Princesse aime princesse
avril 12th, 2008 Posted in Bande dessinéeJe m’emballe parfois pour un(e) artiste, mais ce n’est pas si souvent que je me sente « fan » au point d’attendre avec fébrilité le jour et l’heure de la sortie des livres ou des disques. Pourtant ça m’arrive. Et ces derniers temps, l’objet de ma fan-itude (le mot fanatisme semblerait excessif), c’est une dessinatrice marseillaise de bandes dessinées, Lisa Mandel. Le scénariste Appollo (dont je recommande au passage les séries récentes La grippe coloniale
et Biotope) m’a dit un jour « Il faut absolument lire Nini Patalo
« . Peut-être a-t-il ajouté quelque chose comme « c’est ce qui se fait de mieux en ce moment ». Je pense que c’était il y a six ou sept ans.
Nini Patalo est la première bande dessinée qu’a publié Lisa Mandel sous forme d’album. J’ai rangé le conseil dans un coin de ma cervelle sans y prêter une attention exagérée. J’avais croisé le livre et à vrai dire sa couverture ne me disait rien de spécial, le dessin ne m’emballait pas plus que ça, j’ai donc attendu une occasion de le lire. C’est dans Capsule Cosmique – regretté mensuel pour enfants publié par les éditions Milan – que j’ai découvert Lisa Mandel avec sa série Eddy Milveux. Cette série raconte l’histoire d’un petit garçon qui s’attache les services d’une blatte magique capable d’exaucer un de ses souhaits (mais un seul) chaque jour. Bien entendu tout se passe toujours très mal car Eddy manque de jugeotte et la blatte, plutôt malicieuse, interprète les demandes comme ça l’arrange et change les règles du jeu quand ça l’amuse (c’est ainsi qu’Eddy se retrouve rapidement affublé de cheveux roses, et apprend avec consternation que ce premier vœu ne pourra jamais être annulé). C’est évidemment très moral : la magie n’existe pas, chaque chose a son revers. Le principe redondant et presque banal de cette série (la trame est identique à celle de séries comme Code Lisa, Mr Merlin ou encore Sabrina the Teenage Wich, par exemple) est contrebalancé par une férocité, par un humour et par une fantaisie d’un niveau exceptionnel. On a souvent comparé Lisa Mandel à Reiser (ils ont en commun un dessin relâché) ou à Claire Bretecher (toutes femme auteur d’humour a droit à cette comparaison rarement pertinente) mais au fil des lectures on s’aperçoit que Lisa Mandel fait du Lisa Mandel et que son univers lui appartient bel et bien. La mécanique des contes de fées est omniprésente dans ses récits (Nini Patalo commence aussi par un vœu raté), mais ce n’est pas tout : considérations politiques ou sociales (assez rares dans les publications destinées aux enfants), une espèce d’imbécilité générale et joyeuse qui rappelle de grandes heures du strip (Popeye), peut-être aussi certaines périodes de Franquin… Au fil des lectures, je pense pouvoir reconnaître en Lisa Mandel un auteur d’exception, un des trois grands auteurs d’humour révélés au cours de la décénie pour moi, les deux autres – plus âgés et plus expérimentés du reste – étant Bouzard (Plageman) et Winshluss (vous savez, le type en smoking qui se cache derrière Marjane Satrapi aux Oscars ou à Cannes, et que la presse connaît sous le surnom de Vincent Parronaud…) Bien sûr il y a des tas d’autres auteurs très capables dans le registre de l’humour, mais ces trois-là trimbalent, chacun dans son genre, une drôlerie dont ils ne semblent pas capables de se départir même quand ils veulent subitement parler de choses graves.
Avec son dernier livre, Lisa Mandel est justement plus sérieuse que d’habitude. Intitulé Princesse aime princesse, il raconte l’éveil amoureux de deux jeunes filles l’une pour l’autre. Le livre avait été annoncé bien avant sa sortie comme une bande dessinée jeunesse, mais Lisa Mandel a finalement prévenu sur son blog que Princesse aime princesse n’est, je cite, « pas un album jeunesse » (le mot « pas » est deux fois souligné). Ce sur quoi elle se trompe d’ailleurs (postulat : un auteur ne devient un artiste à part entière que le jour où il se méprend sur la portée de son travail), car son histoire au fond très fleur-bleue est exactement ce qu’aiment les enfants : un conte un brin cruel, parfois effrayant, et qui se termine mieux qu’il n’a commencé. Quand à l’homosexualité, malgré le titre sans ambiguité et malgré le fait que les deux jeunes filles soient deux jeunes filles, ça n’est pas le sujet et au contraire, cette singularité passe comme une lettre à la poste, prouvant une fois de plus (après Les rêveries d’Hélène Georges par Hélène Georges) que le public, vous-et-moi, quoi, avons suffisamment évolué pour accepter des histoires d’amour non-conventionnelles et pour ne pas considérer ces dernières pour on ne sait quelle prise de position politique qu’il faudrait soutenir par devoir et par politicaly-correctness.
Les deux héroïnes de l’histoire trimbalent chacune sa croix. La première a une mère possessive qui espère qu’elle ne quittera jamais sa maison et lui laisse croire qu’elle est folle et dangereuse pour elle-même et pour les autres. La seconde a perdu sa mère et quitté son pays dans des conditions dramatiques. L’une et l’autre vont se donner les forces dont elles manquent pour arriver à vivre et à construire leur avenir. Dit comme ça, ce n’est pas spécialement amusant.
Tout cela se passe dans une utopie d’anticipation où l’on trouve des prototypes de téléphones extraordinaires et où une bande de savants se déguise en Power Rangers pour commettre un cambriolage (légitime). La trame générale est assez irracontable car malgré une structure plutôt sérieuse, rythmée cette fois encore par les contes de fées et les comptines, le récit est d’une très grande liberté. L’équilibre entre le sens du comique et la sensiblerie de l’expérience intime parvient à tenir tout du long sans jamais frôler la moindre catastrophe, et se concentre dans la scène proprement hilarante où les deux jeunes filles découvrent le plaisir charnel.
Je me suis procuré le livre quelques jours avant sa sortie. Je venais de lire sur le blog de l’auteur qu’elle participait quelques heures plus tard à une séance de dédicaces à la librairie Albums à Paris, en avant-première. Je n’habite pas Paris, donc j’ai avalé un morceau rapidement et j’ai couru comme un dératé pour attraper un train, puis un RER, puis pour atteindre la librairie Albums. J’avais pris soin, par téléphone, de faire réserver un livre à mon nom (s’il n’y en avait pas eu à mon arrivée, j’aurais été déçu). J’arrive essoufflé, et du coin de l’oeil je remarque une masse importante de gens venus faire dédicacer leurs livres. Hmmm… Je fonce à la caisse réclamer le livre réservé, et, surprise, tous les vendeurs sont au courant et connaissent mon nom. Je dois être le seul au monde à téléphoner pour ce genre de choses.
Je ne suis pas très porté sur les dédicaces : dans ma bibliothèque il doit y en avoir une quinzaine, obtenues sur un malentendu. Mais puisque je suis fan…
En m’approchant de la table de dédicaces, j’aperçois Lisa qui est en fait toute seule, l’attroupement autour des tables s’avère concerner ses collègue les talentueux Frederik Peeters et Buno Heitz, disposés de part et d’autre de l’auteur-e de Princesse aime princesse. Zut alors, ce n’est pas le grand succès ! Mais tant mieux pour moi finalement. Lisa me reconnaît – on s’était parlé pendant l’Université d’été de la bande dessinée à Angoulême, j’y intervenais dans une table-ronde sur le thème « Art Contemporain et bande dessinée » tandis que Lisa était là en tant que bloggueuse.
Elle m’a fait un petit dessin, très rapide, car elle dédicace vite (ce qui explique le manque d’affluence devant sa table). On a causé deux secondes : Marseille, la santé,… ça va ça va… En fidèle lecteur de son blog je sais qu’elle vient de déménager. Et en me relisant je me trouve l’air bête du fan de base (j’avais prévenu).
Je lui ai offert l’ultime exemplaire de ma propre bande dessinée et puis je suis rentré chez moi.
L’album Princesse aime princesse (125 pages) est publié aux éditions Gallimard dans la collection Bayou, dirigée par Joann Sfar. On le trouve dans toutes les maisons sérieuses pour 16,5 euros. Dans la même collection, on sera bien inspiré de lire les livres de Lucie Durbiano (notamment Orage et Désespoir), ancienne des Arts-déco de Strasbourg, comme Lisa Mandel, ainsi que la série Aya de Yopougon par Marguerite Abouet et Clément Oubrerie.
4 Responses to “Princesse aime princesse”
By mr Vandermeulen on Avr 13, 2008
J’apprends tout cela en vous lisant, Jean-No, je ne savais pas pour votre maladie…
courage, mon ami ! Obligez-vous à lire des livres sans images, c’est encore la meilleure façon… Dieu ! comme le monde est injuste !
By Jean-no on Avr 13, 2008
Oui, la vérité est parfois brutale, mais c’est ainsi.
By Philippe Dumez on Juin 9, 2008
Je l’attendais avec autant d’impatience que toi, par contre je ne suis pas du tout rentré dans ce livre. J’ai l’impression, comme le dernier film de Gondry (« Be kind, rewind »), qu’il est plus né de l’envie de raconter une histoire que d’une histoire à proprement parler. C’est le premier format long de Lisa Mandel, malheureusement je trouve qu’il souffre de tout ce qu’on pouvait redouter de ce genre d’exercice : long, décousu, un peu rapide au niveau du dessin sur certaines pages… D’une manière générale, je suis assez réservé sur les résultats de la collection Bayou. J’ai trop l’impression que Joann Sfar, sans doute très occupé, laisse ses auteurs en roue libre alors qu’ils auraient gagné à bénéficier de ses conseils. Le tome 2 de « Capucin » de Florence Dupré la Tour, par exemple, est une catastrophe alors que le tome 1 était excellent. « Cowboy Moustache » de Morgan Navarro est un remake décevant de « Skateboards et vahinés »… J’achète pratiquement tous les livres de cette collection, mais j’en revends assez vite un sur deux.
By liliana on Juin 21, 2010
salut je le trouve pas mal princesse aime princesse