Remous au département communication de l’Ésad de Strasbourg
janvier 25th, 2010 Posted in Études, Pas gaiLes écoles territoriales d’art sont en train de changer de statut et vont progressivement être transformées en établissements publics de coopération culturelle (EPCC). Cette forme juridique les rendra partiellement indépendantes de leurs financiers actuels (communes, communautés urbaines, etc.), avec comme contrepartie une certaine précarité, puisque ces tutelles, en n’étant plus que partenaires siégeant au conseil d’administration de l’école, pourront se désengager partiellement ou totalement du budget des établissements. Toujours dans ce cadre, les écoles devront atteindre une taille critique minimale de deux-cent cinquante étudiants, ce qui implique des regroupements d’établissements : fusion du conservatoire et de l’école d’art, ou fusion des écoles d’art de plusieurs villes (les écoles d’art de Normandie par exemple). Tout cela s’inscrit dans le cadre d’une harmonisation européenne de l’enseignement supérieur (accords de Bologne), qui facilite la circulation des étudiants et les équivalences de diplômes en calquant ceux-ci sur ce qui a cours dans le système américain. La réforme en question donne aux écoles d’art des missions nouvelles auxquelles elles ne sont pas préparées mais qui peuvent se révéler passionnant, comme l’organisation d’un troisième cycle d’études (recherche).
Dans les villes qui soutiennent fortement leurs écoles d’art, le passage au statut d’EPCC ne changera pas forcément grand chose, du moins tant que ce soutien sera acquis car un changement de majorité municipale pourra tout remettre en question, notamment, je pense, dans les communes de taille moyenne où le fait d’entretenir une école d’art peut ne pas sembler une mission prioritaire et fédère infiniment moins d’électeurs qu’une équipe de football par exemple. Dans certaines villes, la transition est susceptible de servir de prétexte à faire disparaître des écoles ou de procéder à de substantielles réductions d’effectifs enseignants et/ou étudiants.

Roland Furieux, de l'Arioste, illustré par Gustave Doré — natif de Strasbourg
C’est apparemment ce qui se passe à l’École Supérieure des Arts Décoratifs de Strasbourg dont le directeur, Otto Teichert, a fait connaître son souhait de réduire fortement l’importance du département Communication de l’établissement, qui perdrait la moitié de ses étudiants. Or ce département participe énormément à l’identité et à la notoriété de l’école, il suffit d’énumérer les illustrateurs et auteurs de bande dessinée qui en sont issus : Matthieu Sapin, Marjane Satrapi, Serge Bloch, Lisa Mandel1, Hélène Georges, Boulet, Lucie Durbiano, Nicolas Wintz, et n’oublions pas Christian Hincker, dit Blutch, qui est cette année le président du Festival d’Angoulême et qui est un dessinateur et un auteur exceptionnel2. Rappelons par ailleurs que la ville de Strasbourg a récemment ouvert un musée, le Centre international de l’illustration, dédié à Tomi Ungerer, ancien étudiant de l’Ésad bien que ce ne soit pas forcément déterminant dans son parcours puisqu’il avait été mis à la porte de l’établissement pour cause d’indiscipline.
Outre l’illustration, le département Communication de l’École des arts décoratifs de Strasbourg propose deux autres spécialisations : le graphisme, discipline devenue courante en école d’art (d’autant qu’elle est particulièrement professionnalisante), et la didactique visuelle, nettement plus rare. Les trois autres départements de l’école sont le département art, le département design (produit, espace, scénographie) et le département objet (textile, bois, céramique, etc.). À ma connaissance, toutes les options de l’Ésad de Strasbourg ont bonne réputation. En fait, l’école est même d’un excellent niveau et est connue comme une des meilleures écoles d’art françaises, alors pourquoi vouloir procéder à une « normalisation » en réduisant l’importance du département de l’école qui a le plus de succès ? Je peux imaginer des raisons, j’ai pu constater dans d’autres écoles à quel point la bonne réputation d’une spécialisation pédagogique peut vexer les enseignants qui n’y participent pas : dans les écoles d’art comme dans toute entreprise, il n’est pas rare que le succès et la singularité posent plus de problèmes que la banalité ou même, la médiocrité. Cela doit-il être une fatalité ?
On dit que la direction envisage de renommer l’école, qui perdrait l’intitulé « arts décoratifs » qui sert à la désigner depuis 1918 — son tout premier nom a été Kunstgewerbeschule (école d’art et d’artisanat) à sa fondation sous l’Empire allemand — et deviendrait une école des « beaux-arts ». Si cela devait arriver, l’Ensad de Paris sera la dernière « école des arts décoratifs » en France.
On peut suivre l’actualité de cette poussée de fièvre sur le blog jaimemonesad.blogspot.com (mais quand est-ce que les gens estimables cesseront de se faire héberger par blogspot, canalblog, etc. ?) et signer une pétition sur le site lapetition.be. On peut aussi lire un billet publié par Joseph Béhé, chargé de cours à l’école : Gros temps sur l’atelier d’Illustration de l’ESAD.
- Lisa Mandel qui vient de relancer son blog et dont je signale la récente parution de HP : L’asile d’aliénés
, qui raconte les souvenirs effrayants et drôles d’une équipe d’infirmiers en psychiatrie. [↩]
- Blutch a signé l’affiche du dernier film d’Alain Resnais, Les Herbes folles. On lui doit une semi-autobiographie, Le petit Christian, un auto-portrait négatif acide en artiste raté, Blotch, et puis divers albums d’inspiration littéraire, humoristique ou parfois purement visuelle, dont j’aime particulièrement Sunnymoon
, Mitchum
, Péplum
et Vitesse moderne
[↩]