Internet Eyes
octobre 11th, 2009 Posted in Brève, Écrans et pouvoir, Filmer autrement, ParanoLe journal Le Monde raconte ce week-end (11.10.2009) le lancement imminent d’un service britannique baptisé Internet Eyes, dont le but est de permettre à tout un chacun de remplacer les agents de surveillance des postes de contrôle, et ce de manière bénévole ou pour un salaire plutôt misérable. En informant un commerçant qu’il vient de se faire voler un paquet de bonbons, le cyber-surveillant gagnera des points (trois points pour un délit avéré) dont le cumul est censé lui permettre de s’assurer des revenus qui atteindront 1000 livres sterling au mieux — il n’est pas dit à quel total de points correspond cette somme. Les commerçants paient 22 euros par semaine pour que le flux de leurs caméras soit diffusés auprès des abonnés d’Internet Eyes. Les «regardeurs» (qui font le tableau, disait Marcel Duchamp) ne paient rien, excepté s’ils veulent pouvoir lancer plus de trois alertes par mois.
Chez chaque surveillant bénévole s’affiche en permanence (mais avec un changement toutes les vingt minutes), quatre caméras dont la localisation n’est pas connue. L’internaute qui repère un délit à signaler prévient Internet Eyes qui à son tour avertit le propriétaire de la caméra.
Plusieurs systèmes comparables ont été lancés, toujours en Grande-Bretagne, sur des canaux du câble. Ils concernaient uniquement les riverains des rues surveillées, riverains qui participaient donc à la surveillance de leur propre quartier sans quitter leur canapé. Je me rappelle avoir vu un sujet télévisé consacré à un de ces services qui avait fini par être interrompu du fait du manque d’entretien des caméras. Il ne s’agit donc pas d’un principe absolument inédit, mais on trouve ici plusieurs éléments nouveaux : la rémunération, la large diffusion anonyme et l’utilisation d’Internet.
Malgré les échecs précédents, il y a fort a parier que des services de ce genre aient effectivement un grand avenir, non seulement, comme le disent certains, du fait de la curiosité plus ou moins malsaine du public, mais aussi parce que prendre part à une telle entreprise permet d’avoir l’illusion d’en contrôler une partie. La Grande-Bretagne compte une caméra pour quinze habitants, on comprend que les citoyens veuillent être surveillants en même temps que surveillés.
Internet Eyes pourrait tout à fait être un projet d’artiste ou un canular monté pour sensibiliser à la question de la citoyenneté, de la vie en communauté et de la surveillance (je pense toujours à l’éventualité d’un canular lorsqu’un service n’est annoncé que par quelques vagues pages d’un site web illustré par trois photos sorties d’image banks), mais si le système n’existe pas en novembre prochain, date prévue pour son lancement, il finira néanmoins par advenir dans un futur proche pour les raisons énoncées plus haut : la curiosité et le besoin de s’approprier un peu des outils du contrôle.
Par ailleurs le goût du jeu et l’appât du gain ajoutent une motivation certaine aux participants.
Quant au besoin du côté des clients du service, il existe et il est même très fort : seule une toute petite partie des caméras installées dans les rues, les boutiques, les écoles, etc., est effectivement regardée. Les outils de surveillance logicielle (non humaine donc) ne sont pas encore prêts ou pas encore adaptés à ces besoins précis.
En attendant, je peux déjà raconter le film hollywoodien qui va être fait avec : Bruce Willis que sa femme vient de quitter (ou bien Nicolas Cage) est témoin d’un crime à venir, mais il n’a aucun moyen de prévenir quiconque, il doit agir seul. Ou alors c’est un paraplégique qui ne peut rien faire d’autre que de piloter son copain (ou mieux, son frère) policier Bruce Willis (ou Brad Pitt) par SMS. Ou bien c’est une armée d’internautes qui envoient à Bruce Willis toutes les infos (ils ne regardent pas les mêmes flux en même temps, il doivent donc se transformer en un Argos panoptès cybernétique) en temps réel via Twitter, en ne sachant pas toujours où se trouve ce qui est filmé bien entendu. À la fin, l’attentat est évité et son responsable, un français qui fume des cigarettes, sans doute Lambert Wilson, Tchéky Karyo ou Jean Reno, connaît la fin violente et cathartique qu’il aura bien cherché. Quelque chose entre Blow-up, 24 et Die Hard.
5 Responses to “Internet Eyes”
By Jean-Michel on Oct 12, 2009
C’est vraiment pathologique chez toi l’envie de raconter la fin d’un film. Du coup tu me gâches le plaisir de voir cette sortie prévue pour 2011 – 2014.
Sinon connais tu ce documentaire canular « Citizen Cam » de Jérôme Scemla (1999) :
« Depuis 1997, la chaîne islandaise HumaniTV explose l’audimat. Créée par les forces de police, cette chaîne retransmise sur le canal 8 se contente de diffuser ce que filment les centaines de caméras de surveillance disséminées à travers la ville. Chez eux, les habitants adorent regarder des inconnus, leurs enfants ou leurs amis. Triomphe de la transparence ou abus de pouvoir ? Un reportage parano. » — ARTE
By Jean-no on Oct 12, 2009
Oui je raconte même les films pas tournés, c’est dire où j’en suis.
Je ne connais pas « Citizen Cam », il faut que je voie ça !
By CultureMobile on Déc 8, 2009
« Citizen Cam » est peut être un canular, mais l’appli pour Google Earth « Augmenting Aerial Earth » n’a pas l’air d’en être un…
http://blog.culturemobile.net/index.php/2009/10/08/283-videosurveillance-google-earth-internet-eye-bansky
By Jean-no on Déc 8, 2009
Citizen Cam est finalement dépassé par la réalité, cf. toutes les caméras déjà accessibles au public.
By Vinz on Oct 20, 2010
Un phénomène inquiétant qui surfe sur la société de la peur mis en place par nos gouvernement.
Le pire, c’est la manipulation des foules par l’instrumentalisation de la langue française. Vidéo-surveillance se changeant mystérieusement par vidéo-protection, nettement plus politiquement correct et inspirant une confiance aveugle… un peu trop aveugle car si les forces gouvernementales vous protègent contre le « danger », elles vous volent du même coup une partie de votre liberté.
Un bel article sur xulux.fr : Quand 1984 n’est plus un roman de science-fiction