La guerre des cerveaux électroniques
juillet 14th, 2009 Posted in Ordinateur célèbre, Science & VieLa guerre des cerveaux électroniques est déclenchée, article de Georges Martin-Champier, dans Science et Vie numéro 476 (mai 1957).
L’article porte sur la concurrence entre deux modèles d’ordinateurs : le Gamma 60 de la compagnie française Bull (dont le nom nous rappellera, sans doute pas par hasard, celui de l’ordinateur d’Alphaville, Alpha 60), et l’IBM 704 des américains Industrial Business Machines.
Il est intéressant de noter que l’auteur oppose tout d’abord deux gammes de «cerveaux électroniques» : les «gamma» et les «ordinateurs». Forgé par le philologue Jacques Perret en 1955 à la demande d’IBM qui trouvait le nom calculateur trop restrictif, ordinateur est un terme d’origine religieuse.
Voici comment Jacques Perret l’a décrit à IBM, par une lettre du 16 mai 1955 :
Que diriez-vous d’ordinateur? C’est un mot correctement formé, qui se trouve même dans le Littré comme adjectif désignant Dieu qui met de l’ordre dans le monde. Un mot de ce genre a l’avantage de donner aisément un verbe ordiner, un nom d’action ordination. L’inconvénient est que ordination désigne une cérémonie religieuse ; mais les deux champs de signification (religion et comptabilité) sont si éloignés et la cérémonie d’ordination connue, je crois, de si peu de personnes que l’inconvénient est peut-être mineur. D’ailleurs votre machine serait ordinateur (et non ordination) et ce mot est tout à fait sorti de l’usage théologique.
Dans la même lettre, il évoque aussi les mots Systémateur, Combinateur, Congesteur, digesteur, Synthétiseur, Ordinatrice, Sélecto-ordinateur, ordinatrice électronique.
Deux ans après sa création, «ordinateur» n’est pas encore un nom générique et Science et Vie parle donc de «cerveaux électroniques».
L’article, qui rappelle au passage l’importance de Joseph Marie Jacquard dans l’histoire de l’informatique mais ne mentionne pas Charles Babbage, raconte en détail les capacités de l’IBM 704, capable de traiter jusqu’à 42 000 opérations à la seconde. En revanche les spécifications du Gamma 60 ne sont pas annoncées, mais son architecture évolutive est prématurément vantée. Sorti l’années suivante dans un contexte de forte concurrence, le Gamma 60 a été produit en vingt exemplaires, tandis que l’IBM 704 a été produit en cent-vingt-trois exemplaires.
La liste des clients potentiels pour un «cerveau électronique» est donnée : université, banque, bourse, RATP, SNCF, assurances, compagnies aériennes, compagnies maritimes, industries chimiques et pétrolières, mines et charbonnages, EDF, GDF, PTT, défense nationale, énergie atomique, travaux publics, sécurité sociale, constructions aéronotique et automobile, sidérurgie, grands magasins,… Le résultat des calculs, qui mobilisent quarante ingénieurs et coûtent 350000 francs de l’heure (3500 fois le prix du magazine Science et Vie) aux utilisateurs, peuvent être au choix perforés, imprimés ou traduits en graphiques sur l’écran T.V. qui pourra à son tour être filmé pour conservation.
Les «cerveaux électroniques» permettent de faire des calculs jusqu’ici hors de portée des capacités humaines, mais on nous rassure, ces machines ne sont pas là pour nous remplacer :
Il faudra toujours, avant de consulter une machine, une étude faite par l’homme, il faudra toujours lui fournir un programme de travail : c’est en ce sens qu’on peut parler de machine à gouverner, sans pour autant craindre les rébellions de robots chers à la science-fiction. L’électronique restituera à l’homme du temps libre en le déchargeant des besognes mécaniques.
À la page 28 du même numéro, les intentions pacifiques de l’ordinateur sont un peu moins claires comme en témoigne une brêve de la rubrique Le Monde en marche qui nous informe que les cerveaux vont être dotés d’yeux et que, nous dit-on, le règne des robots se rapproche :
La compagnie anglaise Solartron a mis au point une machine appelée E.R.A. (Electronic Reading Automation, ou automate liseur électronique) qui rapproche considérablement le règne des robots en éliminant le point faible des cerveaux électroniques usuels : ceux-ci ne savent pas lire.
Ce système qui permet d’identifier 240 caractères dactylographiés à la seconde divise chaque forme lue en 100 carrés qu’il compare aux caractères qu’il connaît déjà. Avec le Scandex d’IMR et l’OCR d’IBM, ERA est effectivement un des tout premiers systèmes de reconnaissance de caractères.
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