STRP / Granular Synthesis
avril 15th, 2009 Posted in Voyage à Karlsruhe et EindhovenJ’ai toujours bien supporté les oeuvres d’art qu’on pourrait qualifier de « difficiles ». Les œuvres qui éprouvent la patience du spectateur, celles qui n’hésitent pas à le prendre à rebrousse-poil, à le brusquer, à le décevoir en ne tenant aucune promesse énoncée ou en refusant le joli, le charmant, le sympathique, la connivence… Parce que je sais qu’en n’allant que vers ce qui correspond à nos automatismes de spectateur, on ne peut finalement obtenir que ce que l’on connaît déjà — punition qui correspond bien à la définition de l’enfer.
Mais il y a un genre d’œuvres qui me fait invariablement fuir, ce sont les œuvres qui me font souffrir physiquement. Avec Granular Synthesis, j’ai été servi, et je dois même avouer que j’ai finalement renoncé au visionnage d’un certain nombre de travaux.
Granular Synthesis est un duo d’artistes multimédia d’origine autrichienne composé de Kurt Hentschläger et Ulf Langheinrich. Ils travaillent ensemble depuis le tout début des années 1990 et le festival STRP d’Eindhoven leur rendait hommage cette année sur deux sites distincts : le festival STRP lui-même, et l’espace MU, dans l’immeuble De Witte dame en centre-ville.
Leurs travaux visuels et sonores sont basés, comme leur nom le suggère, sur la technique de la synthèse granulaire, qui consiste à découper des données (sonores, typiquement, mais on peut aussi manipuler l’image selon ce procédé) en un grand nombre de petites unités qui sont ensuite recombinées et dupliquées puis jouées successivement.
La première visite que nous avons effectuée était celle de l’exposition The single screen works, au MU. Premier hic, il ne s’agissait que de vidéos linéaires préenregistrées alors que Granular Synthesis est plutôt connu comme un duo d’artistes performers qui exécutent des œuvres en direct pour un public.
Mauvais départ en ce qui me concerne. La première vidéo que j’ai vu en entier, LUX, agresse d’entrée le spectateur par des éclairs espacés ou stroboscopiques excessivement pénibles. Personnellement j’ai toujours détesté les stroboscopes de boites de nuit, et c’est sans doute en partie ce qui m’a toujours fait éviter ce genre de lieu. J’ai donc visionné LUX, si l’on peut dire, en fermant les yeux le plus clair du temps.
Dans Sweet Heart, une courte séquence vidéo est étirée dans le temps, réarrangée, retournée dans tous les sens. Ce n’est pas laid en soi, c’est même sans doute l’œuvre la moins déplaisante à voir (parce qu’on se raccroche à la figure humaine peut-être), mais ça dure un quart d’heure. Certaines œuvres, en étirant le temps, plongent le spectateur dans un état particulier ou modifient véritablement sa perception (les vidéos de Bill Viola fonctionnent bien sur moi par exemple). Mais là, j’aurais passé ce quart d’heure à regarder ma montre s’il y avait eu suffisamment de lumière pour ça et si j’avais eu une montre.
We Want god now est aussi une œuvre figurative puisqu’elle montre le corps en mouvement du danseur Michael Ashcroft. Seules dix secondes des mouvements du danseur ont été utilisés sur une dizaine de minutes filmées, pour aboutir à une vidéo qui dure au final une heure (mais la version que j’ai vu était ramenée à une quinzaine de minutes je pense, ou alors j’ai dormi plus que je ne croyais, comme la malheureuse Estelle qui en piquant du nez a laissé choir son appareil photo, qui n’y a pas survécu). Ici il se passe un petit quelque chose, le corps étêté du danseur passe d’un côté à l’autre et donne le sentiment de vouloir désespérément repousser des limites, de chercher à sortir de l’écran de projection, devenu une prison exigüe et oppressante. Je comprends très bien l’idée, mais je ne trouve pas pertinent de l’exposer ainsi. Une boucle dont le spectateur ne connait ni le départ ni l’arrivée et qui tournerait de manière infinie me semblerait plus adaptée que ce quart d’heure d’ennui.
Pas grand chose à raconter sur le reste, si ce n’est que ces images et les sons qui les accompagnent me rappellent furieusement l’époque qui les a produites, à savoir le milieu des années 1990 — les années techno. Ce sont des années très riches à mon avis, mais le boulot de Granular Synthesis n’est pas franchement ce que j’en retiendrai d’urgence. En fait je trouve tout ça un peu facile, un peu gratuit, un peu léger et au fond un peu tape-à-l’œil.
Les dispositifs peuvent cependant être impressionnants par leur format : être complètement entouré d’un bruit gaussien ou de quelque chose qui s’en rapproche, peut faire perdre ses repères spaciaux, comme avec POL — une gigantesque installation multi-écrans — et hemisphere (de Ulf Langheinrich seul), un écran hémisphérique sous lequel le public se tient allongé. Ces deux installations, ainsi qu’une troisième intitulée Modell 5, mais inactive au moment où je suis passé (car destinée à des performances « live » je pense) se trouvaient sur le site de STRP.
À l’extérieur du festival se trouve une tente dont s’échappaient des fumigènes. Il s’agit d’une dernière œuvre signée Kurt Hentschläger (l’autre moitié de Granular Synthesis) et baptisée ZEE. À l’entrée, on est averti qu’il faut être majeur pour y entrer et on doit signer une décharge déclarant que l’on n’est pas épileptique et qu’aucun membre de notre famille ne souffre d’épilepsie à notre connaissance.
La rumeur prétend que cet « espace mental » (?) immersif soit de loin la meilleure œuvre liée à Granular Synthesis montrée au festival STRP. Pour ma part, il était trop tard pour le vérifier, je n’avais pas vraiment envie de finir ma visite du festival, que j’ai trouvé fort intéressant par ailleurs, sur une migraine. Et puis par principe, je ne signe pas de décharges de ce genre.
Je sais que des gens de goût aiment le travail de Granular Synthesis, et il y a sans doute bien des raisons de le faire, mais je constate que je ne suis pas le bon client et je doute que ça s’arrange.
2 Responses to “STRP / Granular Synthesis”
By Jean-Michel on Avr 18, 2009
« (…)et si j’avais eu une montre. » Toujours pas de Rolex au poignet ?
J’ai aussi, et depuis longtemps, des doutes sur Granular Synthesis, qu’étrangement je ne peux formuler.
By Jean-no on Avr 18, 2009
Non seulement je n’ai pas de Rolex mais Rolex m’a menacé de procès : http://www.grossemontreavant50ans.com