Profitez-en, après celui là c'est fini

Hadopi, une loi générationnelle

mai 6th, 2009 Posted in indices, Pas gai

Lutter contre le piratage, facile à tout âge avec l'OpenOffice dans l'InternetJe continue à suivre le débat parlementaire consacré au projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet (Hadopi), et je dois dire que la consternation me gagne, car le refus total de discussion de la part de la majorité, du rapporteur et de la ministre montrent un visage assez affligeant de nos législateurs. Ils n’en sont plus du tout à réfléchir et semblent à présent obnubilés par le mot d’ordre de Jean-François Copé : il faut évacuer cette loi, en finir, à tout prix. Du coup de nombreux amendements de compromis, de précision des intentions ou de cohérence, qui avaient été acceptés en première lecture et qui sont souvent de bon sens, sont à présent impitoyablement rejetés. Or malgré quelques piques typiques des débats parlementaires (le socialiste L’ex membre du PCF Jean-Pierre Brard1 prend un plaisir taquin à accuser l’UMP de s’inspirer de Kim Jong-Il ou de Hu Jintao, par ex.), les opposants au texte ne sont pas excessifs dans leur manière d’aborder le débat, leurs amendements ne sont pas (ou pas tous) destinés à constituer une obstruction et devraient pouvoir être envisagés. Demander qu’un article de loi précise son propos ou délimite précisément son champ d’application ne me semble pas excessif. Ces propositions d’amendements semblent pourtant désormais vécues, sur les bancs de la majorité, comme autant de tentatives de gêner, d’entraver. Il n’y a donc pas de débats, la ministre et le rapporteur se contentent d’un sobre avis «défavorable» qu’ils se donnent rarement la peine de justifier.  
Les députés de la majorité manquent totalement de courage politique, ils ont une besogne à exécuter bon gré mal gré, qu’ils y croient sincèrement ou non, et ils semblent à présent avoir du ressentiment envers ceux dont les positions dénoncent leur propre lâcheté. C’est au point que du côté de la majorité, le peu de députés qui assistent aux débats préfèrent pousser des grognement de singes que de s’expliquer à un niveau cognitif. 
Le spectacle est navrant.
Plus navrant encore, peut-être, le silence qui entoure ces débats dans les grands journaux télévisés, où il semble bien plus crucial de savoir si Didier Deschamps va quitter tel club de football pour être embauché par tel autre plutôt que d’apprendre qu’une loi à venir piétine de nombreux principes républicains (égalité des citoyens, droit à la défense vis-à-vis d’une sanctios, confidentialité des données et de communications,…). 

assemblee_mazetier_dionis

Au fil du débat, on en apprend de belles, comme cette anecdote pour le moins effrayante racontée par Patrick Bloche2 :
«En écoutant le débat sur la labellisation des offres commerciales, sur le pouvoir de labellisation donné à l’HADOPI, cela m’a rappelé – les collègues qui étaient là sous la précédente législature s’en souviennent – l’avant-projet DADVSI. Le salon attenant à l’hémicycle, espace pourtant sanctuarisé, avait été annexé pour y présenter des offres commerciales. Les employés de Virgin et de la FNAC chargés de ces présentations portaient au revers de leur veston un badge « cabinet du ministre » qui leur donnait la possibilité de se mouvoir au sein de l’hémicycle. Cela avait créé un incident. Une première à l’Assemblée nationale !»
christine_annefe_albanelRéponse de la ministre, du rapporteur, ou d’autres députés de la majorité ? Aucune ! L’accusation est pourtant lourde, car ce type de lobbying, organisé par une alliance entre le secteur privé et l’état, est aux limites de la légalité. 

Ce qui ressort tout de même des rares explications fournies par les défenseurs du texte, c’est qu’ils ne comprennent pas bien eux-mêmes le problème qu’ils sont censés traiter ni même le contenu de la loi qu’ils entendent voter. Si on proposait une loi au contenu similaire mais adaptée au courrier postal, aux transports ou au droit de la presse, ils seraient scandalisés, mais ici ils ne le sont pas car ils ne se sentent pas bien concernés.
Les explications techniques embrouillées de Christine Albanel feraient rire n’importe quel enfant de douze ans3, je ne résiste pas au plaisir de les reproduire :

« Lorsque l’on achète un pack Microsoft avec Word, Excel, Powerpoint, qui ne sont pas des logiciels libres, il existe des pare-feux, des logiciels de sécurisation ; mais les logiciels libres peuvent aussi être assortis de pare-feux. Ainsi, au ministère de la culture, nous utilisons le logiciel libre Open Office, et un logiciel de sécurisation l’accompagne. Les éditeurs de logiciels libres fournissent les pare-feux, et même des pare-feux gratuits. »

On ne félicitera pas les conseillers de la ministre qui ont réussi à lui faire confondre le piratage de fichiers et le piratage d’ordinateurs et à la laisser imaginer que les suites bureautiques ont quelque chose à voir avec ces questions de sécurité.

Anti-jeunes ? Au contraire !

franck_riester_rapporteur

Une accusation qui revient souvent, depuis les bancs des opposants à la loi, c’est qu’elle stigmatise la jeunesse. Pourtant en se penchant en détails sur ce projet de loi, c’est exactement le contraire qui émerge : la loi dite Hadopi ne vise pas les jeunes, elle vise les gens qui disposent d’un accès à Internet mais qui n’y comprennent rien. Ceux qui n’ont pas la moindre idée du fait qu’ils utilisent, eux aussi, comme les méchants pirates, une adresse dite «IP» ;  Ceux qui croient avoir une «neufbox» avec télévision et qui utilisent en fait un modem-routeur ; Ceux qui croient que leur connexion est «sécurisée» parce qu’ils ont acheté l’anti-virus que le vendeur de Surcouf leur a conseillé ; Ceux qui n’y comprennent rien du tout et qui appellent leurs enfants pour savoir s’ils doivent donner leur coordonnées bancaires à la veuve du fondé de pouvoir d’un dictateur africain ou à une version russe de PayPal alors même qu’ils n’ont pas de compte chez PayPal.
Ce sont nos parents, nos grands parents, ceux qui trouvaient le minitel plus pratique, ceux qui sont nés avant Internet, ceux qui s’y sont mis récemment, ou en trainant des pieds, ceux qui l’utilisent sans avoir la moindre idée du potentiel de l’outil et sans savoir que leur ado boutonneux, depuis sa chambre où est écrit «défense d’entrer», est sans doute capable de télécharger Bienvenue chez les Ch’tis et qu’il est même peut-être précisément en train de le faire à l’instant. Les gens qui lisent les conseils informatiques du Parisien, de Micro Hebdo, et qui croient que les vendeurs de la Fnac sont des ingénieurs informaticiens.
Ce n’est pas complètement une question d’âge bien sûr, mais la loi Hadopi va être votée par des gens tellement techno-incompétents qu’ils ne voient pas qu’elle les vise eux en tout premier lieu. Cela s’appelle se tirer une balle dans le pied.
En effet («annéfé», comme dirait Christine Albanel), la loi en question ne s’attaque pas directement à la contrefaçon au droit d’auteur (pirater un film par exemple), mais au «manquement à l’obligation de sécuriser sa connexion Internet». Un tel concept n’est pas idiot en lui-même : le propriétaire d’une arme à feu ou d’un véhicule sont censés maîtriser l’usage qui est fait de ces objets et le fait de ne pas avoir provoqué l’accident ou pressé sur la détente ne les exonère d’aucune responsabilité s’ils ont été négligents. Seulement cacher une arme ou ranger les clés de sa voiture semble un peu plus facile que de sécuriser sa connexion Internet — la sécurité informatique, c’est un métier ! 

On peut visionner les séances passées sur le site de l’assemblée nationale

  1. cf. commentaires []
  2. Deuxième séance, lundi 4 mai 2009 []
  3. Première séance du 1er avril 2009 []
  1. 10 Responses to “Hadopi, une loi générationnelle”

  2. By Wood on Mai 6, 2009

    Ce qui serait vraiment drôle, ce serait que Madame Albanel se fasse couper sa connexion internet parcequ’on la lui a piratée…

  3. By Jean-no on Mai 6, 2009

    Je ne pense pas qu’elle l’envisage. Est-ce que la haute autorité Hadopi, qui exercera son pouvoir à sa discrétion, osera jouer le jeu à ce point ? J’ai très peur que non…

  4. By Wood on Mai 6, 2009

    Et pendant ce temps les députés européens votent contre la coupure d’accès Internet sans décision de justice :

    http://www.lefigaro.fr/politique/2009/05/07/01002-20090507ARTFIG00002-hadopi-nouvel-incident-de-parcours-.php

    Je ne comprend pas très bien en quoi ça va influencer les débats, ni quels sont les rapports entre législation européenne et législation des états, mais ça va probablement encore compliquer les choses…

  5. By Hobopok on Mai 6, 2009

    Alors là Jean-No, je t’arrête tout de suite, Didier Deschamps ne quitte aucun club de foot vu qu’il faisait consultant de uxe de ci de là depuis qu’il avait été éjecté de la Juve voilà deux saisons. Le débat gagne en précision.

  6. By Hobopok on Mai 6, 2009

    Bon allez je reviens au débat pour souligner que cette truffe de Lalanne, le poète autoproclamé mais botté que le monde entier nous envie, a néanmoins pris violemment parti contre la loi au nom des libertés publiques (que ce pluriel m’agace). Si je dois échanger tous mes Juliette Greco pour des Francis Lalanne, bon, ben, il m’en coûte, mais si c’est pour la cause…

  7. By Hobopok on Mai 6, 2009

    Dernière chose (plus sérieuse) : évidemment, la plupart des députés n’y entrave que dalle au fond du sujet, ne verrait pas la différence entre un routeur-modem et une clé USB, mais en même temps c’est l’honneur d’une démocratie d’être gouvernée par des non spécialistes, le contraire de la technocratie. Faut pas imaginer que la majorité des députés y connaît quoi que ce soit non plus aux quotas laitiers, à l’état des prisons, aux OGM, ou à l’éducation. D’où l’importance du travail des rapporteurs et des commissions parlementaires ad hoc. C’est ça, ceux qui viennent de se faire écrabouiller par la dernière réforme constitutionnelle.

  8. By Jean-no on Mai 7, 2009

    @Hobopok : intéressant Lalanne, qui a rappelé : « La chanson est un des rares produits que les gens n’achètent que après l’avoir consommé. Et je dirais même plus. Plus ils l’ont consommé, plus ils ont envie de l’acheter. »

    Sur la non spécialisation des députés, c’est le principe même du fait politique, c’est le citoyen qui s’exprime et non le technicien. Mais ça n’empêche pas de se pencher sur le sujet sur lequel on vote, car ce n’est pas une loi de principe mais une loi très technique.
    Ça m’amuse surtout de voir que c’est une loi qui vise d’abord les gens qui n’y connaissent rien (ce qui n’est pas un crime bien sûr) et qu’elle est justement créée par iceux.
    Par ailleurs si le député n’est pas ingénieur, il doit un peu croire dans la loi qu’il fabrique. J’ai entendu plusieurs fois C. Albanel dire des choses du genre « oui la loi ne précise pas ceci ou cela mais pas de problème, les juges ne appliqueront la loi de telle manière et pas de telle autre ».

  9. By Bishop on Mai 7, 2009

    Jean-No, n’écris pas que J-P. Brard, mon ancien maire, est socialiste, il n’appréciera probablement pas. Il est plus proche du PCF (bien qu’il a rendu sa carte depuis maintenant quelques années il est resté plus ou moins affilié, au moins nationalement).

  10. By Jean-no on Mai 7, 2009

    @Bishop : Oups! En fait à l’assemblée ils ne parlent pas des partis mais des groupes : il est dans le groupe de la gauche démocratique et républicaine qui rassemble des socialistes mélenchonnistes, des verts et des communistes. Hier nuit il s’est présenté comme « marxiste ».

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  2. Mai 7, 2009: Et in Arcadia Ego » Blog Archive » Lieux communs 05/07/2009

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