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Mycroft, l’ordinateur qui voulait avoir de l’humour

septembre 1st, 2009 Posted in Lecture, Ordinateur célèbre

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Dans un supplément estival de Courrier International consacré à l’humour1, je note deux articles consacrés au traitement scientifique et informatique de la drôlerie : un ordinateur peut-il comprendre ce qui est drôle et ce qui ne l’est pas ? Peut-il forger des jeux de mots ? Existe-t-il des règles à l’humour ?

Vous connaissez la meilleure ? Un ordinateur qui a le sens de l’humour ! Les ordinateurs sont capables de beaucoup de choses, mais l’humour ne semblait pas en faire partie. Pourtant, l’idée qu’ils puissent faire de l’esprit n’est pas si farfelue. En effet, les machines n’ont peut-être pas besoin d’avoir une conscience pour comprendre l’humour – ou même pour inventer et raconter des histoires drôles. Physicien au Kapitza Institute for Physical Problems, à Moscou, Igor Suslov a conçu un prototype d’ordinateur qui explique en partie comment fonctionne l’humour […] sa théorie explique beaucoup de choses au sujet des blagues, y compris pourquoi les plaisanteries éculées ne fonctionnent pas et pourquoi la façon d’amener une blague est si importante […]

Le jour où les ordinateurs se fendront la poire, Mark Buchanan, The New Scientist

Au passage, ainsi que j’ai pu le vérifier en lisant l’article d’origine (qui date en fait de 2007) sur le site du New Scientist, le traducteur a introduit un contresens dans son texte en parlant d’un prototype d’ordinateur là où l’auteur parlait d’un computer model. Cette traduction approximative induit l’idée abandonnée de longue date qu’un progrès informatique peut être associé à un hardware révolutionnaire et non à un logiciel ou à une politique commerciale — on se rappellera que dans la seconde partie des années 1980, Apple et Microsoft triomphaient tandis que l’industrie japonaise s’empêtrait dans un projet d’ordinateurs dits «de cinquième génération», projet qui a été décidé à un niveau politique et qui n’a jamais abouti.

Le second article parle de LaughLab, une expérience en ligne destinée à chercher la «blague qui tue» imaginée par les Monty Python, en demandant à ceux qui participent au projet d’évaluer des listes d’histoires drôles2 :

Le psychologue Richard Wiseman a essayé d’identifier ce qu’il y a d’universel dans l’humour, en s’appuyant sur une expérience en ligne : LaughLab […] Nous tenions aussi à savoir si les ordinateurs étaient plus drôles que l’homme. Aussi avons-nous téléchargé sur LaughLab plusieurs plaisanteries composées par ordinateur. La plupart se sont retrouvées en bas de classement. Mais l’une d’entre elles a suscité un remarquable engouement, devançant près de 250 plaisanteries humaines : “Quand peut-on dire qu’un tueur a la fibre meurtrière ? Quand c’est un céréales killer.” […]

Et celle du chien, tu la connais ?, Richard Wiseman, The Guardian

Ces deux articles n’ont pas un intérêt énorme en eux-mêmes — on cherche, assez mal, à définir les règles de l’humour depuis Platon —, mais ils m’ont rappelé un roman de l’excellent Robert Heinlein3, Révolte sur la Lune (The Moon is a harsh mistress, 1966).

heinlein_luneDans ce roman, l’ordinateur Mike (pour Mycroft, car à l’instar Mycroft Holmes, le frère génial de Sherlock, il passe son temps à penser sans bouger) est un ordinateur devenu conscient à force d’être augmenté de nouveaux circuits. Tout comme Barney dans L’Empereur des derniers jours de Ron Goulard, la particularité de Mike n’est connue que du technicien qui s’occupe de lui, qui lui sert d’ami et de confident.

Machine pensante dotée de libre-arbitre et d’esprit d’initiative, Mike n’est pas humain pour autant, mais il s’intéresse à plusieurs traits réputés humains tels que le secret, l’amitié et le mensonge. Il cherche entre autres à comprendre ce qu’est l’humour. Il tente d’abord de faire des blagues, telles que d’effectuer au nom du gouvernement lunaire un virement de dix millions de milliards de dollars à un simple portier. Mike […] avait acquis un sens de l’humour. Un humour bas […] sa manière de vous taper sur les fesses aurait plutôt consisté à vous virer de votre lit ou à mettre de la poudre à éternuer dans votre combinaison pressurisée.

Peu à peu, Mike cherche à affiner son sens de l’humour, et tout en participant à une révolution, il soumet très méthodiquement à son ami humain et à d’autres personnes avec qui il entre en contact des listes d’histoires drôles dont ils doivent évaluer la capacité à déclencher le rire, et dont ils doivent dire si leur drôlerie persiste dans le temps, etc.
Dans l’extrait suivant, Mike fait la connaissance d’une révolutionnaire, Wyoming Knot :

— Mike, elle s’appelle Wyoming Knott
— Je suis très heureuse de faire ta connaissance, Mike. Tu peux m’appeler Wye.
— Pourquoi pas ? [=> en anglais, Why not ?]
[…]
— C’est un bon jeu de mots, Mike. Bon exemple de ces plaisanteries qui ne sont drôles qu’une seule fois. C’est drôle à cause de l’élément de surprise, ce n’est donc plus drôle. Enregistré ?
— J’avais déjà provisoirement atteint cette conclusion au sujet des jeux de mots en repensant à tes réflexions au cours de nos deux conversations précédentes. Je suis heureux de voir mon raisonnement confirmé.

Quelques jours plus tôt, Mike avait déjà essayé de créer une devinette :

—Pourquoi un rayon laser ressemble-t-il à un poisson rouge ?
[…]
—Je donne ma langue au chat
— Parce que ni l’un ni l’autre ne savent siffler
[…]
— C’est toi qui l’a inventée ?
— Oui, j’ai pris toutes les énigmes que j’ai, et je les ai analysées. J’ai utilisé le résultat pour en faire une synthèse générale, et cette devinette est sortie. Est-elle vraiment drôle ?
— Tu sais… aussi drôle que la plupart des devinettes. J’en ai entendu de pires.
— Parlons donc de la nature de l’humour

… Bref, dans un roman vieux de plus de quarante ans, un ordinateur fictif cherchait à comprendre le fonctionnement de l’humour un peu à la manière de chercheurs actuels, c’est à dire en effectuant des statistiques sur ce qui fait rire et ce qui ne fait pas rire et tentant de dégager des constantes universelles !

  1. Courrier International numéro 978-979-980 du 1er août 2009. Au passage, ce supplément contient aussi un très beau texte sur Sempé par Patrick Süskind. Je le mentionne car il est à mon goût très rare de lire des textes intéressants sur le dessin, et notamment sur le dessin d’humour. []
  2. Pour l’anecdote, la blague qui a recueilli le plus de suffrages est celle-ci : Deux chasseurs se trouvent dans les bois lorsque l’un d’eux s’écroule. Il ne respire plus et il a les yeux vitreux. L’autre prend son téléphone pour appeler les urgences. «Mon ami est mort ! Qu’est-ce que je dois faire ?» L’opérateur répond «Calmez-vous je vais vous aider. Tout d’abord, assurez-vous qu’il est bien mort». Silence, coup de feu, le chasseur reprend son téléphone et demande «Bon, et maintenant ?». []
  3. Robert Heinlein (1907-1988), est un auteur de l’âge d’or de la science-fiction américaine. Darwiniste athée mais marqué par une éducation ultra-religieuse, pacifiste militant fasciné par l’armée et promoteur de la « guerre des étoiles » de Ronald Reagan, Heinlein a été un esprit libre et stimulant dont les récits mélangent sans problème grande aventure et bavardage politique et philosophique. On lui doit entre autres Etoiles, garde à vous !, adapté au cinéma en 1997 par Paul Verhoeven sous le titre Starship Troopers. []
  1. 8 Responses to “Mycroft, l’ordinateur qui voulait avoir de l’humour”

  2. By Tom Roud on Sep 1, 2009

    On pourrait imaginer un algorithme évolutif pour concevoir des blagues. Algorithme testé sur des humains. L’ordinateur générerait des lois pour faire des blagues. Les humains noteraient la drôlitude des blagues, puis l’ordinateur muterait ses lois pour générer d’autres blagues, etc… J’y pense car il y avait un article dans Science il y a quelques semaines sur les algorithmes évolutifs « criblés » par des humains, qui sont notamment utilisés pour fabriquer par évolution des jolies images ou des jolies musiques (un peu dans l’idée de Darwinbots
    http://tomroud.com/2007/01/12/jouer-a-dieu/ )

  3. By Tom Roud on Sep 1, 2009

    (PS : sinon sur Heinlein, il est sympa à lire mais les passages un peu sexo-incestueux m’ont toujours paru un peu zarb)

  4. By Jean-no on Sep 1, 2009

    @Tom Roud : Heinlein paraît souvent suspect ou ambigu sur certains points. Personnellement je n’ai jamais remarqué son rapport à l’inceste (souvent mentionné effectivement), soit parce que j’étais trop innocent pour le comprendre ou trop jeune pour m’en formaliser (j’ai dévoré Heinlein pendant mon adolescence), soit parce que je suis justement passé à côté des livres qui frayent avec de tels sujets.
    Il est certain qu’Heinlein est un étrange représentant de la beat generation, particulièrement intéressé par les formes de la sexualité (mariages de plus de deux individus, changement de sexe, hédonisme). Il faut que je le relise, tiens.

  5. By david t on Sep 1, 2009

    pour améliorer ta mise en page, tu devrais mettre tes extraits de livre entre balises «blockquote» (qui servent précisément à cela) plutôt que «div».

  6. By Jean-no on Sep 1, 2009

    @David : ah oui, effectivement. Je ne sais pas pourquoi je n’utilise jamais blockquote

  7. By Jean-Michel on Sep 2, 2009

    Cet article m’a furieusement donné envie de relire « l’ingénieur » de Larcenet (Soyons fous dans la dignité (#2), fluide glacial, 2001), où il est d’ailleurs question d’équations à l’écriture et à la validation de gags à l’aide d’un ordinateur.

  8. By Tom Roud on Sep 4, 2009

    En fait, ces histoires d’incestes sont très bizarres. Il n’y a rien dans certains romans (genre Starship Troopers), dans d’autres, je me souviens d’un passage où un père salive (euphémisme) devant sa fille qui se balade nue devant lui, et la maman approuve; c’est vraiment écoeurant et difficilement manquable. Dans un autre roman, Lazarus Long remonte le temps et couche avec sa mère. L’inceste suprême étant dans la nouvelle All You Zombies : coucher et avoir un enfant avec soi-même !

  9. By Jean-no on Sep 4, 2009

    Je vois ! Mais je n’ai rien du lire de tout ça car je suppose que j’aurais tiqué.

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