Profitez-en, après celui là c'est fini

WarGames

août 27th, 2008 Posted in Hacker au cinéma, Ordinateur au cinéma, Ordinateur célèbre

Celui-ci, je me le suis longtemps gardé pour la bonne bouche car dans mon exploration des archétypes et des clichés de la culture informatique, WarGames tient une place de choix, c’est une synthèse thématique, un concentré d’époque et par ailleurs un film plutôt réussi.
Avec le chahut qui a entouré la présentation de l’installation Invaders! à la foire du jeu vidéo de Liepzig, il me semble que le moment est venu de parler de WarGames.

Il y a d’abord la Guerre Froide comme toile de fond. Aussi étonnant que cela puisse paraître, la guerre froide a connu un angoissant regain au début des années 1980. Ronald Reagan, fraîchement élu, qualifiait alors les soviétiques d’« Empire du mal » et lançait son bouclier spatial anti-missiles (le projet populairement appelé « Guerre des étoiles »). De chaque côté du rideau de fer, des missiles nucléaires SS-20 et Pershing se faisaient face et l’arsenal dont bénéficiait chaque camp dépassait l’entendement.  Le très populaire groupe Frankie Goes to Hollywood avait écrit sur la pochette du « Maxi 45 tours »1 de la chanson Two Tribes le nombre de terres que l’on pourrait détruire en utilisant tous les missiles nucléaires des russes et des américains. Le clip de Two Tribes, dans le même esprit, montrait la bagarre à mains nues de deux hommes qui ressemblaient vaguement l’un à Ronald Reagan et l’autre à Iouri Andropov, éphémère premier secrétaire du parti communiste soviétique. À la fin d’une rixe sans vainqueur c’est la terre entière qui explosait. Deux ans plus tard, en 1985, le chanteur Sting écrivait Russians, une autre chanson emblématique de la guerre froide qui entendait rappeler à Ronald Reagan que « les russes aussi aiment leurs enfants ». Au cinéma, la peur de la bombe était très présente (Atomic Café, The Day After) mais je ne vois pas beaucoup de grands films spécifiquement consacrés à la guerre froide des années 1980. Les plus emblématiques sont sans doute sortis à la fin de la période : À la poursuite d’Octobre rouge et La maison Russie, par exemple.
Mais il y a eu WarGames.

Wargames, base de lancement d'un missile

Dans le Docteur Folamour de Stanley Kubrick, un millitaire américain complètement fou déclenchait la guerre thermonucléaire entre l’OTAN et le Pacte de Varsovie. Aux dysfonxionnements humains des américains répondait la fragilité systémiques des soviétiques puisque ces derniers avaient mis au point le « Doomsday device », un système automatique de réponse aux attaques nucléaires venues de l’ouest. Une fois la première bombe lâchée, plus personne ne pourraît arrêter l’apocalypse.
C’est un peu à ce stade que commence WarGames. Constatant à quel point l’homme est faillible — au cours d’une simulation, un militaire trop sentimental avait refusé de déclencher le lancement d’un missile nucléaire sur l’URSS —, l’armée américaine décide de confier sa défense à une machine, le WOPR (War Operation Planned Response). L’opération est très bien symbolisée par la suppression des fauteuils (plus personne à asseoir) dans la salle de contrôle d’un missile.
Un vieux général se méfie de cette idée et il a bien raison, car le WOPR va croiser le chemin d’un cyberterroriste malgré lui, David Lightman.

Le Whiz Kid

David Lightman, jeune habitant de Seattle, est un cancre à l’école mais un génie dès lors qu’il s’agit de manipuler son ordinateur. On peut tout de suite s’arrêter sur cette description qui est celle du « Whiz Kid », mot qu’on peut traduire par « Petit Génie ». Supérieurement intelligent, le whiz kid n’est pas un grand sportif, il a la tête mais pas les jambes, et pour cette raison son rôle est souvent secondaire, il est le savant de la bande, l’acolyte capable de tirer le héros d’affaire lorsqu’il faut pouvoir dire quelques mots de grec ou utiliser une calculatrice. En grandissant, il devient un savant lunaire (Geo Trouvetout, le Savant Cosinus, le professeur Tournesol) ou un savant fou (le docteur Cornélius, Fantomas, le docteur No). Le Whiz Kid est le pendant de la bonne brute, il est un être essentiellement incomplet et souvent incompétent pour la communication avec autrui et notamment avec la gent féminine.
C’est pour cette raison d’ailleurs que l’on nous présente David en classe de biologie où son devoir consacré à la reproduction sexuée récolte la note infamante « F ». Par chance, Jennifer, la fille qu’il aime bien et qui l’aime bien a eu la même note au même devoir. Ils sont cependant très différents, mais complémentaires. David passe ses journées devant un écran, tandis que Jennifer fait du jogging. Il ne sait pas nager tandis que Jennifer n’a pas peur à l’idée de parcourir quatre kilomètres à la brasse en pleine nuit2.
David est interprété par Matthiew Broderick, dont le regard éveillé, le sourire avenant, l’astuce et la roublardise sans conséquences (il pirate sa ligne téléphonique et modifie ses notes scolaires) permettent l’identification du spectateur et le rendent crédible comme héros même s’il n’est pas un athlète et que, lorsqu’il rentre chez lui, il se tient à l’arrière de la moto que conduit Jennifer. Le même acteur reprendra un rôle très proche de Whiz Kid décontracté dans le Ferris Bueller’s day off de John Hughes.

S’il est possible de prendre un Whiz Kid comme héros, c’est grâce à l’ordinateur et notamment grâce à l’ordinateur personnel. En effet, en 1983, les indices d’un profond changement des règles de l’économie semblaient s’accumuler : des informaticiens millionnaires à vingt ou vingt-cinq ans (Paul Allen, Bill Gates, Steve Jobs, Mitch Kapor) balayaient l’assurance de l’informatique institutionnelle d’IBM et DEC tandis que des pirates informatiques pas toujours majeurs, se montraient capables d’effrayer le Pentagone. Le stéréotype fictionnel du Whiz Kid de l’ère de la micro-informatique est donc basé sur une réalité économique et sociologique ou plutôt sur la perception médiatique de celle-ci.
Au cinéma, le personnage de David Lightman a été l’incarnation parfaite du Whiz Kid et on dit qu’il a suscité de nombreuses vocations chez les programmeurs et chez les hackers. Il a été soutenu par une série télévisée, diffusée quelques semaines après la sortie de WarGames et intitulée Whiz Kids (Les petits génies). Dans cette série, une bande de gamins passionnés d’informatique menait avec succès des enquêtes policières.
Une série de comic books au sujet similaire (Shana et Alex, deux enfants détectives et férus d’informatique) intitulée Tandy computers Whiz Kids a été publiée entre 1982 et 1991 par le constructeur micro-informatique Tandy et le légendaire éditeur de bande dessinée niaise et sympathique Archie Comics (Sabrina l’aprentie sorcère, Archie, Josie et les Pussycats,…). À l’occasion je ferai un article sur les Archie Comics, méconnus en France mais qui sont l’influence majeure des frères Jaime et Gilbert Hernandez. Dans un épisode, les Whiz Kids parviennent à sauver la mise à Superman. Ils expliquent que grâce au légendaire Tandy TRS-80, chacun est désormais capable de réfléchir à la vitesse de Superman.
Nous reparlerons de Superman.

Revenons à la trame de WarGames. David adore jouer, et sa passion le pousse à tenter de pirater le serveur d’un éditeur de jeux vidéo qui s’apprête à sortir un jeu révolutionnaire. Bien qu’Internet existait à l’époque, ce n’est pas sur le « réseau des réseaux » que cela se passe, mais sur le réseau informel des « Bulletin Board Systems », où chaque serveur (professionnel ou personnel) est raccordé à un modem et accessible à un numéro de téléphone précis. Les BBS, sorte de « radio amateur » de l’informatique personnelle de la fin des années 1970 au début des années 1990, étaient des lieux de convivialité et d’échange de fichiers qui ont joué un rôle très important dans divers circuits de diffusion légaux ou non et qui ont préfiguré aux pratiques du web actuel. Il fallait être un peu initié, se faire parrainer, pour connaître un numéro de téléphone « intéressant » où se trouvaient quelques images, quelques séquences midi à télécharger pour son Atari 520ST, quelques freewares et sharewares, quelques textes électroniques comme ceux du Projet Gutenberg qui balbutiait à l’époque. Certains serveurs se trouvaient situés derrière des numéros de téléphone surtaxés. Les échanges se faisaient bien évidemment en ligne de commande et à une lenteur aujourd’hui inimaginable.

Sachant que la société de jeux qui l’intéresse se trouve à Sunnyvale, David lance sur son ordinateur un programme qui compose tous les numéros de la ville à la recherche de serveurs disponibles. Il finit par en trouver un qui refuse la connexion mais qui lui fournit comme indice une liste de jeux : échecs, dames,… Et guerre thermonucléaire globale. Le premier jeu de la liste s’appelle Falken’s Maze. Grace aux conseils de deux informaticiens plus âgés (un « nerd » asocial et un « geek » ombrageux) et après des recherches acharnées en bibliothèque, David apprend que Stephen Falken fut un programmeur de génie qui avait consacré ses recherches à apprendre aux ordinateurs à jouer. Il est décédé en 1973, peu de temps après la mort de son épouse et de son fils Joshua dans un accident de voiture.
David tente de se connecter avec le nom « Joshua », et cela fonctionne. Le serveur qui lui répond pense qu’il est le professeur Falken et lui propose d’entamer une partie d’échecs, comme il en avait l’habitude jusqu’à la disparition de son créateur.
David, qui se trouve avec Jennifer et qui est toujours animé par l’envie de découvrir un jeu inédit éconduit la proposition et suggère, plutôt, de jouer au dernier des jeux listés : la guerre thermonucléaire mondiale. Il entame une partie, sans savoir qu’il n’est pas connecté au BBS de l’éditeur de jeux vidéo Protovision, mais qu’il est en fait directement relié au WOPR, l’ordinateur de simulations stratégiques du Norad — le commandement de la défense aérienne américaine.
David et Jennifer abandonnent vite leur partie pour retourner à leurs occupations de lycéens, et ce n’est que le lendemain, en apprenant aux informations télévisées que l’ordinateur du Norad a déclenché une fausse alerte, qu’ils comprennent qu’ils sont responsables de ce qui s’est passé.

David panique, jette tous ses listings, et se jure de ne pas rappeler le numéro de téléphone du serveur du Norad. Mais voilà, le programme du WOPR est autonome et persiste à vouloir jouer avec David qu’il prend toujours pour son créateur Steven Falken. C’est l’ordinateur, de sa propre initiative, qui rappelle David et qui, par la même occasion, permet au FBI de le localiser. Rapidement arrêté, David est emmené au commandement du Norad où on veut l’interroger.
Là, on apprend qu’il a le profil de l’espion potentiel : cancre intelligent mais peu sociable. On remarque aussi qu’il a réservé deux billets d’avion pour Paris — dans le but, en fait, d’épater Jennifer en faisant une démonstration de ses talents de hacker — ce qui n’arrange rien. Sa situation est donc difficile, mais on commence par croire sa version de l’histoire, de l’accident, du hasard. Seulement le programme du Wopr ne cesse pas sa simulation guerrière, mettant toute l’armée en état d’alerte, car si les écrans disent que des bombardiers et des sous-marins approchent, ça ne peut être que vrai, ou plutôt, il est impossible de savoir si cela est vrai ou non. David, qui est enfermé dans le bureau du responsable informatique, en profite pour interroger le programme Joshua : « est-ce qu’il s’agit d’une simulation ou est-ce réel ? » Joshua répond par une question : « Quelle est la différence ? ».  David apprend au passage que Stephen Falken n’est pas mort, mais qu’il réside sur une île de l’Oregon, sous une fausse identité. À ce stade, seul David comprend que Joshua continue à jouer et que cela peut avoir des conséquences fâcheuses. En effet, si le niveau d’alerte atteint le « Defcon 1 », l’ordinateur WOPR prendra la main sur la stratégie guerrière réelle. Pire, si on le débranche, chaque missile pensera que le poste de commandement est détruit et déclenchera l’envoi de sa charge nucléaire vers une cible soviétique. Les militaires, qui se fient à ce que disent leurs écrans, ne font pas la différence entre le jeu et la réalité, l’ordinateur ne connaît pas cette distinction non plus, la troisième guerre mondiale est donc en passe d’être déclenchée, d’autant que, constatant des mouvements suspects des bombardiers et des navires américains, les soviétiques se posent des questions.
Astucieux, David parvient à s’échapper avec un groupe de touristes en visite au Norad. Depuis une cabine téléphonique (qu’il pirate), il parvient à joindre Jennifer et à lui demander de venir l’aider, ce qu’elle fait. Tous deux partent pour Goose Island dans l’Oregon afin de retrouver Steven Falken.

Le pionnier

Stephen Falken est un pionnier de la science informatique. Théoricien des jeux, il est peu intéressé par les applications pratiques de ses découvertes (selon son ancien assistant McKittrick). Connaissant trop de secrets d’état, sa retraite a été maquillée en décès. Il vit dans un confortable chalet sous l’identité factice d’un dénommé Robert Hume. Là, il pratique notamment des expériences sur le vol des ptérodactyles. La disparition des dinosaures fait partie de ses sujets d’étude favoris. Il ne dispose pas d’un terminal informatique chez lui.

Ce personnage est intéressant car il rappelle les chercheurs américains de la seconde guerre mondiale et de l’immédiate après-guerre, souvent pacifistes convaincus mais ayant servi malgré eux des buts militaires aux conséquences dramatiques3 .
Devenu passablement désabusé, si ce n’est misanthrope, Falken écoute le récit de David et de Jennifer et leur explique qu’ils n’ont pas à s’inquiéter en cas d’attaque nucléaire soviétique car la proximité d’une cible stratégique majeure leur garantit une mort rapide et sans bavure. Prenant l’extinction des dinosaures comme exemple, il explique que l’humanité a sans doute fait son temps et que la nature s’accomodera très bien de sa disparition, et se relèvera d’une catastrophe par le biais, pense-t-il, des abeilles (ce qui nous rappelle la célèbre phrase apocryphe d’Albert Einstein sur la survie de l’humanité liée à la vie des abeilles : « Si l’abeille venait à disparaître, l’espèce humaine n’aurait que quatre années à vivre »).

Les deux adolescents ne peuvent se résoudre à un tel destin (« Je n’ai que dix-sept ans », dit Jennifer) et décident de retourner seuls au poste de commandement du Norad. Ils ne peuvent cependant pas quitter l’île et regrettent tout ce qu’ils ne vont jamais vivre, ce qui les amène à échanger un premier baiser, baiser interrompu par l’irruption d’un hélicoptère militaire dans lequel se trouve Falken, finalement prêt à les emmener au Norad.

L’absurdité de la guerre

Le programme Joshua continue à jouer. Ignorant toujours s’il s’agit de simulation ou de réalité, les militaires sont prêts à déclencher une contre-attaque. Falken, David et Jennifer entrent dans la base quelques secondes avant qu’elle ne soit verrouillée. Ils convainquent les militaires d’attendre quelques minutes afin de  vérifier si ce qu’ils voient sur leurs écrans correspond à la réalité. Et ce n’est heureusement pas le cas, les bases qui, sur le plan, ont été rayées de la carte, continuent à répondre et ne voient rien de menaçant dans le ciel. Chacun peut reprendre son souffle.
Cependant, rien n’est fini car Joshua continue à jouer et s’apprête à diriger la riposte américaine. Il essaie même de décrypter les codes de lancement des missiles. Pire, il refuse de communiquer avec les gens du Norad, il n’accepte en fait plus qu’un mot de passe, celui de son créateur. David tente d’interrompre le jeu sans succès, et a finalement l’idée de lancer Joshua sur le plus simple des jeux, le morpion (Tic tac toe).

Après quelques minutes de simulation, pendant lesquelles il travaille si intensément que tous les terminaux se mettent à fumer et à lancer des éclairs (seule véritable entorse à la vraisemblance des situations décrites dans le film — c’est un très vieux cliché qui est né en même temps que l’ordinateur au cinéma, dans le film Desk Set), l’ordinateur WOPR découvre qu’il ne peut y avoir de gagnant au jeu du morpion. Il se lance alors dans des simulations accélérées de guerre thermonucléaire et découvre qu’aucune stratégie ne peut aboutir à autre chose qu’à la destruction de chaque camp, sans vainqueur possible.
« Un jeu étrange. La seule bonne tactique est de ne pas jouer », résume-t-il, avant d’abandonner complètement sa simulation et de proposer à Falken une partie d’échecs.
C’est la conclusion du film.

L’image

Montrer l’ordinateur à l’écran est toujours quelque chose d’un peu ingrat d’un point de vue cinématographique. Ici, en plus, le parti pris est clairement de proposer une intrigue crédible, nous ne sommes pas dans le registre de la science-fiction ou de la fantaisie. Le réalisateur John Badham a donc dû inventer ou récupérer de nombreuses astuces dans les décors et dans la mise-en-scène.
Tout d’abord, l’ordinateur WOPR a un design intéressant. C’est une grosse boite aux coins arrondis, comme certains meubles de cuisine des années 1950, mais garnie de panneaux lumineux.

Les panneaux lumineux clignotent tant et plus, notamment chaque fois que le programme Joshua réfléchit. Les autres ordinateurs ont des allures plus banales de placards avec des bandes magnétiques. Le WOPR est complètement isolé de ces autres ordinateurs. Chaque fois qu’on le voit, on entend un ronronnement sourd et régulier qui rappelle celui du moteur d’un très gros bateau.

Comme il est très rapidement ennuyeux de montrer des mots saisis sur un écran, ceux-ci sont rapidement doublés par une voix synthétique. David est en effet équipé d’une carte son, d’un haut-parleur et d’un système de synthèse vocale qu’il branche pour épater Jennifer mais qui reste allumé par la suite… Jusque dans les locaux du Norad, où un autre système de synthèse, avec la même voix, lit les mots qu’écrit le programme Joshua. Curieusement, tout ça semble assez naturel dans le film.
Par ailleurs de nombreux éléments visuels se substituent au texte sur les écrans : cartes stratégiques, animations, jeu de morpion. Les écrans de contrôle du poste de commandement du Norad affichent des images variées (mais liées) avec un sens aigu de la mise en scène en « split screen ». Cette technique des écrans multiples permettant de varier ce qui est montré au spectateur a été reprise bien souvent depuis.
Au passage, il me semble que l’écran noir sur lequel on saisit du texte est bien plus cinématographique que ne le sont les interfaces homme/machine de nos Windows, MacOS et autres Gnome. J’y songe car ce sont les films de l’ère « windows » pour lesquels les cinéastes me semblent avoir été forcés d’inventer les interfaces les plus absurdes ou les plus grossières.

Parmi les trouvailles visuelles de WarGames, on peut ajouter celle du « code en train d’être décrypté ».
Pour montrer qu’il cherche à obtenir par lui-même le code de lancement des missiles atomiques, Joshua affiche sur l’écran central de la salle de contrôle du Norad une combinaison de dix caractères perpétuellement en train de changer. Chaque fois qu’un de ces caractères est bon, il se fige, nous permettant de savoir où en est Joshua de son travail de décryptage. Ce « mème » visuel a fait florès depuis, il remplace souvent un autre cliché traditionnel des films d’action, celui de la minuterie d’une bombe pleine de fils (faut-il couper d’abord le fil rouge ou le bleu ?). Je ne saurais jurer que la figure du « code en train d’être décrypté » a été inventé pour WarGames, mais il me semble que c’est vraiment depuis ce film qu’il est devenu un poncif du cinéma et de la série télévisée4.

Le réalisateur de WarGames, le britannique John Badham, est relativement méconnu bien qu’il ait signé le grand film générationnel et désespéré des années disco, Saturday night fever. On lui doit aussi le film Short Circuit, dont nous reparlerons ici à l’occasion. Pour le reste, en dehors de quelques films d’action (dont un remake du Nikita de Luc Besson), Badham semble surtout être un honnête ouvrier de la série télévisée américaine. C’est sans doute ce genre de réalisateur « solide » qu’il fallait pour réaliser WarGames. Les éléments difficilement crédibles du récit (l’évasion du Norad par David par exemple) fonctionnent et les éléments techniques sont expliqués de manière plutôt pédagogique.
Le scénario est signé par Lawrence Lasker et Walter Parkes, qui sont aussi les auteurs du scénario de Sneakers (Les experts, sorti en 1992),  un autre film « informatique » particulièrement réussi.
La distribution du film fonctione très bien avec notamment John Wood (grand acteur de théâtre britannique) en ingénieur désabusé et Ally Sheedy (la fille à problèmes du Breakfast Club de John Hughes) en girlfriend sportive, auxquels s’ajoutent divers habitués des rôles secondaires dont nous connaissons bien les têtes mais pas forcément les noms comme John Spencer, Michael Madsen, Dabney Coleman, Barry Corbin, Kent Williams, Joe Dorsey, David Clover ou Eddie Deezen.
Je ne vois pas vraiment de faute de goût dans WarGames qui est à mon avis un bon film indépendamment de sa qualité documentaire, de son statut de film « culte » et de son succès (1 500 000 spectateurs en France et le 5e plus gros succès de l’année 1983 aux États-Unis).

Pour fêter les vingt-cinq ans du film, une suite a été tournée, intitulée WarGames: The death code. Diffusé sur support DVD uniquement, ce film fait à la va-vite est sorti en juillet 2008 et sa réputation est, sans surprise, épouvantable.
Je ne crois pas que ce soit pour célébrer les vingt-cinq ans du film, mais le président russe Medvedev vient d’annoncer, concernant la dispute entre l’URSS et le Georgie, qu’il ne craignait pas de relancer la guerre froide !

  1. Le Maxi 45 tour est un disque prévu pour être diffusé à 45 tours/minutes mais gravé sur une galette vinyle de 30 cm de diamètre, format habituel des 33 tours []
  2. La question de la séparation entre l’intelligence et la force, les apparences sociales de l’intelligence et de la force, ainsi que les réponses qui peut y être apportées sont au centre de la plupart des comics de super-héros, ce qui mériterait une étude complète : Bruce Banner, Red Richard, Peter Parker, Clark Kent,… Et cette dychotomie est aussi à l’œuvre dans l’excellent prix Pullitzer 2001, Les Extraordinaires aventures de Kavalier & Clay (10/18), par Michael Chabon, dans une mise en abîme intéressante : les héros sont deux cousins. L’un est un athlète et un survivant, il a quitté Prague sous l’occupation nazie, tandis que l’autre est un new-yorkais laid, malingre et handicapé. Le premier, qui représente l’action et le courage, est un dessinateur de génie, l’autre, qui est dans la réflexion, est scénariste, et à eux deux ils créent des histoires de super-héros…
    Mais je digresse. Il me semble en tout cas que le cinéma a souvent eu beaucoup plus de mal que tout autre support de fiction à accepter des héros qui ne soient pas des modèles d’équilibre tête/jambes. []
  3. Parmi les chercheurs qui me semblent avoir inspiré le personnage de Falken, je citerais :
    – John Von Neumann, théoricien majeur engagé à la fois sur le projet de création de l’ordinateur Edvac et sur le projet Manhattan qui a abouti à la confection de la bombe atomique.
    – Norbert Wiener, l’inventeur de la cybernétique, qui refusa de participer au projet Manhattan.
    – Albert Einstein, déclencheur de la création de la bombe atomique.
    – Robert Oppenheimer, le père de la bombe.
    – L’amiral Rickover, un ingénieur militaire
    On se rappellera qu’Albert Einstein, tout comme Robert Oppenheimer, ont fortement regretté leur implication dans la création de l’arme atomique et ont milité sans relâche pour qu’elle ne soit plus jamais utilisée. Quand à l’amiral Rickover, qui a travaillé à la mise au point du premier sous-marin nucléaire, il est probablement l’inspiration directe du personnage de Falken. En effet, ce scientifique, reçu en grande pompe au congrès américain en 1982 le jour de sa retraite, a expliqué à l’assistance incrédule qu’il regrettait fortement l’existence de l’arsenal nucléaire mais que, s’il devait y avoir une guerre nucléaire, « […] nous nous détruirons nous mêmes alors quelle différence cela a-t-il ? de nouvelles espèces viendront qui seront peut-être plus sages » []
  4. Dans le domaine artistique, je connais au moins une œuvre qui utilise le cliché du « code en train d’être décrypté ». Intitulée In Progress, cette modeste pièce en ligne a été acquise par le Centre National d’Art Contemporain de Grenoble (Le Magasin) en 2004. Je suis bien placé pour le savoir car à vrai dire j’en suis l’auteur []
  1. 7 Responses to “WarGames”

  2. By Jerom on Août 27, 2008

    Un « classique » que je n’ai pas encore vu, assez bien analysé.
    Cela dit, le lien qui manque à l’article: Defcon, le jeu vidéo récent, dont l’interface (et le principe) me semble inspiré par ce film ;)

  3. By Jean-no on Août 27, 2008

    Il faut le voir ! Apparemment WarGames-le-film a inspiré plusieurs jeux vidéo, dont un intitulé… WarGames

  4. By Stéphane Deschamps on Sep 5, 2008

    Ça se revoit aujourd’hui, ou ça a mal vieilli ? J’ai vu ça ado, et à l’époque j’avais aimé.

    Tiens et si tu croises John Badham : WOPR est-il un calembour avec whopper ? :)

    PS : La série télé Whiz Kids était liée « financièrement » à ce film, tu crois ? Ou c’est un hasard de calendrier ?

  5. By Jean-no on Sep 5, 2008

    La série Whiz Kids n’avait a priori aucun rapport, c’est plutôt une question d’air du temps.
    Le film n’a pas vieilli du tout, à mon avis.

  6. By dictynaweb on Oct 1, 2009

    Je l’ai vu pour la première fois quand j’étais tout jeune. Je me le suis racheté en DVD et personnellement je trouve qu’il n’a pas pris une ride (peut être technologiquement parlant oui mais c’est pas le plus important).
    J’ai bien aimé cet article, je le trouve très complet et le film a été décrypté judicieusement.

  7. By Jyrille on Avr 26, 2019

    Il faut que je revoie ce film. Du même réalisateur, je viens de revoir Tonnerre de Feu (Blue Thunder) et il rejoint le thème central de Captain America Le Soldat de l’Hiver, c’est assez étonnant. J’espérais que tu en avais fait un article, mais non !

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  2. Août 27, 2008: Le dernier blog » Blog Archive » Les Whiz Kids

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