Profitez-en, après celui là c'est fini

Abstraction

juin 6th, 2009 Posted in Images, Pas gai

home_terreSur son blog, Christian Fauré raconte son malaise devant Home, de Yann Arthus-Bertrand, qui lui évoque les séquences qui précèdent l’euthanasie dans Soleil Vert, classique de science-fiction où la planète n’a plus de forces, où les humains se nourrissent de leurs congénères, et où ceux qui sont en train de mourir ont le droit de regarder quelques minutes de séquences d’archive de la nature telle qu’elle avait été, accompagnées de musique de Grieg. De la même manière, Home dresse le portrait charmant d’une planète en santé précaire.
J’ai commencé à rédiger un long commentaire à son billet mais je préfère finalement pondre un petit article ici.

Alors oui, Home, c’est sacrément joli à regarder. Vues du ciel, la nature ou l’activité humaine font apparaître leur logique de fonctionnement, et c’est souvent fascinant à voir : Arthus-Bertrand fait sa carrière sur cette fascination depuis plus de vingt ans. Je ne sais à quel point les images sont flattées par le traitement qu’elles ont subi en post-production1, mais les couleurs sont magnifiques et les parcelles agricoles, les glaces de l’arctique, les lotissements américains ou les lacs volcaniques deviennent autant de peintures abstraites somptueuses.

Malgré la chaleur des couleurs, cette tendance à l’abstraction contredit un peu son propos : le commentaire (qui est récité par le photographe lui-même dans la version télé, et non par un acteur) nous parle du miracle qu’est la vie, alors que les images nous démontrent que le végétal, le minéral ou l’urbanisme sont autant de motifs chatoyants, au même titre que les nébuleuses, les circuits imprimés ou les représentations cartographiques : vivant ou mort, nature et artifice, vus de cette manière, ne sont guère différents. Il me semble donc un peu étrange de présenter de telles images en affirmant servir une prise de conscience écologique, puisque la seule chose que disent vraiment ces images c’est que tout est beau tant qu’il y a quelqu’un qui se trouve à la bonne distance pour le voir. 

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Je préfère le film Baraka, de Ron Fricke2, sorti en 1992 et dont Home me semble furieusement inspiré même si les deux films se distinguent assez radicalement d’un point de vue philosophique. Baraka était un voyage d’une journée sur la terre, avec sa beauté et sa violence, avec des parallèles lourds mais qui fonctionnent (poulets en batterie et Working men, par ex.). Les images et la bande musicale signée Dead Can Dance se suffisaient à elles-mêmes, sans commentaire particulier et sans qu’il y en ait besoin. Si certaines séquences étaient vues du dessus et de loin, d’autres laissaient sa place à la figure humaine, à l’activité humaine, filmée à hauteur des yeux. 

Le terrible ecueil dont souffrent les discours écologiques ou mondialistes tels que celui qui est dit en voix off dans Home, c’est qu’ils sont quelque part trop évidents pour être véritablement utiles. Le monde est plein de gens qui vivent en dessous du seuil de pauvreté et c’est triste ? Les pôles fondent ? Les espèces se raréfient ? Les fleuves se vident ? Tout ça est évidemment tragique mais en même temps, vu de loin — vu du ciel quoi —, tout le monde est d’accord, et tout le monde le sait, les enfants en font des exposés à l’école et rares sont les politiques qui n’en touchent pas un mot dans leurs discours (à commencer par ceux qui pourraient modifier les choses et ne le font pas), alors dire qu’une prise de conscience écologique est importante sans détailler la question par un programme concret, c’est peut-être aussi inutile que d’avertir le public que l’eau mouille.  

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Aux images abstractisantes, le documentaire superpose un commentaire fait de chiffres «choc» qui sont eux aussi assez abstraits, et parfois bien plus impressionnants que véritablement signifiants — le nombre de litres d’eau utilisés pour fabriquer un tee-shirt peut frapper les esprits, mais combien de litres d’eau faut-il pour fabriquer un arbre ? Si, par exemple, cette eau gaspillée est irrémédiablement souillée (chargée en métaux lourds ou en pesticides), c’est un grave problème. Si elle sert juste à faire pousser du coton, ce n’en est pas forcément un. Derrière chaque chiffre balancé rapidement, il faudrait une longue explication.

Cette manière de faire est bien inoffensive, son succès en constitue la preuve. Quand un scientifique s’intéresse aux dégâts causés au système respiratoire par des particules dues à l’automobile, ou qu’il se penche sur le rapport entre certains pesticides et la baisse de fertilité humaine, il voit son budget supprimé (la recherche doit servir à favoriser la croissance, pas à embêter l’industrie). Quand Yann Arthus-Bertrand, avec sa belle moustache blanche, ses cheveux dans le vent et son hélicoptère nous parle d’écologie, sa sincérité est totale. Pourtant, son produit , son combat et lui-même sont devenus des supports publicitaires pour le groupe Pinault — diffusés gratuitement comme toute publicité. 

Mais bon, le résultat est vraiment très joli, je ne dis pas le contraire, et c’est toujours ça de pris. Et puis il se peut que je me trompe du tout au tout, que ce genre d’opération3 soit capable de faire bouger des choses. Il y a trente ans, parler d’écologie était le fait de rêveurs ou d’auteurs de science-fiction, puisque tout un chacun était persuadé que le progrès saurait toujours réparer les catastrophes nées du progrès. Aujourd’hui, tout le monde parle d’écologie, en dehors de Claude Allègre et de Sarah Palin, on peut donc noter un progrès véritable, mais la situation s’améliore-t-elle véritablement ?

  1. retoucher n’est pas toujours tricher. Si je me rappelle bien de mes cours de technologie de la photo, que j’étudiais il y a maintenant vingt-cinq ans, à l’époque de l’argentique, le « gamma » des pellicules photo était étalonné pour l’ensoleillement des zones tempérées du globe et rendait bien mal les couleurs et les contrastes des pays équatoriaux ou tropicaux. Il fallait beaucoup d’astuce au tirage ou peut-être au développement des pellicules, pour y pallier. À présent, le traitement numérique, à la prise de vue ou ensuite, permet de rétablir une vérité. []
  2. Ron Fricke a par ailleurs été le chef-opérateur et le co-scénariste de Godfrey Reggio pour le film Koyaanisqatsi (1982), dans un esprit assez proche.  []
  3. plus qu’un simple film, Home est une opération : diffusion simultanée dans quatre-vingt sept pays sur plusieurs supports, en quatorze langues, organisation de débats, d’expositions,… Et un public record en France de plus de huit millions de spectateurs. []
  1. 17 Responses to “Abstraction”

  2. By Wood on Juin 6, 2009

    C’est curieux, mais même sans avoir vu le film, c’est globalement l’opinion que j’en avais : De belles images et des infos qu’on connait déjà sur les désastres écologiques en cours.

  3. By Neovov on Juin 7, 2009

    Très bien dit, ça rejoint ce que j’ai pensé en le regardant.

    Aujourd’hui, être écolo c’est la mode. Pourtant, les nouveaux écolos sont loin de l’être. C’est joli Home, mais est-ce que ça aide ? Est-ce qu’il n’a pas plus pollué avec ses hélicoptères ?

    Il y a une sorte de raisonnement manichéen qui m’énerve.

    Quant aux chiffres, c’est pure abstraction comme tu dis. Personne n’est spécialiste, et avec des statistiques on peut sortir n’importe quel sophisme. Ça m’a assommé plus qu’autre chose.

    Pour compléter ton expérience, je te conseille cet article très intéressant :
    http://www.internetactu.net/2009/05/18/pourquoi-navons-nous-pas-un-cerveau-vert/

  4. By Benoit on Juin 7, 2009

    N’est il pas tout autant à la mode de critiquer les écolos… Etre écolo est devenu has been, maintenant ce qui semble cool, c’est critiquer les écolos, casser leurs arguments, rigoler des chiffres qu’ils énoncent, les faire passer pour des gens naïfs ou ridicules. On voit souvent le même argument contre les écolos : les donneurs de leçon devraient d’abord balayer devant leur porte. Peut-être faut-il aussi arrêter de jouer au plus intelligent que l’autre, peut-être faut il plutôt penser simplement à sauver ce qui reste sauvable.

  5. By Jean-no on Juin 7, 2009

    Je suis bien d’accord avec toi Benoît, mais aucun combat politique ne vaut si on le prend par le mauvais bout. L’écologie comme moyen facile de faire des relations publiques, comme le font toutes les plus grosses boites de la terre, de Areva à Total en passant par Sandoz et Monsanto, ça ne peut pas fonctionner. Pour moi l’écologie passe avant tout par la recherche sérieuse, en amont (plus importante que la « conscientisation » un peu facile) et par la décision politique en aval (plus que « les petits gestes citoyens » et autres taxounettes destinées à donner bonne conscience).

  6. By Benoit on Juin 7, 2009

    En attendant les « recherches » sont bloquées ou presque parce que les « politiques » s’en foutent pas mal, en bon accord avec les plus riches. Conscientiser le peuple est peut-être obliger ceux qui dirigent à faire quelque chose. Essayer de bouger les gens. C’est en tout cas faire quelque chose. Autre chose que critiquer en ne faisant rien, ou presque.

  7. By Jean-no on Juin 7, 2009

    Les « vérités qui dérangent » pour reprendre l’expression d’Al Gore (pas vu le film), ne peuvent pas exister dans un film diffusé simultanément dans 181 pays (dont combien de dictatures écolo-irresponsables) et dont tout le monde, depuis les enfants de l’école primaire jusqu’au plus haut niveau politique, trouve très bien. Le succès est généralement un indicateur de consensus. C’est bien, mais l’écologie ce n’est pas ça, l’écologie c’est de poser des choix de société et de regarder certaines réalités en face (l’utilité de l’automobile, pour commencer).
    Un film de treize minutes comme L’Île aux fleurs de Jorge Furtado, qui explique assez simplement l’économie, me semble nettement plus actuel et plus puissant même s’il a vingt ans : ici je doute que Gucci, Puma et la Fnac demanderaient à être au générique. Par sa qualité visuelle uniforme, Home est un film rassurant à mon avis, un film qui dit que la terre a de beaux restes. Rassurer les gens ne les fait pas bouger, l’action nait du stress ou de la nécéssité.

    Les politiques ne s’en fichent pas de l’écologie, ils tournent la tête de l’autre côté car ils sont face à une réalité complexe, quand un produit est soutenu par ses producteurs (qui eux-mêmes soutiennent l’économie et l’emploi) mais aussi par ses consommateurs qui en sont pourtant les victimes, qui a envie d’écouter les chercheurs de labos publics qui constatent un problème ?
    On préfère dire que la recherche doit être financée par l’industrie (et débrouillez vous entre vous), ce qui est un des enjeux de la réforme actuelle.

  8. By Benoit on Juin 8, 2009

    Je ne disais pas que Home était le meilleur moyen de convaincre les gens, je suis assez d’accord sur le fait que les images sont avantageuses, paradoxalement au discours négatif énoncé. J’émettais surtout un avis négatif sur cette constante critique contre les écolos qui ont le mérite d’essayer (plus ou moins maladroitement c’est sûr) de faire entendre raison à la masse et aux dirigeants.

    Soit dit en passant, montrer des images choc est déjà courant partout et plus personne n’est effrayé par une photo… surtout si l’évènement se produit très loin de chez soi. Je crois que ça va faire mal dans les chaumières quand tout ce beau monde va comprendre que les malheurs ne sont pas que lointains.

  9. By Jean-no on Juin 8, 2009

    Quand on me raconte que le nombre de spermatozoïdes des hommes a diminué en moyenne de 50%, je trouve ça plus inquiétant que de regarder des champs vus du ciel :-)
    Je ne crois pas aux images choc non plus, je crois aux faits et aux analyses finalement.
    Bon, tu vois, le discours anti-écolo ne porte pas très bien puisque la liste Europe Écologie a fait un excellent résultat aux élections !

  10. By Wood on Juin 8, 2009

    Mais c’est une bonne nouvelle, que le nombre de spermatozoïde baisse !

    La meilleure solution pour la planète ce serait que la population humaine cesse de croître !

  11. By jukurpa on Juin 8, 2009

    Sur la beauté des images, je pourrais dire que l’explosion d’une bombe H est un des plus beau spectacles qu’on ait filmé, je reste toujours ébahi par la beauté qui peut se dégager d’un évènement autant destructeur. Donc je te rejoins sur le coté « du ciel tout est beau » que ce soit un champ de fleur ou des puits de pétroles en flamme.
    Le message que véhicule HOME est plus dérangeant par moments en commençant par la morale Chrétienne qui ressort : la terre est un cadeau pour l’homme, à nous d’en profiter avec parcimonie. On a usé de cette phrase de la Genèse (un truc du genre : Cette terre et ceux qui la peuple[les bestiaux quoi] sont là pour te servir bla bla) durant des siècles pour justifier notre emprise sur la nature. Aujourd’hui on n’a toujours aucune remise en cause de cette supériorité de l’homme sur le cycle naturel, nous serions supérieur à la nature et nullement faisant partie d’elle…
    On passera vite fait sur les « Babylone » modernes que sont Dubaï, Las Vegas & autres qui sonnent un peu comme la folie des hommes qui se sont détournés de la vraie foi (ici l’écologie mais l’analogie foireuse avec la religion me titille)
    Ensuite au milieu de la foule des lieux communs des catastrophes écologiques de nôtre planète, aucune réflexion un peu poussé sur les causes à effet, sur la complexité climatique, on a juste un état des lieux d’une simplicité pathétique avec un seul méchant : le réchauffement climatique.
    Je finirais sur un constat qui se retrouve de plus en plus sous-jacent dans notre société : ces salauds de pays pauvres du sud sont en train de détruire leurs magnifiques écosystème pour développer leur économie alors qu’on essaye de leur expliquer que c’est pas bien et qu’il ne faut pas faire comme nous, gentils occidentaux avec notre espérance de vie de 80ans, notre niveau de vie consumériste et notre éducation impeccable.
    J’ai toujours trouvé que comme donneur de leçon, on était très fort :).
    Donc HOME, vraiment pas terrible, lui préférer « une vérité qui dérange » qui est certes moins beau mais plus pédagogique et « le cauchemar de Darwin » histoire de comprendre la complexité du monde à un niveau local et de déprimer ensuite.

  12. By Jean-no on Juin 8, 2009

    Il paraît que « le cauchemar de Darwin » manque un peu de rigueur et que la perche du Nil a permis à toute une région de se développer et non d’acheter des armes… La défense du réalisateur a été de dire en gros « qu’importe le vin pourvu qu’on ait l’ivresse » et « si ce n’est toi… ». Enfin je ne l’ai pas vu, j’aime bien l’affiche.
    Un film sur l’écologie et la mondialisation qui prend les choses par le petit bout de la lorgnette et que j’aime bien, c’est Mondovino, sur le vin.
    Sur l’héritage judéochrétien de Home, je pense que tu vois juste, je ne me l’étais pas dit sur le coup mais c’est assez évident.

  13. By Cécile on Juin 8, 2009

    « Home » n’est pas un film rassurant et j’ai vraiment été choquée par le type qui menait le débat après le film. Je me demande s’il représentait « les gens cultivés ». Avec des questions du genre « est-ce vraiment important si les ours polaires disparaissent ? »

  14. By Jean-no on Juin 9, 2009

    @Wood : bon heu faut voir. Même en se disant que l’humanité est le problème, ce problème de spermatozoïde signifie que la nature est très perturbée. De fait, bien d’autres espèces souffrent du problème.

  15. By Hobopok on Juin 9, 2009

    Je crois qu’encore une fois tu as trouvé les mots justes pour démonter cette niaiserie bien-pensante, dont je n’ai pu me forcer à voir plus de cinq minutes à la télé. On me faisait remarquer que l’abstraction nivelante du film était parfois si poussée que toute notion d’échelle disparaissait au point qu’on ne savait plus si on regardait des immensités à perte de vue ou des détails en plan serré.

    Et pourtant, tout niais et bien pensant et réducteur qu’il soit, ce film ne mange pas de pain au sens où il contribue, même modestement, à généraliser l’idée de l’urgence écologique. C’est sûr que ça empêchera pas Pinault de dormir.

  16. By GuiX on Juin 9, 2009

    Avez-vous lu la diatribe de Libé ?
    Tordant !

    Home ou l’opportunisme vu du ciel

  17. By Bobonne Lulu on Juin 9, 2009

    Ceci n’a rien à voir, mais je vous signale, puisque vous êtes un fanatique d’Amélie Poulain :

    Amis de Georges Perec, amis du documentaire, de la photo et de la ville (bref, amis),

    N’oubliez pas (vous vous en voudriez) demain soir :

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    *9 juin 2009 / 20h30 / Espace Delvaux (Watermael-Boitsfort)*
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    Projection du très beau film *En remontant la rue Vilin*, de Robert Bober.

    La disparition de la rue parisienne qui vit grandir Georges Perec est prétexte pour Robert Bober à un je me souviens, un exercice de style mêlant réflexion sur la photographie et la mémoire, et surtout à un très bel hommage du cinéaste à son ami écrivain.
    —————————————————————————————————

    Le film sera exceptionnellement précédé du court-métrage belge *Voisinage*, d’Yves Hanchar, *en la présence du réalisateur*.

    Yves Hanchar s’est amusé à appliquer le principe de *La vie mode d’emploi* à son film. Trop peu visible en Belgique, *Voisinage* avait été nominé aux Oscars en 1986.
    ——————————————————————————————————

    Bref, belle soirée en perspective, à demain donc !

    Vous recevrez également bientôt le nouveau dépliant vous informant de notre programmation dans le cadre du festival Ecran Total à l’Arenberg Galeries. Une invitation au voyage…


    Le P’tit Ciné diffusion
    rue du fort, 5 – 1060 Bruxelles – Belgique
    tél : 00 32 (0)2 538.17.57
    contact@leptitcine.be
    http://www.leptitcine.be

  18. By philippe on Juin 16, 2009

    vous plaisantez! carla a vu le film et dit au nicolas , fait quelque chose mon petit stroumf et comme le stroumf il veut l’épater il a demandé un résumé de « c’est maintenant » du jancovici pour voir s’il ne pouvait pas frapper à la porte du hulot histoire d’emmerder l’allemand…

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