Jean-Jacques reloaded
avril 14th, 2008 Posted in CimaisesÀ l’heure qu’il est, Jean-Louis Boissier vient de prendre son vol pour Tokyo où il part présenter la dernière version en date d’une installation historique dont il est l’auteur, La morale sensitive. Comme le Cdrom Moments de Jean-Jacques Rousseau (qui est dérivé de la morale sensitive, ou inversement) il s’agit d’un des tous premiers projets d’envergure sur lesquels j’ai travaillé, on peut dire que j’y ai fait mes armes de programmeur.
La morale sensitive relève du cinéma interactif, ce que je ne vais pas me hasarder à décrire en détails ici. Disons juste que, contrairement à ce que l’on supposerait d’instinct en entendant parler de « cinéma interactif », il ne s’agit pas ici de récit « à choix multiples » à la façon des livres dont vous êtes le héros ou du Smoking/no Smoking d’Alain Resnais (ou bien…). L’interactivité se situe à un autre niveau, le spectateur est ici invité à manipuler le défilement des séquences, sans le contrôler et sans contrôler la manière dont les images réagissent à son intervention. S’il est pressé, il ne verra pas les mêmes choses que s’il est patient, par exemple. Et s’il n’est pas très attentif, il ne comprendra sans doute que très superficiellement en quoi il agit sur les séquences.
La morale est le fruit du travail d’une équipe très réduite : Jean-Louis Boissier, Liliane Terrier, Maren Köpp et Hajime Takeuchi ont tourné les séquences animées (avec l’aide de trois jeunes gens : Christine Voto, Philippe Donadini et Thierry Guibert), Jean-François Rey s’est occupé de la composition typographique, et j’ai pour ma part assuré la programmation de la partie que le spectateur ne regarde pas, à savoir le défilement des textes de Rousseau et le passage d’une animation à une autre par le texte, en fonction encore une fois de l’activité ou de l’inactivité du spectateur.
La première présentation publique de La Morale a eu lieu après près de deux ans de travail, en 1998, au Fresnoy, sous le titre La deuxième promenade. J’avais passé une nuit blanche dans l’école (le Fresnoy est notamment une école) à régler des problèmes terribles de gestion du hasard. Et le lendemain, c’est la table qui ne marchait pas bien. Car cette installation est composée d’images projetées, et d’une table, en apparence très simple, qui capte les mouvements du spectateur : s’il pose la main à droite, cela déclenche certaines images, s’il la pose à gauche cela en déclenche d’autres. La première version de la table repérait de manière astucieuse, si j’ai compris, la modification du champ électrique induite par les actions du spectateur. Ou quelque chose comme ça. Cette version pionnière se déréglait facilement et, selon le poids du spectateur notamment, elle pouvait réagir bizarement. Le créateur de la table était trop loin de Tourcoing pour nous aider. Pour tout arranger, on nous avait mis à disposition les premiers Macintosh G3 d’Apple (les gris), complètement défectueux. En tout cas j’étais tellement fatigué que je n’ai plus qu’un souvenir confus et irréel de l’arrivée de la meute de critiques parisiens déversés par un bus affrété pour l’occasion. Est-ce que ça fonctionnait ? Est-ce qu’ils ont dit quelque chose ?
Quelques semaines plus tard, je suis reparti installer l’installation dans un immense musée vide à Bonn (qui était encore très partiellement la capitale de l’Allemagne). Moins de stress, mais là encore, j’ai du modifier le programme jusqu’au moment de l’ouverture de l’exposition.
Au fil des ans, le programme s’est étoffé, des séquences ont été ajoutées, la table a été arrangée, puis complètement changée (de l’électricité aux infra-rouges).
Dans la dernière version, la table est encore différente, les mouvements du spectateurs sont cette fois repérés par une caméra à infra-rouges, pilotée par un système mis au point par le jeune et talentueux Dominique Cunin.
Jean-Louis m’a demandé de remettre le nez dans mon programme pour réaliser l’interface entre le système créé par Dominique et le programme existant, mais aussi pour l’adapter en japonais et en anglais. Cela m’a pris plus de temps que prévu, car j’ai eu toutes les peines du monde à relire mon propre code. Le langage que j’utilisais ici (Lingo), a beaucoup changé en dix ans, mais ce n’est pas tout : mon écriture a changé elle aussi, mon style. J’ai progressé, je me trouve à présent une écriture plus légère, plus assurée, moins faussement astucieuse. Je ne tartine pas mes programmes de vérifications de leur bon fonctionnement ou de béquilles, de rustines et d’arc-boutants plus ou moins appropriés. J’essaie avant tout d’être lisible pour moi-même et pour. J’ai cessé de donner des noms idiots à mes variables et à mes fonctions, aussi.
En relisant mon code, je pouvais retrouver l’époque de rédaction de chaque ligne et la version du logiciel Director correspondante : 1997, 98, 99, 2000… J’avais la furieuse et pénible impression d’être en train de relire les écrits philosophiques ou politiques que j’ai pu commettre à 15 ou 16 ans.
Après un petit mois passé à souffrir sur un programme dont le fonctionnement me semblait fort mystérieux malgré la familiarité de ce que j’y lisais, je me suis dit, il y a pile une semaine, que j’allais tout reprendre à partir de zéro, refaire intégralement la Morale sensitive que j’avais mis, dans un premier temps, plusieurs années à réaliser. Le premier jet était près au bout de quelques heures et le programme était fini lundi dernier. Il ne restait plus que quelques tests à faire.
Le résultat se trouve sur un petit disque dur firewire, dans un avion, prêt à être montré (re-montré, si je ne m’abuse, d’ailleurs) aux visiteurs de l’Intercomunication center (ICC) de Tokyo.
Au printemps 2009, La Morale sensitive sera présentée à la galerie de l’école d’art du Havre et, à partir d’une date que je ne sais plus, au musée d’Annecy.
3 Responses to “Jean-Jacques reloaded”
By laura on Sep 4, 2008
Bonsoir,
Je suis très intéressée par ce dispositif, et ai vu déjà que le cd rom était épuisé. Vous croyez qu’il sera réédité ? ou bien que la Morale sensitive sera éditée ? ou alors… il va falloir prendre le train jusqu’au Havre ou Annecy ??
Bien à vous
LN
By Jean-no on Sep 4, 2008
Je n’ai malheureusement pas d’informations pour l’instant, mais j’en donnerai sur ce blog s’il y a du neuf.