L’interactivité comme accessoire de cinéma (ébauche)
décembre 14th, 2009 Posted in Interactivité au cinémaLa création d’interfaces informatiques au cinéma est un domaine de la décoration qui exige un certain savoir-faire et une réflexion poussée puisqu’il faut trouver l’équilibre entre vraisemblabilité, lisibilité à l’écran, pédagogie (les fonctions interactives doivent être comprises par le spectateur) et bien entendu, cohérence esthétique avec le film.
Dans le cas de films de science-fiction, il est important d’apporter une forme de nouveauté, notamment dans les fonctionnalités proposées, mais les contraintes que j’ai énumérées ne pèsent pas que sur la science-fiction, car les cinéastes qui choisissent d’utiliser des interfaces contemporaines peuvent difficilement le faire sans se poser de questions : Unix, Mac Os ou Windows ? Chaque système s’intègre dans une certaine culture — la bureautique et l’informatique « de tout le monde » sous Windows, les professions de la création sous Mac Os (le cabinet d’architectes du film Par effraction est entièrement équipé en Macintosh par exemple) et l’ingénierie sous Unix — et il peut être périlleux de ne pas en tenir compte. Faut-il montrer un système d’accès à Internet à la mode, comme AOL dans le film Vous avez un Mess@age (1998) ou faut-il inventer un navigateur « générique », un logiciel de retouche « générique » ? J’ignore si des transactions financières ont cours dans le domaine.
Par ailleurs, certaines opérations sont assez ingrates à regarder, voire impossibles à montrer. L’infection d’un ordinateur par un virus ou l’intrusion d’un pirate informatique sont de bons exemples d’évènements qui n’ont pas d’aspect dans le monde réel mais auxquels on doit en donner un au cinéma1. La retouche photographique (très courante au cinéma) est plus facile à montrer, mais là c’est la manière de travailler du retoucheur qui est généralement ré-inventée pour l’écran : accélérée (une bonne retouche peut réclamée des heures de travail évidemment) mais aussi lourdement expliquée — je pense par exemple au copier-coller, qui dans de nombreux films n’est pas représenté comme une disparition/réapparition d’objet mais comme un déplacement automatisé d’objet : on voit la tête de la personne de la photographie A se diriger lentement vers la photographie B.
Certains graphistes se sont plus ou moins spécialisés dans le domaine des interfaces de cinéma, j’essaye ici de recenser quelques uns d’entre eux, cependant ma liste est principalement basée sur les indications très imprécises d’Internet Movie Database. Il s’agit donc d’un simple bloc-notes qui va me servir de point de départ à une enquête sur le sujet.
- Mark Coleran est sans doute le graphiste d’interfaces de cinéma le plus célèbre — ne serait-ce que parce qu’il s’exprime sur son métier. On lui doit la création visuelle des écrans montrés dans La vengeance dans la peau, Frère Noël, Deja Vu, Les fils de l’homme, Mission: Impossible III , Domino, The Island, Mr. & Mrs. Smith, xXx 2, Alien vs. Predator, Agent Cody Banks 2, My Little Eye, La mémoire dans la peau, Blade II, My Little Eye, Revelation, Lara Croft: Tomb Raider, Trinity, Spy Games, James Bond: Le monde ne suffit pas, Haute Voltige.
Il travaille principalement avec Photoshop et Illustrator, puis il anime ses interfaces à l’aide d’After Effects. Il lui arrive aussi d’employer le logiciel de diagrammes OmniGraffle pour réaliser des interfaces destinées à être effectivement utilisées par les acteurs.
Son travail ne se limite pas aux interfaces décoratives puisqu’il collabore aussi avec un éditeur de logiciels, Gridiron Software, sur un logiciel nommé Flow dont les fonctionnalités novatrices et complexes imposent une réflexion poussée sur l’interface utilisateur.
- Simon Staines, qui a beaucoup influencé Mark Coleran et l’a même dirigé sur de nombreux projets, est l’auteur d’interfaces pour de nombreux films tels que Mission: Impossible, The Avengers et Hackers.
- Martin Crouch, Carl Braga et Dylan Yeo ont travaillé sur de nombreux films, dont Matrix Reloaded, Matrix Revolutions, Furtif, Know1ng,…
- Philip Shtoll a travaillé pour le Pixel Liberation Front sur le film Iron Man.
- Eric Bigas a travaillé sur The Net, La mutante ou encore Air Force One.
- Buddy Gheen a travaillé sur des séries télévisées comme Profiler et CSI.
Parfois, les interfaces montrées à l’écran sont d’authentiques prototypes. C’est le cas de l’interface que manipule Tom Cruise dans Minority Report, qui est une simulation inspirée de G-Speak, projet industriel de la société Oblong. John Underkoffler, co-fondateur de Oblong et ancien étudiant au sein du Tangible Media Group du MIT a été employé comme consultant en futurisme pour Minority Report, Aeon Flux, Iron Man, Hulk ou encore Taken.
C’est aussi le cas de l’interface graphique présentée dans Jurassic Park.
Si vous disposez d’informations sur des graphistes spécialisés dans le domaine, n’hésitez pas à me les faire connaître en commentaire à cet article.
- À ce sujet on doit saluer l’astuce de Steven Lisberger, pour Tron (1982), film qui se déroule entre le monde tangible et l’intérieur d’un système informatique mais où l’interface entre les deux mondes n’est jamais montrée, et ce à l’insu du spectateur. [↩]
18 Responses to “L’interactivité comme accessoire de cinéma (ébauche)”
By Gertrude on Déc 14, 2009
Ah c’est pas vrai, j’ai lu un article très très récemment sur un artiste dont c’était le métier ! Et évidemment, pas moyen de le retrouver…
By Jean-no on Déc 14, 2009
Je suppose que c’est Mark Coleran, dont j’ai trouvé pas mal d’interviews
By Hobopok on Déc 14, 2009
Le plus drôle (ridicule ?) c’est que les interfaces informatiques au cinéma sont abondamment sonorisées de tut tut crac crac bip bip, pour chaque ouverture de fenêtre, recherche de base de données, affichage de photo, etc… Je ne connais pas un opérateur informatique qui tiendrait cinq minutes dans la vraie vie avant de désactiver cette exaspérante cacophonie.
By Jean-no on Déc 14, 2009
@Hopobok : c’est vrai qu’il y a une étude à faire sur le son de ces interfaces. Ce qui me rappelle l’horipillant AOL – le vrai – qui tenait absolument à profiter de la carte-son des utilisateurs : « vous avez un e-mail ». À revoir, l’excellent pilote inédit de 1994 de la série 24 heures chrono sur le site collegehumor.
By 6P on Déc 16, 2009
Mac est omniprésent dans le cinéma hollywoodien, comme dans les séries. Mais je ne pense pas que ça soit une réflexion dû au réalisateur ou à l’équipe déco mais plutôt, comme pour les voitures et beaucoup d’accessoires, à des contrats publicitaires.
By Jean-no on Déc 16, 2009
@6P : il n’y a pas forcément de contrat publicitaire au sens strict. Je me rappelle que mon frère a travaillé comme accessoiriste sur une série française qui se déroulait dans un cabinet d’avocats (série qui en est restée au pilote). Il lui fallait des ordinateurs et Apple a prêté tout de suite (sans contrepartie financière pour qui que ce soit). Je vois une bonne raison : un mac ça se reconnaît au premier coup d’oeil, ce qui n’est pas le cas des PC Dell ou Toshiba. Donc les voir à l’écran est une bonne affaire pour le constructeur.
By sf on Déc 16, 2009
Un mac c’est aussi plus joli; conçu/designé autant pour être utilisé que pour être regardé/admiré/envié.
Quant aux interfaces vues au cinéma, je sèche…
By Karkaf on Déc 18, 2009
Très bon souvenir de l’interface dans «Minority Report», à la fois impressionnante et crédible parce qu’elle a une vraie justification dans le film: dans mes souvenirs, elle permet à la fois de manipuler simplement des informations complexes et de laisser s’exprimer l’intuition du personnage, qui obtient vite des réponses à ses interrogations (ou qui découvre où ça coince).
Sinon, je trolle, mais le passage sur les virus me fait penser aux romans de William Gibson, qui décrivent très bien les déplacements à l’intérieur du réseau, dans une sorte de Second Life complètement halluciné. Étonnant qu’ils n’aient jamais été adaptés au ciné.
By Wood on Déc 18, 2009
Tiens, je suis tombé sur ça aujourd’hui à propos des programmes de traitement d’image dans les séries télé américaines :
http://nedroidcomics.livejournal.com/265654.html
By Jean-no on Déc 18, 2009
@Karkaf : la première nouvelle de Gibson (ou en tout cas celle qui l’a fait connaître) a été adaptée, c’est Johnny Mnemonic (film avec des qualités, pas forcément celles de la nouvelle d’origine)
@Wood : Excellent
By Karkaf on Déc 18, 2009
@Jean-no : merci pour la rectification !
By Wood on Déc 18, 2009
« New Rose Hotel », une autre de ses nouvelles, a aussi été adaptée au cinéma, Par Abel Ferrara, avec Christopher Walken, Willem Dafoe, et Asia Argento :
http://www.imdb.com/title/tt0133122/
(pas le meilleur Ferrara, mais regardable)
By Karkaf on Déc 18, 2009
Alors là je bats ma coulpe : celui-là, je l’ai vu (regardable, effectivement : on y voit fort bien le tatouage dans le bas du dos d’Asia Argento, c’est à peu près tout ce dont je me souvienne).
La prochaine fois, avant de dire des conneries, je vérifierai, promis…
By Jean-no on Déc 18, 2009
Ah je l’ai pas vu du tout celui-là, merci Wood.
By Stéphane Deschamps on Déc 27, 2009
Bé que dis-tu sur Tron ?
On voit au moins une fois ou deux les personnages principaux taper des commandes dans une interface qui ressemble à du DOS de base. (aucun moyen de le prouver, je suis loin de ma dévédéthèque)… ou alors je ne comprends pas ce que tu veux dire dans ta note de bas de page…
By Jean-no on Déc 27, 2009
On ne voit quasiment aucun ordinateur ou aucun écran : soit on est dans l’ordinateur, soit on est en face. Vérifie, tu verras, c’est assez étonnant parce que ça passe comme une lettre à la poste.
By Kapalsky on Mar 30, 2010
Très bon article, sur un sujet sur lequel les spectateurs ne font pas toujours attention
Il est vrai que les interfaces et structures informatiques présentes, surtout à l’ère de l’informatique, jouent beaucoup pour la crédibilité d’une scène par exemple. :)
By abelthorne on Avr 8, 2011
Sur un sujet similaire, je viens de tomber sur un article de Boing Boing qui renvoie vers Access Main Computer File (un site qui recense les interfaces informatiques dans les films), ainsi que vers un montage vidéo de scènes avec des gens qui utilisent les super logiciels de retouche improbables qu’on voit à longueur de films et de séries policières (malheureusement, la vidéo montre les commentaires, pas les interfaces elles-mêmes).
http://www.boingboing.net/2011/04/08/faux-software-interf.html
http://accessmaincomputerfile.net/
http://www.boingboing.net/2009/12/17/-darren-sez-a-terrif.html
(Je ne suis pas sûr qu’on puisse utiliser ddes balises HTML directement dans les commentaires donc je mets tout ça un peu en vrac, désolé.)