Profitez-en, après celui là c'est fini

Sombre dimanche

juin 21st, 2009 Posted in Pas gai, Personnel

neda_iran2009_2Je me suis réveillé ce matin après un rêve étrange : j’avais invité Édouard Balladur à intervenir à l’université mais je n’étais finalement plus trop sûr de mon coup et dans le bus, j’essayais de faire comme si je ne le voyais pas, afin d’éviter d’avoir à lui parler. Les locaux de la fac ressemblaient beaucoup à ceux du ministère où j’ai fait mon service national — sous le gouvernement Balladur d’ailleurs, je le réalise en l’écrivant. L’histoire se finit en queue de poisson, à nouveau dans le bus qui refuse d’avancer et qui me semble coincé dans les bois qui se trouvent au dessus de chez moi.
Ce genre de rêve incongru me réjouit toujours, je ne sais pas pourquoi, alors j’ai eu envie d’écrire quelque chose de drôle pour Scientists of America (que je néglige depuis quelques mois) ou pour un autre projet pour l’instant top-secret et dont je ne parlerai pas avant qu’il se concrétise.
En prenant mon café, j’ai épluché la liste des blogs auxquels je suis abonné. J’ai bien ri avec une vidéo anti-darwiniste où un preacher montypythonesque explique avec sérieux que la preuve de l’existence de Dieu se trouve dans la parfaite adaptation de la banane à la main humaine ; J’ai apprécié le court-métrage futuriste Le dernier cri ; J’ai trouvé le nouveau clip de Lily Allen assez réussi, en vue à la première personne retouchée interactivement. Il y avait plein d’occasions de se distraire aujourd’hui.

Et puis sur le blog d’André Gunthert, je tombe sur un article qui en signale un autre consacré à l’importance des réseaux sociaux dans le mouvement populaire de protestation qui a en ce moment lieu en Iran. Et cet article me renvoie à (attention, image pénible) une vidéo publiée sur Facebook, la mort d’une jeune femme prénommée Neda, qui se trouvait en marge d’une manifestation et qu’un gardien de la révolution a tuée d’un coup de feu tiré à distance.

neda_iran2009

La vidéo est étrange : autour de la jeune fille, qui était extrèmement belle je pense et dont le voile noir ne tient plus, des hommes s’agitent. Ils tentent de la secourir mais en quelques secondes, son regard appeuré qui semble dirigé vers celui qui filme (et qui restera en tout cas adressé pour toujours à celui qui regarde) divague, du sang sort de son nez et de sa bouche. Des cris de tristesse sincère l’entourent, elle est morte. Et ça s’est passé hier.

Des réflexions absurdes m’assaillent, je me dis par exemple que je ne serais sans doute pas aussi marqué, ou pas de la même manière, par la mort d’un homme. Je voudrais tirer de tout ça une leçon sur la liberté, sur le droit à informer1, mais ce n’est pas si facile car la liberté que j’ai de voir mourir cette jeune fille ne changera rien à son destin et peut-être pas plus celui de son peuple entier. Je ne peux rien faire d’autre que constater cette réalité, voir et revoir cette séquence de vie qui s’enfuit, et tenter en même temps de me débarasser de ces images en les faisant circuler. Et je n’ai plus envie de m’amuser.

  1. La diffusion de ce genre d’images amateur sur Internet alors que les journalistes étrangers  se font reconduire à la frontière (et ils ont peut-être plus de chance que les journalistes iraniens), et alors que les télévisions occidentales ne parlent qu’assez peu de ces manifestations par manque d’images à diffuser, on peut remettre en perspective le trait d’une stupidité triomphante d’Henri Guaino, conseiller spécial à l’Élysée, qui ironisait récemment sur le fait que le conseil constitutionnel ait cru voir un rapport entre la liberté d’expression, défendue par la constitution, et l’accès à Internet: «On peut couper l’eau et l’électricité très facilement, mais [dans le cas de l’accès à Internet] c’est une violation des droits de l’Homme et – rendez-vous compte! – de la déclaration de 1789, dont vous vous souvenez d’ailleurs qu’internet était une préoccupation de ses rédacteurs». []
  1. 16 Responses to “Sombre dimanche”

  2. By Wood on Juin 21, 2009

    Combien de gens sont assassinés tous les jours ? Combien sont misérables et opprimés ? Notre capacité au bonheur dépend de la facilité avec laquelle nous pouvons les ignorer.

    Oui, c’est assez déprimant. Et la situation en Iran me semble aller droit dans le mur : Il y aurait déjà des dizaines de morts (si lon en croit @persiankiwi sur twitter) et personne n’a l’air de vouloir faire marche arrière.

  3. By Jean-no on Juin 21, 2009

    Je sais bien qu’il y a des tas d’horreurs partout, d’ailleurs chaque biographie humaine est une tragédie (aucune ne finit bien). Mais l’image est forte, je ne me sens pas de recul face à ce genre d’image, d’autant qu’elle a un sens particulier : la jeune fille ne faisait que regarder la manifestation et la manifestation n’était pas contre le régime des mollahs… C’est donc surtout la preuve que les milices des gardiens de la révolution (apparemment recrutées au Liban !?) peuvent tuer gratuitement au nom d’un simulacre de démocratie… Et ajoutons à ça le goût malsain de l’Islam pour le martyr, ça va très mal finir.

  4. By Wood on Juin 21, 2009

    Oui, il se dit qu’il y a parmi les « Bassidj » paramilitaires des Libanais du Hezbollah. Je ne sais pas si c’est une info ou une intox.

    On dit aussi que pour le moment l’armée a refusé de participer à la répression…

  5. By olive on Juin 22, 2009

    Tu n’as plus envie de t’amuser? La meilleure plaisanterie de la journée. T’amuser est ta raison d’être. Tu y sacrifies tout: idéaux, enfants, amis…
    Tu poursuis sans relâche un seul objectif: que tu puisses muser. Le reste, pour toi, n’est rien.

  6. By Jean-no on Juin 22, 2009

    Puisque tu fournis un faux e-mail et que je ne peux pas répondre à tes insultes continuelles, je publie ce post ahurissant, juste pour te répondre et en espérant qu’en relisant ta prose tu te rendras compte que tu es complètement parti en vrille.
    Je tiens cependant à te rassurer : j’aime m’amuser mais je sais faire autre chose, et je ne me reconnais pas spécialement dans ton portrait. Je ne pense pas sacrifier mes idéaux (si j’en ai), mes amis (j’en ai) et encore moins mes enfants à quoi que ce soit qui puisse s’appeler « s’amuser », d’autant qu’on s’amuse difficilement tout seul longtemps.
    Tes messages me fatiguent, annuler une fois par semaine ou par jour un post de pure haine complètement à côté de la plaque est pénible, juste pénible. Je n’ai jamais refusé aucune discussion civilisée, mais tu es une coquille vide, G., tu dois expurger je ne sais quelle frustration affective ou professionnelle depuis ton petit écran et avec ton petit clavier, en te gardant bien d’assumer tes propos puisque tu postes sous pseudonyme et avec un faux e-mail. Mets ta propre activité en perspective : est-ce que tu ne penses pas que tu as l’air fou ? Pas la peine de me répondre.

  7. By Fred Boot on Juin 22, 2009

    Ce regard remue en effet. Je ne vois qu’un moyen pour contrebalancer notre sentiment de tristesse, d’impuissance, de colère et de peur mêlés : tenter de capter le regard d’un être qu’on aime et qui s’éveille.

    Je crois qu’il faut s’accrocher à un peu d’amour pour ne pas devenir cinglé. Bon courage.

  8. By Wood on Juin 22, 2009

    A ce sujet, je conseille la lecture de cet article pour mettre les choses en perspective :

    http://www.commondreams.org/view/2009/06/19-11

  9. By Vandermeulen on Juin 22, 2009

    Est-ce un droit d’informer ou simplement un droit d’émotionner ? Il me semble que le mot « informations » nous impose un nouveau sens bien étrangement étendu ces dernières années…
    Lorsque l’on ne sait plus très bien se positionner par rapport à quelques éclats des médias, personnellement je me replonge dans Kraus. Bien sûr, ce pauvre Karl n’imaginait pas Facebook et encore moins le tout-info que nous subissons, mais sa virulence est reconstituante.

  10. By Jean-no on Juin 22, 2009

    Si on s’interdit l’information « émotionnante », on se retrouve avec des choses abstraites : tant de morts, tant de chars, tant de caisses de farine, tant de téléspectateurs. Et au fond les chiffres, qu’est-ce qu’ils ont à raconter eux ? Je suis toujours épaté de la manière dont le public ressent avec violence des chiffres complètement abstraits (x chômeurs en plus, y immigrés clandestins) qui recoupent des réalités singulières, des biographies, alors qu’il est plutôt indifférent ou résigné face à des nombres de morts dans un pays éloigné ou qu’il imagine éloigné. Cette fille qui meurt, elle ne s’appelait peut-être pas Neda, elle n’était peut-être pas dans la rue qu’on a dite, elle n’a peut-être pas été tuée par un méchant Bassidj, on ne sait pas énormément de choses sur cette image, mais elle rappelle quand même quelque chose sur la vie : à la fin, on meurt, et parfois on meurt trop jeune, et c’est insupportable. Et au fond, c’est bien une information, et une information assez essentielle à mon sens.
    Et puis il y a un paradoxe, une équation insoluble : l’émotion transmise n’est pas de l’information, mais qu’est-ce qui reste aux iraniens actuellement pour communiquer s’ils ne peuvent pas témoigner depuis leur petit bout de lorgnette, de ce qu’ils voient vraiment ?

  11. By Richard on Juin 22, 2009

    Mais pourquoi, pour qui, donc, as-tu montré cette jeune fille de 17 ans en train de mourir?

  12. By Jean-no on Juin 22, 2009

    Pour moi, parce que c’est une image douloureuse et que j’ai une espèce de besoin de la partager. Je ne suis pas spécialement intéressé par le « gore », je fuis les images de guerre, mais il y a ici quelque chose qui me touche profondément et comme je ne sais pas dire quoi ni pourquoi, je transmets.

  13. By Richard on Juin 22, 2009

    Si tu ne sais pas pourquoi. Alors ce n’est pas nécessaire de transmettre les images de la mort d’une jeune fille.
    Si tu transmets la mort d’une jeune fille seulement pour toi. Alors il n’y a plus rien à dire.

  14. By Jean-no on Juin 22, 2009

    Être touché par quelque chose et ressentir le besoin de le transmettre me semble assez évident. Ni bien ni mal, mais évident.

  15. By Wood on Juin 22, 2009

    Oui c’est un sentiment naturel.

    Ce dont il faut se méfier, c’est ceux qui vont l’exploiter, ce sentiment, pour atteindre leurs propres objectifs, notamment politiques.

    Voir ici : http://www.facebook.com/note.php?note_id=99382887605&ref=mf

    Je ne lis pas le Farsi, mais rien qu’à voir les images, les intentions sont claires : élever Neda au rang de « martyr ».

  16. By Jean-no on Juin 23, 2009

    Cette insupportable goût de l’islam pour le martyr (héritage des premiers chrétiens, d’ailleurs) – c’est incroyable de se donner comme but de mourir pour célébrer la bêtise.
    Je trouve cette mort signifiante malgré tout parce qu’elle n’a justement pas de sens politique qui puisse être récupéré autrement que pour démontrer la brutalité d’un état qui se moque de l’existence de ses citoyens et qui fournit des fusils au nom de la religion. La jeune fille n’était partisane de rien, enfin de rien qu’on sache (elle n’est pas morte en revendiquant, en manifestant, ce qui ne signifie donc pas qu’elle était une opposante ou une partisane de dieu sait quoi), elle passait par là, et elle est morte. Elle était jeune et elle est morte. Je ne sais pas, je trouve ça triste qu’on puisse mourir à cet âge et de cette manière dans le pays (avec l’Irak !) où a été inventé ce qu’on appelle la civilisation.
    On peut faire confiance à Moussavi pour récupérer cette mort (Ahmadinejad aura plus de mal), mais je doute que les iraniens soient dupes, et je doute qu’ils soient dans la rue pour Moussavi d’ailleurs. Je pense qu’ils ont surtout envie de vivre et de respirer, et du coup, la mort de cette jeune fille est un symbole de quelque chose.

  17. By Stéphane Deschamps on Juin 23, 2009

    Merci pour ta sincérité, Jean-No.

    Bizarrement, alors que j’ai souvent été juste un peu curieux de morbide, comme tout le monde, et, comme tout le monde aussi sans doute, fasciné sans savoir expliquer pourquoi par les flaques de sang près des accidents de la route qu’on frôle (peut-être parce qu’on « croise » la mort), là je n’ai pas osé cliquer.

    De partout des gens en parlent, tout le monde met un lien, mais je ne sais pas pourquoi, je ne verrai pas celle-là. Un blocage, au contraire de toi qui pour une fois vois et revois la scène et la partage.

    La bise à vous tous.

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