : autre passif, autre histoire, autres priorités, autres contraintes (pas ex. la maison impeccablement tenue et le fait de prendre deux douches par jour est infiniment plus important que de faire de la bonne cuisine ou être élégant). Mais ça vaut le coup de comparer. Une autre chose étonnante est la question de la « productivité » : les trois pays où les gens sont les plus productifs sont extrêmement différents : 1) La Norvège (30 h de boulot par semaine seulement, et après l’heure, c’est plus l’heure, on rentre chez soi manger des gâteaux ou participer à des réunions weight watchers), 2) les US (lire Tom Roud plus haut) et 3)… La France, où on bosse un nombre d’heures apparemment raisonnable mais où les a-côtés (1 à 2h de pause déjeuner, l’apéro ensuite, les transports) font que le travail est le pivot de l’existence des français. Très étonnantes disparités.

  16. By Jean-no on Fév 15, 2010

    @Ada : sur la neurologie j’ai apprécié le livre Female Brain (publié en France sous le titre débile Les secrets du cerveau féminin). C’est un ouvrage grand public qui fait un peu le point sur ce qu’on sait du rapport entre cerveau, hormones et humeur (au sens mood). L’auteur est par contre un peu persuadée que la féminité est une maladie et qu’il faut se bourrer de médicaments pour y pallier, mais ce n’est pas grave, elle est très lisible malgré ça, car c’est le travail d’une scientifique sérieuse et très au courant des dernières recherches, quelle que soit son opinion.

  17. By Jean-no on Fév 15, 2010

    @Tom : et si tu calcules, ça fait qu’un chercheur post-doc est payé quelque chose comme 20% de moins (à l’heure) que le janitor qui se trouve dans le couloir d’à côté (voilà pourquoi Will Hunting voulait rester agent d’entretien et pas devenir prof du MIT :-))

  18. By ada on Fév 15, 2010

    La valorisation du fait d’être parent, cela est bien plus clair à présent. Jean-no je partage tout à fait votre avis. Après lecture de votre article sur le livre Female Brain dont le titre traduit en français m’avait fait fuir lors de sa parution, je vais peut-être le lire, pas le prendre trop au sérieux. Mais je préfère votre lecture de la Norvège et vos comparaisons avec humour. Bien à vous.

  19. By Jean-no on Fév 15, 2010

    @Ada : Avoir des enfants à mon sens, ça doit être une belle et grande chose pour tous, pas une malédiction pour la femme – je suis donc quelque part d’accord avec Élisabeth Badinter mais pas sur le remède, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau de la vaisselle quoi.

    Une chose étonnante avec « Female Brain » c’est que les nombreuses femmes qui l’ont lu dans mon entourage en ont déduit que ça doit être dur d’être un homme (au niveau purement physique/psychologique), tandis que les hommes (un peu moins nombreux à l’avoir lu dans mon entourage) en ont déduit le contraire : dur d’être une femme.

  20. By Jean-no on Fév 15, 2010

    Note : on m’apprend que le temps de travail a pas mal augmenté dernièrement en Norvège. J’ignore si la condition des femmes a changé.

  21. By as on Fév 16, 2010

    pour la démission d’henry claude cousseau et de son actuelle équipe ! c’est scandaleux !

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