Profitez-en, après celui là c'est fini

Vantage Point

juillet 16th, 2009 Posted in Au cinéma, Filmer autrement

vantagePointdvdAh, ces bandes-annonces prometteuses qui survendent les films…  En m’y fiant, je pensais que Vantage Point (Angles d’attaque, 2008) était une sorte de 24 heures chrono version cinéma, un film astucieux et bien ficelé, dans lequel une situation devenait compréhensible après-coup par le visionnage de divers films : caméras de télévision, films amateurs,… Sur le papier, l’idée est bonne, et le casting tout aussi prometteur, mais la réalisation s’avère nettement plus décevante.

(Attention je raconte le film)
Le récit se déroule à Salamanque en espagne, où le président américain s’apprête à prendre la parole au milieu de la foule de la grand place. Le commentaire nous apprend qu’un nombre extravagant de chefs d’états (150 !) sont réunis pour s’accorder au sujet du traitement du terrorisme. On ignore où se cachent les 149 autres chefs d’état mais le seul qui apparaisse dans le film est le président américain. Bon.
La réalisatrice du direct, interprétée par Sigourney Weaver, fait des remontrances à son reporter, la jolie Angie, qui évoque à l’antenne le fait que l’Amérique n’a pas que des amis dans le monde. Angie ravale sa chique et dit avec son plus beau sourire : «I’m cool with censorship, I know the american people love that» (Je n’ai pas de problème avec la censure, les américains aiment ça). Distrayant point de départ en forme de dénonciation ironique d’on ne sait trop quoi. On ne saura pas, d’ailleurs, car quelques minutes plus tard la jeune femme est victime d’une explosion. Avant cela, elle a eu le temps de voir le président américain (William Hurt) recevoir deux coups de feu. Sur les lieux, un agent secret (Dennis Quaid) particulièrement dévoué au président (pour qui il a autrefois intercepté une balle) voit des choses, des rideaux qui bougent, l’endroit d’où est tiré le coup de feu. Il intercepte finalement un policier espagnol en civil dont le comportement est suspect, mais ne se trompe-t-il pas de bonhomme ?

Au début du film, les séquences sont régulièrement rembobinées et vues d’un nouveau point de vue : ce type à l’air louche, c’était en fait une victime de chantage (on a enlevé son frère), et cet autre, qui semblait tout aussi louche est juste victime de l’amour. Bien entendu, d’autres qui étaient au dessus de tout soupçon font partie du complot. Rapidement, la mécanique du rembobinage est négligée, le minutage perd un peu en rigueur et le film devient un film d’action assez banal. Un touriste américain, interprété par Forrest Whitaker, filme tout avec le professionalisme d’un cadreur de reportage. Il a le temps de sympathiser avec une petite fille, Anna, mais aussi avec Suarez, un jeune homme à l’air oriental et à l’accent français qui affirme être un peu d’ici et d’ailleurs et n’avoir pas de famille, interprété par Saïd Taghmaoui. On se dit bien sûr que ça ne va pas être lui le méchant, que ce serait trop facile ! Mais bon, désolé d’éventer le suspense, c’est bien lui le méchant : depuis son smartphone, il pilote un ventilateur-fausse-piste et des fusils robots, il commande à un caméraman complice, à un agent secret complice, à un groom bombe-humaine, etc. Malgré une certaine frénésie, on perçoit vite que le plan des terroristes, censément calé au milimètre, est bourré de failles. Car s’il savent par avance que le président va être remplacé par un sosie (c’est le cas), les terroristes ne semblent pas vraiment savoir dans quel but ils kidnapent le président authentique… Je parie que les scénaristes ont négligé de réfléchir à tout cela eux-mêmes : qui sont ces terroristes ? Pourquoi font-ils ça ? Quel est leur but précis ? Si même les auteurs l’ignorent, le récit ne peut pas tenir debout.

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À la fin de l’histoire, un journaliste de télévision explique que le président se remet de ses blessures et que l’opération terroriste était en fait l’initiative d’un homme seul. La moralité du film est donc qu’on nous cache tout et qu’on ne nous dit rien, et que, selon le point de vue, selon les informations dont on dispose, tout change.
Mouais.

Le résultat tient plutôt moins bien debout qu’un épisode de la première ou de la seconde saison de 24 heures chrono, évoqué plus haut. L’addition des points de vue, au lieu de révéler au spectateur un récit inédit et complexe lui révèle plutôt le triste manque d’imagination et d’ambition des scénaristes. Je ne crois pas que ça valait le coup d’embarquer de vrais bons acteurs dans ce qui n’est finalement qu’un petit film d’action américano-centriste aux poncifs énormes (Pourquoi as-tu trahi ?Cette guerre ne finira jamais… hahaaaargh) et où les méchants sont tellement méchants qu’ils passent leur temps à se tuer les uns les autres, où le président est un chic type qui se refuse à pulvériser un camp terroriste au Maroc malgré les bons conseils de ses conseillers : «nous n’allons quand même pas bombarder un pays arabe ami ! C’est justement ce que nos ennemis espèrent !».
Dans la tradition des présidents-américains-hommes-d’action de Air Force One ou d’Independance Day, celui-ci n’hésite d’ailleurs pas à cogner les vilains terroristes ou à lâcher des tirades telles que «J’en ai assez de me cacher !».
Le moyen-orient et l’Islam sont pointés du doigt comme origine de la menace, mais de façon particulièrement discrète (hypocrite ?) : le groom qui se ceinture de dynamite pour faire exploser l’hôtel où se trouve le président regarde sentimentalement la photo d’une femme voilée…

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Le «point de vue» est une question cruciale lorsque l’on parle de terrorisme et de géopolitique.
Ici, l’approche pseudo-technique (vue de près, une scène change de signification…) est un cache-misère qui ne parvient même pas à être vaguement astucieux. L’idée d’utiliser des caméras de divers formats, à une époque où certains faits-divers sont enregistrés par trois ou quatre téléphones portables simultanément et où divers longs-métrages ([Rec], Cloverfield, Redacted) tirent parti des nouvelles images que cela produit, était prometteuse, mais c’est raté : pas de téléphones, d’appareils photo numériques ou de caméras de surveillance, juste quelques personnages (y compris le témoin fortuit) qui passent beaucoup de temps à courir les uns après les autres sans grande logique. De plus, je ne connais pas la circulation de la ville de Salamanque, mais je soupçonne une grande absurdité dans le choix des lieux de tournage et dans les distances qui sont censées être parcourues par les uns et les autres.
Les récits qui reposent de manière plus ou moins astucieuse sur l’opposition ou la complémentarité de plusieurs points de vue, il y en a eu plus d’un : Jackie Brown, Gosford Park, MagnoliaMulholland Dr, Elephant… Je ne trouve pas que Vantage Point fasse partie du haut du panier. Il y avait là l’idée d’une idée, mais rien de mieux, aucun effort n’a été fait pour la concrétiser le projet ou, tout simplement, pour surprendre un peu le spectateur.

  1. 4 Responses to “Vantage Point”

  2. By Jean-Michel on Juil 16, 2009

    Tu as oublié de mentionner « Time Code » ou « Hostel » de Mike Figgis, du côté des astucieux.

  3. By Jean-no on Juil 16, 2009

    @Jean-Michel : pas vu Hostel, mais j’ai passé pas mal de temps hier à fouiller pour retrouver le titre de Time Code, sans succès (j’en étais à « Split frame » :-)). Effectivement c’est bien et il y a un discours assez drôle sur le cinéma et la créativité.

  4. By Ouasmi on Déc 20, 2009

    Alors, je ne suis pas d’accord, le film est excellent parce qu’il utilise une technique jamais utilisée aupravant. Il est vrai aussi que le film est très idéologique ; il nous présente une Amérique forte, engagée sur la voie de la paix, contrairement à la réalité. Je pense aussi que c’est un film qui nous renseigne sur notre perception des choses. En effet, nous n’avons aps tous la même perception des choses et les apparences sont trompeuses. A chacun sa manière de voir et d’analyser les choses. Le film nous montre que le terrorisme est international et tentaculaire et qu’il n’est pas astreint aux pays arabes. Je pense que le casting est réussi et que le film est irréprochable sur ce point-là. Malheureusement,le film n’a pas bénéficié de tout le succès qu’il mérite.

  5. By Jean-no on Déc 20, 2009

    @Ouasmi : ce dont vous parlez ce sont les promesses du film – ce qui m’avait attiré personnellement. Mais en le regardant objectivement, je trouve qu’on est loin du compte, l’idée des points de vue multiples est plutôt moins bien exploitée que dans le moindre « film choral » de Robert Altman. Je trouve la réalisation plate, plutôt en dessous de l’épisode moyen de la série bushiste 24 heures chrono, et ce malgré un casting de très grande qualité effectivement.

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