Profitez-en, après celui là c'est fini

The Anderson Tapes

février 20th, 2010 Posted in Surveillance au cinéma

Le DVD était soldé quatre euros. La collection s’appelle « Martini movies ». Le film, The Anderson Tapes (en Français : Le dossier Anderson) date de 1971 et est réalisé par Sidney Lumet (Douze hommes en colère, SerpicoUn après-midi de chienNetwork,…). Sur la jaquette, fort laide, on voit Sean Connery quarantenaire, Christopher Walken dont c’est le premier vrai rôle au cinéma et Dyan Cannon, troublant sosie de l’ancien garde des sceaux Élisabeth Guigou. Dyan Cannon est connue pour avoir été l’avant-dernière épouse de Cary Grant et pour avoir incarné le juge Whipper (c’est à dire « fouettard », qui est incompréhensiblement rebaptisée « juge frimousse » dans la version française) de la série Ally McBeal.
Je n’avais jamais entendu parler de ce film et la mention « Martini Movies » promettait un film policier ou un film d’espionnage suranné et réjouissant.
Bref, une acquisition irrésistible.
Les bandes magnétiques visibles au premier plan du visuel de la jaquette auraient dû me mettre la puce à l’oreille : The Anderson Tapes a plus d’un lien avec les sujets que je traite régulièrement sur le présent blog.

Le film commence par un générique rédigé en typographie de type MICR, évoquant fortement l’informatique, nous verrons plus loin pourquoi. Sur un écran de télévision, filmé en direct avec une caméra vidéo portable, Sean Connery raconte son parcours de cambrioleur pendant une séance de discussion de groupe entre détenus d’une prison. Il évoque le caractère (dit-il) sensuel du métier de perceur de coffres-forts. L’animateur de la discussion lui fait remarquer que son métier de cambrioleur était peut-être un dérivatif, un moyen de remplacer une vie affective normale.

Le cinéphile trouvera savoureux d’établir un parallèle avec le film Marnie (1964) de Sir Alfred Hitchcock, qui est pour les uns le dernier chef d’œuvre du maître, pour les autres, le début de la fin de sa carrière, et dans l’absolu, un des plus cuisants échecs commerciaux du maître du suspense comme de Sean Connery lui-même, qui tentait alors sans succès d’exister par un autre biais que par son rôle de James Bond. Dans Marnie, le personnage de Mark Rutland, interprété par Sean Connery, enquêtait sur une de ses employées, Marnie Edgar (Tippi Hedren), qu’il avait pris en flagrant-délit de dévaliser son coffre-fort. Plutôt que de livrer Marnie à la police, il l’avait  laissé faire et l’avait forcée à l’épouser. La scène du coffre-fort reste un petit chef d’œuvre de perversité et Hitchcock établit constamment un lien psychanalytique entre le vol et la sexualité — parallèle assez naïf et furieusement phallocrate ou en tout cas très daté : le héros épouse sa femme en la faisant chanter mais lorsqu’elle lui refuse ses faveurs, c’est parce qu’elle est névrosée ! Malgré toutes ses qualités cinématographiques, Marnie est à peu près aussi « psychologique » (qualité qu’on lui prête souvent) que La mégère apprivoisée de Shakespeare.

The Anderson Tapes est selon beaucoup d’historiens du cinéma le film qui a permis à Sean Connery d’abandonner son rôle de James Bond. Tout s’y passe à l’envers de Marnie : le héros n’a que peu de contrôle sur les évènements dont il se croit le planificateur ; la belle blonde est amoureuse de lui mais exerce le métier de courtisane et elle quittera assez cyniquement le cambrioleur, dont elle est pourtant amoureuse, pour son « bienfaiteur ».
Enfin, le climax moraliste est tout sauf un happy-end. Il a été imposé par les producteurs qui avaient peur que l’impunité du héros fasse fuir le public.

The Anderson Tapes se résume rapidement : à peine sorti de prison, Sean Connery décide de dévaliser l’immeuble huppé dans lequel habite sa maîtresse, le jour du labour day, à New York. La première partie du récit est consacrée à la préparation de l’opération : recrutement de complices, pourparlers avec la maffia, repérages,… La seconde partie du film montre le cambriolage en train de se faire, l’action de la police et la fin funeste de l’entreprise. Le récit du cambriolage est intercalé de scènes situées dans le futur, pendant l’enquête qui va suivre. Les témoins ou les victimes racontent ce qu’ils ont vu, entendu ou ressenti. Ce montage non-linéaire fonctionne assez bien.

Cette trame mille fois traitée au cinéma se distingue ici par le motif redondant de la surveillance. Le tout début des années 1970 marque en effet le départ véritable de la surveillance vidéo urbaine1. Plus étonnant rétrospectivement, The Anderson Tapes évoque la surveillance sonore par les services de police ou le FBI, détail prémonitoire à l’affaire du Watergate, qui a éclaté le 17 juin 1972, soit un an jour pour jour après la sortie du film. Chaque fois qu’un dispositif de surveillance apparaît à l’écran, il est salué par un son de synthétiseur analogique, qui nous signale que le fait est d’une nouveauté et d’une modernité extrême, aux limites de la science-fiction.
Pour « Duke » Anderson, qui a passé des années en prison, ce monde de surveillance est quelque chose de complètement nouveau, et ce film aura au moins la vertu de nous rappeler que les caméras omniprésentes dans l’espace public ont un jour été quelque chose d’inédit.

Dans The Anderson Tapes, le processus de préparation du cambriolage rencontre constamment des services de surveillance qui ne communiquent pas entre eux : services fiscaux, surveillance politique (avec la surveillance d’un local des Black Panthers, notamment), police, brigade des stupéfiants, détectives privés,… Mais c’est chaque fois par accident car « Duke » Anderson, le héros, n’est pas surveillé (excepté au début du film, peu après sa libération, lorsqu’il est pris pour un voleur alors qu’il essaye d’aider un ancien co-détenu dans une gare ferroviaire), il est amené à fréquenter des gens qui le sont, mais personne ne s’intéresse à son cas à lui, et donc son opération de cambriolage est préparée puis exécutée sans que les services policiers concernés soient avertis.
C’est finalement un enfant paraplégique et radio-amateur qui préviendra la police.

Le film contient une certaine part d’humour noir en ce sens que tous les gens « normaux » et respectables ont des réactions anormales au cambriolage : une vieille dame y voit l’aventure de sa vie, un homme marié préfère laisser son épouse se faire torturer (ce qui n’arrive pas) que de donner la combinaison de son coffre, le gardien de l’immeuble accepte contre un petit billet que les locataires (ses employeurs) soient espionnés, et l’état dépense une énergie considérable à surveiller les citoyens. Lorsque l’affaire du cambriolage de John « Duke » Anderson et ses complices est terminée, tous les services qui ont pratiqué des activités de surveillance se dépêchent de tout effacer car leurs enregistrements sont illégaux, donnant raison à « Duke » qui expliquait au début du film à quel point la frontière qui sépare parfois l’illégalité de la légalité peut être fine : « Qu’est-ce que la publicité sinon un abus de confiance légalisé ? Et que diable est le mariage ? Extorsion, prostitution et racollage avec un cachet gouvernemental. Et qu’est-ce que la bourse ? Une course de chevaux truqués.  Dans certains business, un gars vole une banque et c’est une réussite. On voit sa tête sur tous les magazines. Un autre gars vole un magazine et il se fait arrêter ».2

The Anderson Tapes traite de nombreux sujets d’une grande actualité au moment de sa sortie et semble porter un message politique : la société peut se montrer hypocrite et l’état est parfois l’ennemi du citoyen.
Pourtant l’ensemble reste léger et profite d’une bande originale toute en orgue Hammond par le grand Quincy Jones, qui préfigure un peu son désormais classique3 Summer in the city sorti deux ans plus tard.

  1. Selon Wikipédia, la ville d’Olean, dans l’état de New York, a été la première municipalité américaine à s’équiper d’un réseau de caméras, en 1968. []
  2.  What’s advertising but a legalized con game? And what the hell’s marriage? Extortion, prostitution, soliciting with a government stamp on it. And what the hell’s your stock market? A fixed horse race. Some business guy steals a bank, he’s a big success story. Face in all the magazines. Some other guy steals the magazine and he’s busted. []
  3. Summer in the City par Quincy Jones est une reprise de la chanson de Lovin’ spoonful, mais la version de Quincy Jones a connu un regain de succès récent en servant de base à des morceaux emblématiques du Trip hop et du Hip Hop par Massive Attack, Nightmares on Wax et Pharcyde notamment. []
  1. 4 Responses to “The Anderson Tapes”

  2. By david t on Fév 20, 2010

    à propos de films parlant de surveillance sur bande audio, tu connais certainement the conversation?

  3. By Jean-no on Fév 20, 2010

    Je l’ai, il m’attend bien au chaud sous son cellophane, il faut que je le regarde. J’y ai pensé hier justement mais finalement ça a été le James Bond (Quantum of Solace), pas fameux d’ailleurs.

  4. By david t on Fév 21, 2010

    nonobstant son intérêt thématique, the conversation est surtout un petit chef d’oeuvre mésestimé du cinéma américain ’70. du vrai bon cinéma. n’attends plus! :)

    (note, j’ai pas détesté le james bond, mais bon, c’est pas la même chose.)

  5. By Jean-no on Fév 21, 2010

    J’accepte les parti-pris (James Bond qui ne rigole pas ; Mathieu Amalric en méchant ; le titre incompréhensible) mais je trouve ça trop mal filmé. Une poursuite de voitures en plans rapprochés, c’est feignant et difficile à comprendre, dommage quand même pour James Bond dont la qualité a toujours été la lisibilité des scènes d’action. Bref, une longue et frénétique pub pour bagnoles… Je suis sidéré de me dire que je préfère les scènes d’action des Bond/Roger Moore :-)

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