La fin d’un certain web expérimental
janvier 30th, 2010 Posted in Design, Interactivité, PersonnelJe découvre ce matin que le site du Musée Grand-Duc Jean du Luxembourg (Mudam) vient d’être changé. Cette mutation clôt un cycle de près de dix ans pendant lesquels les choix esthétiques et éditoriaux du site avaient été confiés à Claude Closky. Ce n’est pas un évènement inattendu, il était plus ou moins programmé depuis le changement de direction du musée, il y a un an, et il avait été annoncé plus précisément aux collaborateurs du site (au nombre desquels j’ai eu le plaisir de figurer) il y a deux mois.
Le nouveau site est propre et lisible, il ressemble à tous le autres sites de musées, c’est dans l’ordre des choses. Il est un peu dommage cependant que l’on n’accède plus1 aux œuvres en ligne commandées à divers artistes (Peter Kogler, Cercle Ramo Nash, Hervé Graumann, François Curlet, Emmanuelle Antille, Zhou Yi, Éric Maillet, David Shrigley, et j’en passe), aux diaporamas de Pierre Leguillon ni aux textes écrits pour la revue en ligne du site (Jean-Charles Masséra, Carole Boulbès, Simon Lamunière, Alexandra Midal, Jérome Glicenstein, France Valliccioni, Sara Tucker, et d’autres).
C’est pour moi un indice assez fort de la normalisation générale du web, notamment dans le domaine artistique. Comme tous les médias, le web aura dédié quelques années à se chercher, des années à la fois enthousiasmantes, puisque tout était à inventer, et horripilantes, puisque rien ne fonctionnait bien et que la lisibilité et la qualité informative des sites n’était pas toujours leur point fort.
Un article a été publié sur le nouveau site pour rendre un hommage à l’ancien, et cette forme d’allocution funèbre (le titre est « le site de Claude Closky n’est plus ») dit de l’ancien Mudam point lu quelque chose que je trouve excessivement faux : « il était bien en avance sur son temps ».
S’il avait été en avance sur son temps, ce site aurait été un blog, un wiki, un réseau social ou bien encore un de ces affreux sites défectueux au format flash que produisent les boites de communication pour des institutions diverses. Mais puisqu’il est fort improbable que les principes de navigation inventés pour les trois premières versions du site Mudam soient généralisées à l’avenir, celles-ci ne sont annonciatrices de rien d’autre que d’elles-mêmes et peuvent donc avoir été en avance sur quoi que ce soit (arh, cette rhétorique du « en avance » ou « en retard » qui voudrait nous faire croire à l’inéluctabilité du progrès et aux lignes droites…).
Par ailleurs, chaque détail du site Mudam point lu procédait d’une interrogation critique du média, interrogation qui ne peut par définition intervenir qu’en réponse à des pratiques existantes : le pop-up publicitaire, le musée virtuel en trois dimensions, les push-medias,…
En fait, Mudam point lu période Closky aura été un site de son époque, l’époque du web non plus vraiment balbutiant, mais volontairement inconscient des règles et par conséquent ambitieux, l’époque du web qui a accompagné le processus de constitution d’un académisme du genre.
Aujourd’hui, un site internet doit répondre aux attentes, on doit y trouver ce que l’on y cherche. On peut se poser des questions sur cette approche un peu pleutre qui fait que nous ne cherchons que ce que nous connaissons déjà, mais c’est ainsi, il nous semble à présent absurde que le site d’un musée, d’une galerie, d’une agence de graphistes ou d’une école d’art ne nous accueille pas avec les informations le plus factuelles dans l’ordre le moins inattendu possible, de même que nous n’acceptons le cinéma, la littérature ou bien d’autres supports qu’à condition qu’un certain nombre de règles soient entendues entre les producteurs et les consommateurs. Cela se comprend : il serait sans doute épuisant de ne jamais pouvoir s’habituer à quoi que ce soit, de tout vivre comme une expérience nouvelle.
Dans tous ses sites de commande (Musée de la publicité, 1% Île-de-France, Synesthésie, Net.art, Mudam ou le Magasin), Claude ne s’est jamais montré auto-indulgent, à l’inverse à mon avis de nombre de créateurs de sites web primitifs.
Chaque fois, il a réfléchi longuement à des principes fonctionnels certes originaux mais toujours très cohérents : si l’on comprenait les règles de navigation du site, volontairement simples, on y trouvait tout ce que l’on voulait de la manière la plus rationnellement hiérarchisée. Sa réflexion s’est par ailleurs toujours appuyée sur les spécificités du média (ne pas tenter de transformer un livre en site web,…). Une leçon de design, quelque part.
Un contribuable luxembourgeois s’était plaint par e-mail de ce que, je cite, « Le site entier est à l’encontre de toutes les règles définies par l’Internet ». Ce serait un joli compliment, d’une certaine manière, si les faits n’avait pas fini par donner raison à ce monsieur qui ajoutait : « Il est clair qu’un musée ne peut pas se doter d’un site Internet ennuyeux du point de vue graphique, mais il est quand même évident qu’il s’agit toujours d’une source d’informations et non pas d’une oeuvre d’art contemporain ».
Et en disant qu’il a eu raison, je ne parle pas de Mudam point lu mais de tous les efforts réalisés à une certaine époque pour que les sites d’institutions artistiques se démarquent des autres.
- En fait, si, je viens d’apprendre que l’ancien site était accessible à l’adresse archive.mudam.lu [↩]
10 Responses to “La fin d’un certain web expérimental”
By Jo on Jan 30, 2010
N’aurais-tu pas déjà traité ce sujet? Il me semble l’avoir déjà vu. Je m’excuse de faire cette remarque.
By Jean-no on Jan 30, 2010
Je me répète souvent ! Je pense que la dernière fois que j’ai causé de ce sujet ici, c’était dans des discussions en commentaires, mais pas dans un article dédié.
By fränz on Fév 1, 2010
cet article est tout aussi inutile que ce que sont devenus les sites de claude closky que le contribuable luxembourgeois que je suis a trouvés intéressants au moment de leur lancement, mais qui n’ont jamais réussi à répondre à leur raison première et élémentaire (pendant un bon moment, si mes souvenirs sont bons, on ne pouvait pas le consulter avec un PC). En étant confié à un artiste, le site était très « concept » dans le sens novateur du terme (expérimental, comme le dit le titre de l’article, et il s’agit là d’une idée très légitime d’un musée), mais son existence est devenu rapidement inutile, car le contenu artistique/éditorial n’arrivait pas à se renouveller.
By Jean-no on Fév 1, 2010
@fränz : c’est l’attente du « surfer » qui a changé et pour qui la qualité expérimentale d’un site d’artiste est devenue une gène plutôt qu’autre chose. Les temps ont changé et il est normal que le site change avec eux.
Par contre un point : le site a toujours été consultable depuis un PC, et je peux d’autant plus facilement le dire que je l’ai réalisé, pour bonne part, et que je suis utilisateur de PC.
By Stéphane Deschamps on Fév 10, 2010
On entend une petite amertume dans ton article, non ?
En tout cas, je compatis. Un peu bêtement certes sans doute, mais je compatis.
By Jean-no on Fév 10, 2010
Bah, les temps changent, c’est dans l’ordre des choses, il y aura de nouvelles occasions de s’enthousiasmer
By ada on Fév 14, 2010
Très bien cet article ! Merci ! Dans mes favoris, et hop !
By emoc on Fév 20, 2010
Dans mon souvenir, le terrain expérimental se réduit autour de 2004, et du service pack 2 de windows. C’est à partir de là qu’une petite ligne est apparue dans explorer, navigateur dominant, pour indiquer qu’une fenêtre pop-up tentait de s’ouvrir et qu’ie l’en empêchait. Ca partait d’une bonne intention, réduire le volume de publicités envahissantes, mais ça aura précipité la fin des fenêtres de toutes tailles qu’on pouvait alors ouvrir/(dé)placer/dimensionner/faire dialoguer en javascript, et réduit la taille du « terrain de jeu » au cadre de la fenêtre.
Aujourd’hui, les réclames sont toujours là, en pop-ins elles s’invitent directement dans la page, l’usage de la navigation par onglet s’est imposé, les pop-ups sont impitoyablement éliminées… (pas toutes! : http://www.project-euh.com/pong/ )
By Jean-no on Fév 20, 2010
Je regrette pas mal les pop-ups mais il est vrai que c’étaient des éléments d’interface critiques, capables d’être très envahissants et très déstabilisants pour le public.
By pierre on Mar 13, 2012
J’avais parcourus un de ces sites conçu par Closky ainsi que plusieurs sites qui jouaient avec les pop up. Comme un livre ou une peinture se relit ou s’étudie, il faudrait pouvoir réaccéder à tout ces sites et les ranger dans un site plus grand. Il me semble qu’il existe déjà un truc comme ça mais j’ai perdu l’adresse.