Logiciel « libre » et création artistique
avril 12th, 2008 Posted in Après-cours, logicielsLe logiciel « libre » (librement modifiable et librement diffusable) a fait ses preuves dans plusieurs domaines : les systèmes d’exploitation BSD et Linux ont mis des outils très puissants à la portée de tous, ils constituent même l’épine dorsale du réseau Internet avec l’aide de logiciels comme Apache, Sendmail ou encore mySql (serveurs web, mail et gestionnaire de bases de données). Le logiciel « libre » émane au départ d’ingénieurs, comme Richard Stallmann, excédés par les situations irrationnelles qu’implique parfois la rigidité du copyright : en corrigeant un bug dans un driver d’imprimante, un programmeur se met hors-la-loi ! C’est d’ailleurs toujours le cas la plupart du temps, mais les logiciels distribués en open-source et sous licences « libres » (Gnu, Bsd,…) ont une toute autre philosophie et favorisent le principe même de l’amélioration constante des logiciels, lesquels logiciels ont en plus la vertu de suivre les besoins et les envies de leurs usagers qui ne sont plus forcés de s’en remettre à la sagesse des services markéting d’IBM, Microsoft ou Novell et aux stratégies commerciales parfois calamiteuses de ces derniers.
On a vu des logiciels cesser d’être mis à jour ou disparaître sans être véritablement remplacés pour des raisons qui n’arrangeaient strictement personne et qui s’inscrivaient dans le cadre d’alliances ou de fusions entre grands éditeurs : Sound Edit, Fontographer, PageMaker, Freehand, Hypercard, BeOS, Lotus Organizer… Ce genre de choses n’existe pas dans le logiciel « libre » où les outils sont améliorés et maintenus tant qu’il y a quelqu’un pour vouloir qu’ils le soient.
Mais voilà, le « libre » est bien une invention d’ingénieurs et pendant longtemps, ce domaine de la création logicielle a principalement concerné des outils extrèmement techniques : drivers, systèmes d’exploitation, serveurs, compilateurs,… Il a fallu des années pour que les programmeurs du « libre » s’intéressent un peu aux interfaces graphiques et aux outils bureautiques « conviviaux » et il a fallu plus de temps encore pour qu’ils se penchent sur les outils de création artistique. Je crois me rappeler que le tout premier outil de création diffusé gratuitement et sous une licence proche des licences libres a été POV (Persistence of vision), un outil de rendu d’images 3D. La 3D a toujours été pour moi un domaine étrange de la création visuelle, à mi-chemin entre le défi technique et l’épate artistique, où généralement plus un créateur veut faire de l’art et plus il s’en éloigne – la 3D qui émane des laboratoires de recherche scientifique a longtemps été plus belle à regarder et plus intéressante ou plus originale que les nature-mortes-mortes-mortes pleines de jolis reflets brillants que nous ont infligé tant de créateurs dans le domaine. La tendance a changé, sous l’impulsion notamment du jeu vidéo – où l’immersion et le récit donnent un sens nouveau à la 3D -, sous l’impulsion aussi de gens comme John Lassetter du studio Pixar, qui a rappelé, par ses films, qu’une image épatante ne valait rien sans un bon scénario, et peut-être aussi parce que la culture visuelle des créateurs de 3D a progressé, qu’ils sont moins primaires, qu’ils veulent sortir de la peinture pompier.
Dans le domaine musical, les premiers logiciels de production artistique émanaient de l’industrie et étaient donc des logiciels propriétaires. Les outils de pré-presse et de retouche d’image eux aussi émanaient de l’industrie. Parce que ces outils nécéssitaient pour la plupart une interface graphique, ils sont nés sur Macintosh, sur Atari, sur Amiga et sur le système Irix (l’unix des Silicon Graphics). Or les programmeurs et notamment les programmeurs du domaine du « libre » étaient quand à eux équipés d’ordinateurs sous MS-Dos ou sous Unix non-graphique. Les choses ont sans doute commencé à évoluer au milieu des années 1990, avec le logiciel The Gimp, un logiciel d’image qui ambitionnait d’être un véritable clone de Photoshop. Bientôt quinze ans plus tard, Photoshop est loin d’avoir perdu ses atouts face à Gimp. À la suite de Gimp, de nombreux « clones » de logiciels de création ont été crées avec plus ou moins de bonheur.
Depuis quelques années j’essaie de tirer le maximum de ces outils libres et je délaisse les autres, afin d’évaluer véritablement leurs atouts et leurs lacunes.
Petit point provisoire et subjectif :
- The Gimp : clone de Photoshop. Toutes les images de ce blog sont retouchées avec ce logiciel. L’interface de Gimp, notamment sa gestion des fenêtres ou encore celle des calques sont extrèmement pénibles. Certains outils fonctionnent très bien, d’autres sont des gadgets et d’autres encore ne permettent pas toutes les finesses qu’autorise le vétéran des logiciels de retouche photo. Les filtres standard (niveaux, lumière, contraste, etc.) sont souvent d’une qualité médiocre et peuvent « cramer » les images. Gimp ne gère que la séparation Rouge-Vert-Bleu, ce qui en fait un outil inutile dans le domaine de l’impression professionnelle. Pourtant, chaque année le nombre des aptitudes de Gimp augmente mais plus dans une optique de défi technique (la meilleure utilisation de la mémoire, la plus grande rapidité d’exécution, etc.) que dans une optique de production, où l’expertise d’Adobe semble pour l’instant difficile à concurrencer. Le grand point fort de Gimp c’est la possibilité de programmer des scripts. Contrairement aux scripts de Photoshop (qui ne sont pas écrits mais enregistrés), les scripts de Gimp sont difficiles à mettre au point. En contrepartie, leur potentiel est illimité.
- Des logiciels dérivés de Gimp ont été créés, comme CinePaint, un outil de traitement d’image vidéo, lui aussi distribué sous licence « libre », et qui contrairement à Gimp est véritablement utilisable et effectivement utilisé dans des conditions professionnelles (les films de la série Harry Potter tirent par exemple parti des qualités de CinePaint). L’espace colorimétrique utilisé par CinePaint est (au maximum) en 3×16 bits, c’est à dire des milliers de milliards de valeurs colorées différentes.
- Inkscape : logiciel de dessin vectoriel qui ambitionne de concurrencer Illustrator mais qui rappelle plutôt Freehand, Corel Draw ou le regretté Corel Xara. Plutôt spartiate pour l’instant, il est assez bien fait et embarque quelques fonctions originales comme la génération de codes-barres et la fausse 3D.
- Scribus : concurrent déclaré de QuarkXpress et de Adobe Indesign. Un gros potentiel et une approche qui se veut professionnelle (support des langues exotiques, support de la séparation quadri, etc.). Je ne suis pas assez graphiste moi-même pour juger de l’intérêt véritable de cet outil en conditions de production.
- Audacity : logiciel d’enregistrement de son et de traitement audio multi-pistes. Il me rappelle très fortement feu Macromedia Sound Edit. Bien fichu, assez simple à manipuler, assez puissant, il contient pas mal de bugs mineurs et il lui arrive que tel ou tel filtre aboutisse à un plantage.
- Pour de la musique non linéaire, on peut utiliser Jmax, une version Java (et libre) du célèbre Max.
- Pure Data sert aussi au traitement de signal (audio ou vidéo) en temps réel. Comme pour jMax je suis forcé d’être un peu évasif car je n’utilise aucun de ces deux outils.
- Processing : un logiciel de création visuelle animée qui est en fait une surcouche de Java. Extrêmement pédagogique pour montrer à des étudiants ce qu’est la programmation, très rapide dans la mise en œuvre. Agréable, mais plutôt inadapté aux projets un peu lourds, pour lesquels on préfèrera Adobe Director ou Adobe Flash.
- Open Framework, une librairie C++ pour le codage créatif.
- ContextFree, une interface de programmation graphique en 2D non animée.
- Il existe un projet de logiciel permettant la création visuelle d’animations flash, Flash for Linux (F4l), qui comme son nom l’indique est destiné à la plate-forme Linux. Pour les programmeurs, il existe aussi des librairies et des outils divers comme SwfMill, qui permet de créer des animations à partir d’un code XML, comme le compilateur Actionscript Mtasc, la librairie Ming, et d’autres.
- Pour la 3D, les outils Blender et BrlCad sont à la mode. BrlCad remplace AutoCad, tandis que Blender est un logiciel complet de modélisation, de rendu et d’animation 3D. Blender a la réputation d’être difficile à maîtriser, mais il est puissant, il a notamment été utilisé pour la chorégraphie de certaines scènes du film Spiderman 2.
- VideoLAN (VLC) : lecteur multimédia universel, VLC est devenu un outil incontournable dans son domaine. Il ne sert pas qu’à visionner des animations puisqu’on peut l’utiliser pour extraire des vidéos (d’un DVD par exemple) ou pour diffuser des vidéos, notamment sur Internet.
- Pour le montage vidéo linéaire (iMovie, Premiere, Final Cut), le seul logiciel libre à avoir atteint un certain niveau de maturité semble être Virtual Dub, qui ne fonctionne malheureusement qu’en environnement Windows.
- OpenOffice : pas un logiciel de création artistique, mais il est difficile de ne pas le citer. Cette suite bureautique remplace assez avantageusement Microsoft Office.
En conclusion, le logiciel « libre » a fait de gros progrès mais le niveau de professionnalisme des outils de ce genre reste assez inégal. De nombreux logiciels en cours de développement peuvent être testés par le biais de la plateforme SourceForge, qui fédère de nombreux projets.
edit : un site dédié au recensement de logiciels libres destinés à la création artistique, artsoftware.
4 Responses to “Logiciel « libre » et création artistique”
By Xavier on Avr 12, 2008
Petite précision : OpenOffice nécessite X11 sur Mac Os X, (ce qui donne une interface hideuse) ; ce qui n’est pas le cas de NeoOffice (dérivé de OpenOffice).
Même s’il peut remplacer Microsoft Office dans bien des cas, NeoOffice n’est pas aussi performant.
J’aurai tout de même rajouté Thunderbird, sans doute le logiciel libre le plus au point (avec VLC).
By Jean-no on Avr 12, 2008
Thunderbird, c’est vrai, et Firefox !
By Jean-no on Avr 13, 2008
Je pourrais aussi rajouter les outils de création web (filezilla, wordpress, dotclear, spip, drupal), les langages non-propriétaires (svg – une alternative à Flash si les lecteurs étaient au point), les librairies (imagemagick…) mais c’est presque un autre sujet.
By Xavier on Avr 14, 2008
Je n’avais pas cité Firefox pensant que vous l’aviez volontairement omis, parce que « allant de soi ».
Mais, en effet, les plates-formes de blog comme WordPress and co ne sont pas, à propremement parlé, des logiciels.